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politiques mémorielles françaises : limites et mémoire de la guerre d’Algérie

Cet article fait référence au chapitre 4 du mémoire de Paul GOURMAUD réalisé durant son Master 2 Digital Design à l’école de design (Nantes Atlantique).

Titre du mémoire : Lieux de mémoires et citoyen.ne.s numérique, un dialogue impossible ?. 

Cet article s’inscrit dans une série d’articles consacrés à ce mémoire.

Les politiques mémorielles et leurs limites

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque les politiques mémorielles ? Ce sont en fait des actions menées par l’État afin de proposer une écriture du récit national qui fait sens pour ses concitoyens.

Ainsi, même si ces actions peuvent paraître récentes aujourd’hui à cause de leurs fréquences, c’est bien parce que les années 90 ont marqué un tournant dans la manière de les réaliser.

En effet, à partir de la fin du XVIIIe siècle, l’État s’est engagé dans la construction d’un récit national glorifiant des événements emblématiques tels que le 14 juillet 1789 ou le 11 novembre 1918, ainsi que des figures héroïques (hommes politiques, résistants, artistes) qui ont contribué à la grandeur ou à la défense de la France.

Ce récit, visant à unifier une population composite en partageant les mêmes références à un passé glorieux, a été promu notamment à travers l’éducation. Cette politique mémorielle a perduré jusque dans les années 1980, orientant la perception collective de l’histoire nationale et la valorisation des acteurs et événements qui la composent  [1] (Ledoux, 2023).  Mais, depuis les années 90, ces politiques mémorielles ne sont plus orchestrées pour glorifier des événements et des acteurs du passé.

Désormais, les victimes des conflits et les atteintes aux droits de l’homme ont supplanté la valorisation de la souveraineté de la nation.

Ces nouvelles politiques mémorielles impliquent également une obligation morale de l’État à ne pas oublier les mémoires des victimes de ses conflits, ce « devoir de mémoire » ayant aussi pour objectif de prévenir le retour de ces événements à l’avenir.

Ces décisions passent notamment par l’application des lois mémorielles, cette dénomination ne signifiant pas que ces lois bénéficient d’un statut particulier. Elles permettent d’appliquer un point de vue officiel à des évènements historiques. La première de ces lois fut ainsi adoptée le 13 juillet 1990, c’est la loi Gayssot réprimant tous les actes racistes, antisémites ou xénophobes.

Elle considère également les actes négationnistes comme des délits. Ces actions mémorielles passent aussi par des discours, des actions directes du chef d’État qui se place en narrateur de l’histoire et promet, avec ses actions, « d’être celui qui soigne les maux de la société ».

En effet, la mémoire est désormais devenue un levier parmi d’autres afin de gagner une partie de l’opinion publique. Ainsi, donc parmi les conseillers du président, on peut retrouver un « conseiller mémoire » chargé de veiller à l’organisation des grands anniversaires, tels que l’armistice du 11 novembre ou la fête nationale du 14 juillet.

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L’historien Benjamin Stora et Emmanuel Macron, lors de la remise du rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie

Cependant, cette nouvelle direction est critiquée, notamment par des juristes qui considèrent que certaines lois mémorielles, dont la loi Gayssot, ne contiennent pas de mesures assez précises pour légiférer correctement ; de ce fait, elles n’ont qu’une finalité idéologique [2] (DuclosGrisier, 2021).

Cette transformation des politiques mémorielles incite chaque nouveau président à investir un terrain qui n’a pas déjà été conquis et à y exercer un « devoir de mémoire » toujours plus rigoureux. Le président actuel Emmanuel Macron a par exemple choisi celui de la colonisation, notamment en axant ces efforts sur la Guerre d’Algérie.

Ainsi, le 20 janvier 2021, l’historien Benjamin Stora remettait un rapport au président sur « ses conclusions et recommandations sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » [3]. Quelques mois après, le président annoncera qu’un réseau d’archives classifié en rapport avec l’événement sera ouvert. L’accès aux archives est important, c’est la matière nécessaire pour les historiens afin d’éclairer le passé.

Cependant, si l’on se rattache aux politiques mémorielles, depuis le début des années 2000, on remarque qu’elles sont davantage orientées vers des problématiques identitaires, chaque action mémorielle se faisant pour la mémoire d’un groupe (les harkis, les juifs, les arméniens, etc.).

Le risque étant de provoquer des tensions entre ces différentes mémoires, car si certaines sont valorisées, d’autres restent dans l’ombre. Nous sommes alors face à une situation contre-productive pour la construction de la mémoire collective, dans la mesure où un processus de synthèse est nécessaire pour assurer une transmission intelligible. C’est de cette tension que témoigne le calendrier des commémorations désormais bien rempli.

En effet, pour 2024, on compte 17 dates prévues, sans compter les anniversaires des conflits importants [4]. Parmi cet agenda chargé, on retrouve 3 dates reliées à la Guerre d’Algérie, le 19 mars, le 25 septembre et le 9 décembre, symptomatiques d’un manque de consensus sur cette mémoire.

Le cas complexe de la Guerre d’Algérie

Les politiques mémorielles, malgré les avancées qu’elles permettent dans l’éclairage du passé (notamment via la déclassification des archives), peuvent aussi devenir la source de tensions mémorielles. La Guerre d’Algérie est un exemple particulier, car sa commémoration reste encore problématique en France.

S’attarder sur cet exemple peut nous permettre de comprendre les causes qui amènent à ce qu’une mémoire ne passe pas. Tout d’abord, la guerre d’Algérie, déjà dans ses racines, contient des ambivalences qui la rendent difficile à commémorer. Ce conflit a en effet impliqué une diversité d’acteurs aux revendications bien différentes. On parle d’ailleurs des mémoires et non pas de la mémoire de la guerre d’Algérie.

Cette guerre aura ainsi duré 8 ans, officiellement de 1954 à 1962 en Algérie, et opposant principalement l’armée française au FLN (Front de libération nationale) et à sa section armée, l’ALN (Armée de libération nationale). Du côté de l’armée française, on retrouve des soldats avec de l’expérience, ayant déjà combattu en Indochine, mais cultivant un ressentiment après avoir participé à une guerre très impopulaire.

Ces « rappelés » arrivent donc en Algérie avec un esprit revanchard, ils ne veulent pas perdre « l’Algérie française ». À leurs côtés, on retrouve les « appelés » des militaires plus jeunes, abandonnant leur travail, leurs familles pour participer à leur première guerre. Ils sont beaucoup plus nombreux que les rappelés, mais seront traumatisés par leur expérience sur le champ de bataille.

Parmi eux, l’armée française recrutera aussi des Algériens, majoritairement des paysans, ce sont les « Harkis ». Ces soldats supplétifs rejoindront l’armée française pour des raisons très diverses. Mais ils sont pris dans un entre-deux : d’un côté, ils subissent la méfiance des autres soldats français, et de l’autre, le risque de représailles de leur propre peuple qui les voient comme des traîtres. Enfin, parmi les victimes, on compte aussi les civils.

En Algérie, ce sont principalement les « pieds-noirs », des colons européens qui se sont établis en « Algérie française » avant la guerre [5] (Dalisson, 2018).

Ainsi, les accords d’Évian signés le 18 mars 1962 instaurent un cessez-le-feu en Algérie et la fin officielle de la guerre. Cependant, il n’est pas encore question d’utiliser le mot « guerre », on parle plutôt des « événements » ou des « opérations de maintien de l’ordre », jusqu’en 1999 où une loi est votée pour adopter l’expression « à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc ».

Ce manque de clarté transparaît aussi dans le choix des dates de commémorations qui sont encore débattues, témoignant d’un manque de consensus entre les multiples acteurs de cette mémoire. La principale, le 19 mars, est la « journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la Guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc » (Duclos-Grisier, 202 ) [6].

Cette date acte la fin officielle de la guerre, mais pour certaines communautés telles que les harkis ou les pieds noirs, elle marque aussi le début des violences à leur encontre. À l’image du 5 juillet 1962, quelques mois après les accords d’Évian, où des centaines de personnes seront tuées à Oran, la ville la plus européenne d’Algérie, les causes de la fusillade restent encore mal connues tout comme le nombre de victimes exact [7].

En plus du 19 mars, le 5 décembre célèbre également l’ensemble des morts pour la France pendant la guerre d’Algérie ainsi que les combats du Maroc et de la Tunisie. La différence étant que cette date est accolée à l’érection d’un mémorial à l’initiative de Jacques Chirac en 2002. La date n’a donc pas de relation directe avec l’histoire des événements et peut se confondre avec celle du 19 mars [8].

On note finalement que le 25 septembre est spécifiquement dédié à la mémoire des anciens harkis et autres membres des formations supplétives ayant servi aux côtés de l’armée française. Ainsi, chaque commune, chaque association peut décider de commémorer l’une ou l’autre des dates proposées en fonction de son point de vue sur les événements.

Ce n’est donc pas pour faciliter la discussion autour de ces mémoires et le problème provient peut-être davantage d’un manque de pédagogie autour de ces histoires, comme le suggère l’historien Rémi Dalisson : « Il faut sortir des mythes d’une identité française, gauloise qui ne devrait pas changer, surtout à l’ère des migrations comme aujourd’hui […] Tout ça, ce sont des problèmes mal expliqués, instrumentalisés, comme l’est la guerre d’Algérie et comme l’est la commémoration. » [9] (Dalisson, 2018)

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Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’auteur ci-dessous.

Paul Gourmaud

Paul GOURMAUD 

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Notes


[1] Ledoux, S. (2023, 12 mai). Les politiques mémorielles en France depuis les années 1990 Vie publique Consulté le 12 novembre 2023, à l’adresse https :// urlz.fr/pyHJ

[2] Duclos-Grisier, A. (2021, 3 mai). Lois mémorielles : la loi, la politique et l’Histoire. Vie publique Consulté le 15 février 2024, à l’adresse https ://urlz.fr/pz2D

[3] Elysée. (2021, 20 janvier). Remise du rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Consulté le 15 février 2024, à l’adresse https://urlz.fr/pERC

[4] Préfet du Nord. (s. d.). Cérémonies officielles & protocole. Les Services de L’État Dans le Nord. Consulté le 15 février 2024, à l’adresse https://urlz.fr/pzgJ

[5] Dalisson, R. (s. d.). L’impossible commémoration de la guerre d’Algérie (De 1962 à nos jours) | Canal U. Dans Canal-U [Rediffusion]. Université de Roue, Rouen, Normandie, France. Consulté le 26 juillet 2023, à l’adresse, https:// urlz.fr/pDrP

[6] Duclos-Grisier, A. (2023, 16 mars). Guerre d’Algérie : quelle célébration du 19 mars 1962 ? Vie Publique. Consulté le 16 février 2024, à l’adresse https://urlz.fr/c87F

[7] Mémoires des hommes. (2022, 4 juillet). Victimes des massacres d’Oran le 5 juillet 1962. Mémoire des Hommes. Consulté le 16 février 2024, à l’adresse https://urlz.fr/pzMD

[8] SGA du ministère des Armées. (2022, 12 décembre). [De la mémoire à l’Histoire] Comprendre la Journée nationale d’hommage du 5 décembre [Vidéo]. YouTube. Consulté le 16 février 2024, à l’adresse https://www.youtube.com/ watch?v=CTB6fLSrL1Q

[9] Dalisson, R. (s. d.). L’impossible commémoration de la guerre d’Algérie (De 1962 à nos jours) | Canal U. Dans Canal-U [Rediffusion]. Université de Roue, Rouen, Normandie, France. Consulté le 26 juillet 2023, à l’adresse, https:// urlz.fr/pDrP

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