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Critique de l’anti-spécisme dans « Le Parfum d’Adam » de J-C. Rufin

Cet article fait référence au chapitre 3 (1-B) du mémoire de Nicolas POYAU réalisé durant son Master II Écriture, Culture, Médias à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3(2021/2022)

Titre du mémoire : L’illustration de la pensée écologique française dans La Fonte des glaces de Joël Baqué et Le Parfum d’Adam de J- C. Rufin – Une étude du rapport entre l’Homme et l’animal dans la littérature écologique

Chapitre 3 (1-B) : La remise en question d’une morale écologique antihumaniste

Cet article s’inscrit dans une liste de 12 articles consacrés à ce mémoire, à retrouver à la fin.

La remise en question d’une morale écologique antihumaniste

L’auteur du Parfum d’Adam ne se sert pas seulement du parcours de Juliette pour diriger le regard du lecteur. L’anti-spécisme est une notion que la narration met en avant et que le lecteur découvre grâce au parcours des autres personnages. Les péripéties des membres de l’agence d’espionnage Providence, servent à détailler le socle moral juridique qui permet aux Nouveaux Prédateurs de se justifier.

L’idée que le devoir est une condition sine qua non de la citoyenneté, et même de l’accession à la dignité humaine, est développée tout au long du roman. Les faits marquants du récit contribuent à mettre en avant cette idéologie des Nouveaux Prédateurs. Les conversations entre les différents personnages viennent ensuite compléter les informations présentes dans la narration.

Les instigateurs des actes terroristes du groupe veulent justifier leurs actions grâce à la notion de surpopulation et de ses conséquences sur la biosphère. Selon eux le meilleur moyen de résoudre le problème serait de diminuer cette masse. Pour ce faire il suffit, selon leurs dires, de ne plus considérer une partie des Homo sapiens vivants sur la planète comme des humains.

Le critère de sélection permettant de distinguer les ‘véritables’ humains serait celui de la responsabilité écologique justement. Ce raisonnement écarte cependant les responsables historiques du réchauffement climatique.

Les Nouveaux Prédateurs veulent préserver ceux qui peuvent selon eux apporter des solutions au problème écologique. Ils mettent ainsi en avant les sauveurs potentiels (soit les pays industrialisés) en omettant volontairement qu’ils sont aussi les responsables de la situation.

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Ce raisonnement se fait au détriment des victimes, incapables de faire face au problème écologique puisqu’elles subissent l’économie internationale et n’ont pas les outils pour rendre les échanges commerciaux moins polluants. Il faudrait ainsi agir en conséquence selon le groupuscule terroriste, en éliminant ces individus néfastes. Les propos du professeur à l’origine de la pensée du groupuscule sont très clairs [1] :

L’aporie du développement, c’est ceci : la civilisation technique et industrielle est destructrice de la nature, c’est entendu. Mais en même temps elle apporte des solutions aux problèmes qu’elle pose. Par exemple toutes les sociétés développées ont une croissance démographique faible, voire négative.

Au contraire, les pays sous développées, le fils pauvre, ne cessent de s’accroitre en nombre. Et ce grouillement sans aucune évolution technique à des conséquences dramatiques : déforestation massive, désertification, progression de mégalopoles anarchiques.

Les pays sous-développés sont représentés dans le roman par le biais des favelas du Brésil mais aussi des pays visités pas Paul. En effet le principal critère de mis en avant par J-C. Rufin pour qualifier ces pays pauvres semble être leur incapacité à assurer une salubrité suffisante pour éviter les conséquences du choléra.

En effet les Nouveaux Prédateurs considèrent que le niveau d’hygiène dans les pays permet de distinguer un pays pauvre d’un pays riche. Ainsi si une population ne peut se préserver des maladies, elle ne sera pas à capable de produire une croissance verte. Par l’intermédiaire d’un outil narratif médical, JC. Rufin introduit un critère de sélection de richesse : l’épidémie étant mortelle dans les pays ou l’hygiène est insuffisante.

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Le parcours de l’auteur, médecin de formation, ressort ici. Les défis de la médecine sont ici associés aux défis de l’écologie. Le professeur ne détaille pas encore ce point puisqu’il n’est pas au fait de l’existence des Nouveaux Prédateurs.

Un membre de l’organisation explique plus tard dans le roman la stratégie du groupe terroriste. Il se sert des caractéristiques pathogènes de cette maladie pour faire une sélection entre pauvres et riches. Cependant le professeur pointe déjà du doigt l’incapacité des pays dits du “tiers monde “ à avoir des infrastructures pérennes et une économie saine.

L’argument est ici d’ordre commercial et décrit les pays en question come des zones de non-droit ou aucun contrôle étatique ne permettrait d’enrayer les conséquences du réchauffement climatique[2]:

Si l’on va jusqu’au bout de cette logique l’écologie ne devrait pas prendre pour cible le fils riche mais le fils pauvre. [..] Au contraire, le danger mortel ce sont les pays pauvres. qu’ils utilisent de énergies traditionnelles ou des énergies rudimentaires, leur rôle dans l’émission de gaz toxiques est prépondérant.

Avec leurs populations immenses et leurs moyens de culture rudimentaires, ils défrichent les derniers endroits préservés du globe, Ils massacrent la faune sauvage, asphyxient les rivières, trafiquent les espèces protégées, souillent de centaines de milliers de kilomètres carrés de côtes. Leurs vieux diésels émettent chaque année dans l’atmosphère l’équivalent de leur poids en poussière de carbone.

Les pays du tiers monde sont ainsi décrit comme des menaces potentielles pour l’homme et la nature. Le statut “d’humains ” leur semble encore une fois refusé (ils ne sont pas assez développés pour cela). Ils sont ainsi placés en dessous de la “faune sauvage” et de la flore, qu’il faut préserver. Le vocabulaire est ici péjoratif et même hyperbolique.

Puisque les hyperboles “danger mortel” et “ populations immenses” viennent menacer la nature du fait de la civilisation “rudimentaire” de ces favelas. Ce manque de capacité à être ordonné et productif au sein de la société vient à la base d’une théorie de protection des animaux. Les théoriciens du droit juridique des animaux ont en effet comparé ces êtres à des personnes marginalisées ou faibles. Jean-Baptiste Jeangène-Villmer détaille cette théorie dans L’Ethique animale[3] :

Si les capacités intellectuelles généralement invoquées afin de justifier le spécisme étaient pertinentes pour fonder la considération morale, nous n’aurions pas de considération pour les êtres humains dites « marginaux »[…] comme les nourrissons, les jeunes enfants, les séniles et les personnes souffrant d’une déficience mentale sévère, dont les capacités intellectuelles sont moindres que celles de certains animaux.

[…] Cette observation à des conséquences directes sur la question des droits ont dur que les droits impliquent des devoirs corollaires et que les animaux ne peuvent pas avoir de droits, puisqu’ils ne peuvent pas avoir de devoirs.

L’auteur précise ensuit la théorie selon laquelle l’homme pourrait ne pas accorder de droits à ces animaux, puisqu’ils auraient une moindre importance dans la société124 :

Reste que l’on peut être pessimiste sur la capacité des humains à prendre ces arguments dans le bon sens. Nozick par exemple, n’est pas convaincu que, si la société accepte cette égalisation, « il n’en résultera une reconnaissance des droits des animaux.

Notre conception du traitement dû aux personnes gravement arriérées dépend sûrement en partie du fait qu’elles sont des humains, membres de l’espèce humaine. Ecarter cette considération comme moralement non pertinente ne peut qu’aboutir à une société qui traite les personnes gravement arriérées comme des animaux, et non l’inverse ».

C’est précisément ce processus réflexif qui semble conduire le professeur à renier le droit des pays pauvres à faire grandir leur démographie : puisque ces derniers sont incapables de produire à court terme une société respectueuse de l’environnement, ils ne doivent pas avoir le droit (au sens juridique et social) de construire cette société. Il en résulte que les “pays pauvres” sont dans un cas de figure où ils seraient en infraction avec le droit, puisqu’ils n’ont pas les capacités minimales décrites par Jean-Baptiste Jeangène- Villmer.

Les propos de Nozik s’appliquent aux Nouveaux Prédateurs qui dans la diégèse du roman de J-C. Rufin ne considèrent pas les pauvres comme des êtres humains à part entière.

Le groupuscule terroriste n’attribue ainsi aucune valeur à la personne si elle n’est pas incluse dans une civilisation développée. Ils nient ainsi les sentiments et la valeur inhérente de l’être humain et ne considèrent que les chiffres. Ce raisonnement amoral renie la somme de biomasse humaine qui peut nuire l’écologie. Un agent de Providence détaille le mécanisme cognitif qui pousse le groupuscule terroriste à regarder les pays pauvres comme une somme numérique d’individus à éliminer[4] :

Je suis certain comme vous que ces types vont s’attaquer aux pays du Tier-monde, aux plus pauvres, et que l’Afrique va trinquer en premier. C’est le nouveau nazisme ces gars-là. Ils ne veulent plus supprimer des populations pour leur race, ni pour leurs opinions ou leurs croyances… Ils veulent les supprimer simplement parce qu’ils sont ‘en trop’.

Cette idéologie là je l’attendais. Je la craignais depuis des décennies pour mon peuple, les Africains, qu’ils soient là-bas ou ici. A force de souffrir, on devient détestable, on gêne le progrès, on est une tâche sur la société des riches. Et un jour les gens viennent et déclarent que vous êtres en trop, que vous n’êtes pas dignes de vivre.

Les caractéristiques qui permettent de distinguer un être humain d’un animal sont donc écartées. En effet les Nouveaux Prédateurs ne considèrent pas le peuple Africain comme capable d’avoir un intérêt pour sa survie, puisqu’il serait incapable de mettre en pratique ces désirs et ses envies.

Le groupuscule terroriste nie ainsi l’identité morale “minimale” que l’on peut attribuer à un être vivant, c’est à dire une volonté propre. Cette capacité à exprimer ses désirs constitue pour Elisabeth de Fontenay le socle de l’identité morale que l’on pourrait accorder aux animaux[5] :

Les animaux ne peuvent être considérés comme des agents moraux, car ils sont irresponsables : ne disposant ni de raison ni de volonté, ils n’ont pas la capacité de choisir. Mais comme on le fait pour les enfants, les handicapés mentaux et certains vieillards, on doit les considérer en tant que patients moraux, c’est à dire leur accorder des droits.

Le philosophe américain Tom Regan est le principal théoricien de ces droits de patients moraux animaux, du moins ce que l’on peut qualifier de d’individus pour autant qu’ils sont  » les sujets d’une vie ». Ce qui leur confère une « valeur inhérente » c’est que l’on reconnait l’expérience désirs, de préférences, de perceptions, de souvenirs, d’intentions, d’émotions, d’un sens de leur propre future et d’une identité psychologique dans le temps.

J-C. Rufin montre ainsi l’extrémisme des Nouveaux Prédateurs qui vont jusqu’à refuser le statut d’être humain aux individus qui ne peuvent pas lutter contre le réchauffement climatique. Le qualificatif de “nazi” fait ainsi clairement référence à une idéologie violente et même “arriérée” si l’on considère l’aspect historique.

Le propos du Parfum d’Adam semble ainsi comprendre une critique des fondements juridiques qui écartent l’”animalité” du droit commun. Les agissements des Nouveaux Prédateurs paraissent servir de contre- exemple puisqu’ils sont décrits par Juliette comme inhumains.

L’auteur prend ainsi du recul avec les idées de la hard ecology américaine, mais aussi avec certaines conceptions des théoriciens français. En effet R. Hainard soutenait lui aussi que la démographie des pays pauvres était un des facteurs qu’il fallait maitriser pour protéger l’environnement. Luc Semal explique les raisons qui conduisent le philosophe français à se prononcer contre l’expansion démographique des pays les moins avancés technologiquement[6] :

Bien que ne se situant pas explicitement au sein de ce débat postérieur à ses écrits, la position d’Hainard indique très clairement une option qui consiste, tout en reconnaissant différents degrés d’interactions entre les humains et leur milieu de vie, à choisir de mettre en avant pour le protéger le niveau le moins anthropisé : le sauvage ou la nature spontanée.

Il y a plusieurs raisons à cela : cette dimension de la nature est rencontrée dans une expérience naturaliste, elle nourrit sa création artistique, elle est menacée par une idéologie du « développement modernisateur » qui se traduit par la destruction de la nature, elle apparaît à Hainard comme un vecteur de résistance à cette « exploitation intégrale » mais aussi comme une dimension de l’expérience susceptible de compenser certains excès morbides de notre culture.

De ce point de vue, il initie un courant de réflexion qui sera réactivé par des philosophes contemporains. Cependant, Hainard semble clairement susceptible de nourrir les attaques de positions a-naturalistes, notamment parce que sa position semble en grande partie patriarcale ; anticoloniale certes mais non pas dénuée de préjugés historiques progressistes opposant les primitifs plus proches de la nature des civilisés ; néomalthusienne dénonçant la démographie notamment des pays les plus pauvres ; aux tendances racialistes pour ne pas dire racistes, parfois homophobes et misogynes.

On ne peut pas vraiment dédouaner Hainard de ses prises de positions politiques, au motif qu’il serait un artiste ayant d’abord un rapport poétique au monde ou qu’il « ne comprend rien à la politique » dans la mesure où, lui-même, notamment dans son dernier ouvrage Le monde plein (1991), tente de dériver un programme politique de l’amour de la nature et de sa préservation.

La pensée de Robert Hainard peut ainsi aboutir à des dérives. Si le bien-être animal peut être une cause juste, il semble difficile de transformer les idéaux qui sont invoqués pour le défendre en mesures concrètes. Les actions des Nouveaux Prédateurs semblent se conformer à la philosophie de R. Hainard.

Ainsi le point de vue de Harrow, qui montre lors des chapitres dans la réserve indienne son amour pour les animaux et sa haine pour les pays du tiers-monde est conforme aux idées de R. Hainard. J-C. Rufin met donc en garde contre les théories écologiques qui seraient transposées à la lettre en programmes politiques ou militants. Le caractère extrême de l’engagement écologique mis en avant dans Le Parfum d’Adam montre le rejet par l’auteur des solutions écologiques qui remettent en cause l’humanisme.

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Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’auteur ci-dessous.

Nicolas POYAU

Nicolas POYAU

Livres pour approfondir

Articles consacrés au mémoire

Liste des 12 articles consacrés au mémoire de Nicolas POYAU :

1 – Reconstruction de l’Identité Écologique : Redécouverte de la Faune

2 – Reconstruction de l’identité écologique : Un Voyage Initiatique vers la Nature

3 – Analyse de l’écologie radicale dans l’œuvre de J-C. Rufin

4 – Écologie, Animaux et Animisme dans La Fonte des glaces et Le Parfum d’Adam

5 – La cause animale : Pensée écologique, Écocentrisme et Littérature

6 – Le symbole animal dans l’espace sociétal : réflexions écologiques profondes

7 – Enjeux des Associations Écologiques dans l’Œuvre de J-C. Rufin

8 – Rapprochement avec la Nature : Témoignage Réaliste dans le Roman de Joël Baqué

9 – La Fonte des glaces : Louis et les Manchots Empereurs

10 – Animaux et dignité : l’expérience animiste de Louis contre la religion

11 – Critique de l’anti-spécisme dans « Le Parfum d’Adam » de J-C. Rufin

12 – Dénonciation des Riches dans l’Écologie: Analyse des Romans


Notes

[1] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, op. cit. note 27, p. 474.

[2] Ibid. p. 474.

[3] J.-B. Jeangene-Vilmer, Ethique animale, op. cit. note 106, p. 28. 124 Ibid.

[4] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, op. cit. note 27, p. 512.

[5] K.L. Matignon, Les animaux aussi ont des droits, Paris, Seuil, 2013, p. 123.

[6] D. Delorme, La nature et ses marges : la crise de l’idée de nature dans les humanités environnementales, op. cit. note 51, p. 425.

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