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Dénonciation des Riches dans l’Écologie: Analyse des Romans

Cet article fait référence au chapitre 3 (3) du mémoire de Nicolas POYAU réalisé durant son Master II Écriture, Culture, Médias à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3(2021/2022)

Titre du mémoire : L’illustration de la pensée écologique française dans La Fonte des glaces de Joël Baqué et Le Parfum d’Adam de J- C. Rufin – Une étude du rapport entre l’Homme et l’animal dans la littérature écologique

Chapitre 3 (3) : Un débat écologique biaisé par l’élection sociale

Cet article s’inscrit dans une liste de 12 articles consacrés à ce mémoire, à retrouver à la fin.

Un débat écologique biaisé par l’élection sociale 

Les deux romans ne sont cependant pas seulement des moyens pour les auteurs de dénoncer la perception moderne de l’engagement écologique. Les œuvres pointent également du doigt le rôle de certains groupes dans la destruction de l’environnement ; ou dans sa non-préservation. 

La dénonciation des riches comme destructeurs de l’écologie

Les personnages du roman de J-C. Rufin qui font partie des Nouveaux Prédateurs ne sont en réalité pas uniquement motivés par la défense de l’écologie. Si le professeur détaille dans le chapitre mentionné précédemment l’idéologie qui a inspiré le groupe, leurs agissements ont un objectif différent.

En effet les raisons qui poussent le groupuscule terroriste à vouloir tuer les populations les plus pauvres sont précisées par l’intermédiaire de leur instigateur, le milliardaire McLeod. Le lecteur est ainsi au fait d’un second discours politique, loin de l’idéalisme d’un professeur déconnecté de la réalité sociale et environnementale. Le discours que McLeod a avec Paul, l’agent de Providence, est très tardif dans le roman.

Ce chapitre est le dernier qui soit dépourvu d’actions qui amènent au dénouement. J-C. Rufin semble donner une explication concrète aux agissements des Nouveaux Prédateurs afin de souligner l’importance des théories écologiques. Toutefois la brutale comparaison que fait Mc Leod entre les discours théoriques et les actions pratiques semble aussi rappeler le lecteur à la réalité et à une vérité simple : de telles théories peuvent aboutir à de telles actions. Mc Leod est le personnage qui illustre la transition entre les théories écologiques extrêmes et le terrorisme dans le roman[1] : 

Je participais à une réunion avec des économistes de ces groupes que l’on appelle maintenant les néo-conservateurs. Je venais d’entendre un exposé brillant, quoique passablement ennuyeux sur le thème : « Faut-il encourager le développement du tiers-monde ? » C’est une question délicate pour les partisans du capitalisme. […] En même temps on voit bien qu’il est techniquement impossible d’assurer à six milliards de gens le même niveau de vie que le nôtre.

Et il est inacceptable pour nous de mettre des entraves au progrès dans nos pays au motif que ces acquis ne pourraient pas être généralisés au monde entier. L’orateur éludait un peu la question et se contentait d’énoncer une liste d’avantages et d’inconvénients dans différentes options.

C’est à ce moment-là que je suis intervenu. […] J’ai dit : « Ne croyez-vous pas que le problème central est celui de la démographie ? » […]. Inutile de vous dire que l’ambiance s’est refroidie. Les économistes n’aiment pas trop qu’on leur rappelle la dimension humaine de leurs choix. […] D’autant qu’il y avait là-dedans pas mal de chrétiens intégristes. Ils avaient compris ma question comme un encouragement à l’avortement et à la contraception. 

La rupture avec l’aspect théorique de la défense de l’environnement est ici très marquée. Au contraire des Harrow et des autres membres des Nouveaux Prédateurs , McLeod porte un regard froid et cynique sur le domaine de la pensée. Ainsi les propos du milliardaire se rapprochent d’une pensée écologique américaine proche de l’utilitarisme de P. Singer.

En outre le théoricien défendait l’avortement et le percevait comme un moyen de ne pas donner la vie à des êtres indignes, écologiquement dangereux. David Samson précise cette vision de l’écologie dite anti-spéciste (puisqu’elle se fonde sur la dignité plutôt que le critère darwinien de l’espèce)[2] : 

L’anti-spécisme, considéré en général comme un courant apparenté sinon membre à part entière de la deep ecology, en diffère en réalité non seulement sur le plan historico-politique mais surtout par la doctrine philosophique qui l’informe, laquelle s’oppose frontalement au « biocentrisme ». Dès le départ, les « défenseurs des animaux » furent choqués par le principe de l’ « égalitarisme biocentrique » formulé par Næss, qui le tempérait par la clause selon laquelle il s’agissait d’une position de « principe » « puisque toute praxis réaliste exige en partie de tuer, d’exploiter et de supprimer ».

Réciproquement, depuis que certains anti- spécistes revendiquent la fin de la domestication de certaines espèces, quitte à ce que cela entraîne leur extinction, c’est au tour des « éco centristes » de défendre certains animaux. L’opposition est toutefois plus profonde que ces débats et ce n’est peut-être pas un hasard si, précisément, P. Singer se fonde sur l’utilitarisme, décrié par la deep ecology en tant qu’il mènerait d’une part à une quantification du bonheur et d’autre part à l’anthropocentrisme.

Indéniablement, l’« antihumanisme » est plutôt du côté du mouvement « anti-spéciste » et de « libération animale » : Singer prétend « démontrer » que la vie de certains animaux « supérieurs » serait ou pourrait être « plus digne » que celle de certains handicapés ou personnes en état de coma. 

Cette position – qu’il faut rapporter à sa défense de l’avortement – est le fruit de sa prétention à briser la « différence anthropologique », en accordant le statut d’être moral (sinon de sujet de droit) aux « grands singes » (catégorie extensible sous certaines conditions).

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Dans la mesure où il reproduit la hiérarchie ontologique de Th. d’Aquin, la deep ecology peut l’accuser de justifier le désintérêt presque complet à l’égard des formes de vie « inférieures » – accordant, au mieux, non pas une dignité mais un respect dû à leur sensibilité à l’égard de certains animaux –, lequel serait camouflé par l’attention donnée à la souffrance ; les plantes, le non- vivant et les écosystèmes n’ont, dans son système, aucune « valeur intrinsèque ».

Cette position – qui n’est « anti-écologique » qu’à condition d’affirmer que l’écologie doit être « biocentrique » – est le résultat d’une démarche anthropocentrique assumée et de sa méthode utilitariste et analytique. 

La notion d’utilitarisme, poussée ici à son extrême pourrait être le reflet d’une haine du biocentrisme : dans la conception de McLeod et de Fritsch l’homme doit rester maitre de la nature. Le milliardaire développe une conception de la nature ou l’homme reste dominant dans la hiérarchie des espèces. Le titre du groupe les “Nouveaux Prédateurs” énonce clairement la position dans laquelle pense se trouver ces extrémités. Ils conçoivent les membres du groupe comme des prédateurs qui chasseraient des êtres humains incapables d’être au sommet de l’évolution.

Ces êtres sont supposés incapables d’évoluer pour préserver la planète, car trop faible. Le critère distinctif entre les prédateurs et leurs victimes semble être la richesse. J-C. Rufin s’attache dans la suite du roman à souligner le peu de cas que font les instigateurs de ces actes terroristes de la vie humaine des pauvres. 

L’auteur commence par mettre en avant l’entre-soi d’un groupe de riches possédants qui veulent imposer leur propre vision de la lutte pour l’environnement[3] : 

« Pendant son séjour à New York, Roguluski m’a aidé à retrouver les autres étudiants du séminaire 67. C’est là que nous avons appris que certains d’entre eux avaient continués de se voir et même de tenir de petites réunions d’anciens. […] Vous savez que beaucoup sont devenus des gens importants dans leurs pays. Aucun cependant je peux vous l’assurer n’a oublié sa passion de jeunesse ni renié cette année passée chez Fritsch.

Certains avaient d’ailleurs essayés de mettre en pratique ces idées à la place qu’ils occupaient et avec les moyens dont ils disposaient. […] Il fallait pas mal d’imagination pour retrouver en eux les jeunes loups de 67. Mais dès que nous avons commencés à parler, nous nous sommes tout de suite reconnus. » 

Les personnes en présence possèdent des capacités financières qui les distinguent des militants classiques. Cette fortune est aussi la cause de leur mépris et de leur rejet des pauvres. En effet la défense de l’environnement semble prendre ici un aspect financier : il faut avoir un pouvoir monétaire pour prétendre protéger la nature. Le groupe fondateur des Nouveaux Prédateurs peut être caractérisé par la richesse et le dédain des autres groupes écologiques au vu des propos de McLeod[4] : 

Avec Roguluski nous avions l’intuition que si nous voulions rester dans l’ombre il nous fallait disposer d’un relais. Nous cherchions des gens ouvertement fanatiques et violents auxquels nous pourrions fournir des moyens, mais qui agiraient à notre place. […]Nous avons commencé à lire sur Internet la prose des mouvements extrémistes et cela nous a totalement désespérés.

[…] Malheureusement nous n’avions pas mesurés à quel point ces groupes diffèrent de nous sur un point essentiel : ils sont tous dirigés contre les élites et non contre les masses. Ils se trompent d’objectif. Ils combattent la solution et non le problème. 

Le milliardaire distingue ainsi clairement le groupe écologique qu’il forme des autres actions écologiques. La lutte contre les pauvres fait partie des principes fondateurs du groupe. Le roman de J-C. Rufin dénonce cette position et souligne en réalité les excès des populations dites “riches” qui veulent continuer à pouvoir profiter des ressources pour leur propre profit. Les Nouveaux Prédateurs tels que Mc Leod soutiennent que les zones les plus polluées de la planète le sont à cause des populations pauvres.

Les agissements qu’ils mènent visent à détruire les populations en question, ce qui selon eux résoudra les problèmes écologiques. En effet ils conçoivent l’écologie comme un problème territorial et non global (ce qui va de pair avec l’appropriation des ressources évoquées précédemment). Cette confusion entre pauvreté et zones polluées est levée par Hervé Kempf dans Comment les riches détruisent la planète[5] : 

Deuxième observation : la pauvreté est liée à la dégradation écologique. Les pauvres vivent dans les endroits les plus pollués, à proximité des zones industrielles, près des voies de communication, dans les quartiers mal desservis en eau ou en ramassage d’ordures. Une façon d’appréhender la pauvreté autrement qu’en termes monétaires passerait ainsi par une description des conditions environnementales d’existence.

De surcroît ce sont les pauvres qui subissent prioritairement l’effet de la crise écologique. […] L’impact du changement climatique s’exercera surtout sur les parties les plus pauvres du monde – par exemple en exacerbant la sécheresse et en réduisant la production agricole des régions les plus sèches – alors que l’émission des gaz à effet de serre provient essentiellement des populations riches. 

Le problème écologique implique ainsi la pauvreté et la crise environnementale de manière corrélative. Il ne faut cependant pas faire de raccourci de pensée entre ces deux aspects. La destruction de l’environnement affecte davantage les populations les plus pauvres. Leur mode de vie est impacté par la mondialisation, l’exemple des favelas du Brésil étant prit par J-C. Rufin dans le roman.

Toutefois il ne faut pas inverser le raisonnement : les conditions de vie des populations pauvres sont une conséquence de l’écologie, et non la cause de la destruction de l’environnement. J-C. Rufin rappelle tout au long du roman les enjeux et les motivations des Nouveaux Prédateurs. Le désaveu final de Juliette vient en effet invalider ce raisonnement infondé. 

image 1 23 Dénonciation des Riches dans l'Écologie: Analyse des Romans

La critique des médias 

Dans son œuvre Joël Baqué ne traite que peu de l’anthropocentrisme. L’auteur préfère mettre en relief le comportement des êtres humains vis-à-vis de la question écologique. 

L’auteur met principalement en avant le comportement absurde des médias face au comportement animiste de Louis. Les médias impliqués ne cherchent qu’à faire de l’audimat. Ils ne s’attardent pas sur le questionnement écologique que peut créer le lien étroit entre Louis et les manchots empereurs. Plusieurs médias sont visés par l’auteur, notamment les médias traditionnels via la télévision et Internet via YouTube[6] : 

CCF Télévisons s’employa à entretenir cette polémique sans se mettre en position d ‘être accusé de propager de fausses informations. Elle se contentait de diffuser les images du transfert à terre de l’équipage et des passagers du Nathanaël. Ces images furent visionnées des milliers de fois sur YouTube. […] La vidéo du flirt de Louis avec la femelle manchot empereur revint en force sur les réseaux sociaux […]. 

Ce battage médiatique donne même lieu à des manifestations collectives. Le personnage devient célèbre en tant que symbole du club de rugby de Toulon. Toutefois l’intérêt écologique est vite écarté. L’auteur semble ainsi dénoncer le traitement de l’information[7] : 

Louis devint très populaire parmi les supporters du RC Toulon et bien au-delà. La vidéo ou il scandait « Toulon ! Toulon ! Toulon ! » et celle où il flirtait avec une femelle manchot empereur avaient fait le tour du monde. Il était désormais un people. D’innombrables demandes d’interviews et invitations à des émissions de télévision, de radio, à des talk-shows, mirent fin à son statut de solitaire postal. La médiathèque de Toulon le pria de participer une soirée spéciale. Sa messagerie fut également envahie, sans qu’il sache comment son adresse électronique pouvait être connue d’autant de personnes. 

Joël Baqué cite différents types de médias et souligne l’intérêt particulier qu’ils ont pour Louis en tant qu’être humain. Le toulonnais attire la sympathie des foules pour diverses caractéristiques qui lui sont propre mais jamais pour celle qui le caractérise aux yeux du lecteur : le fait qu’il considère les manchots empereurs comme ses égaux.

Le public ne s’intéresse pas à l’animal. Le comportement des personnes qui s’intéressent à l’aventure de Louis est en réalité biaisé par le traitement que font les médias de l’information. Le thème de l’écologie n’est jamais abordé dans les comptes rendus que font les journaux de télévision de radios etc. L’information que transmettent les journalistes se concentre sur un être humain et non sur la faune.

La médiatisation des actions de Louis contribue ainsi à attirer encore plus l’attention sur le personnage mais d’une telle façon que cela nuit aux manchots empereurs. D’un côté Louis n’a pas réussi à être un symbole du mode de vie des manchots empereurs dans leur habitat naturel ; de l’autre il ne parvient plus à préserver le rapport intime qu’il entretien à Toulon avec l’espèce[8]

Beaucoup ont un jardin secret, mais seul Louis possédait un grenier-banquise, qui désormais n’étais plus secret. Beaucoup ont des animaux de compagnie mais la Dream Team est unique. 

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Louis a ainsi perdu l’anonymat mais sans pouvoir défendre les manchots empereurs. Le groupe de manchots empeurés qu’il héberge dans son grenier est un symbole qui n’est en réalité utilisé dans le seul but de mettre en valeur l’excentricité du personnage. Le comportement absurde de Louis servant à augmenter l’audimat. Louis n’a pas réussi à transmettre son intérêt pour les manchots empereurs, ni à faire de l’animal un symbole de la défense de l’environnement.

Les médias jouent ici un rôle important puisqu’ils sont entièrement responsables du regard du public sur Louis, ce dernier s’exprimant très peu. Les médias tendent à considérer les évènements liés à la lutte environnementale comme banals d’après l’analyse de L. Semal. En effet l’intérêt sociologique de tels mouvements n’est plus assez fort pour pousser les médias à mettre en avant ces actions [9] :

La sociologie des mobilisations écologistes a bien profité de ce foisonnement théorique et méthodologique. Les travaux de Sylvie Ollitrault, notamment, rendent efficacement compte de la diversité des pratiques militantes écologistes, et de l’utilité de ces outils sociologiques récemment développés pour expliquer les modalités contemporaines de ces engagements – par exemple, la tendance à organiser des campagnes ponctuelles mises en scène de manière à attirer l’attention des médias, le recours accru aux outils numériques, ou la multiplication des réseaux informels qui gravitent autour des organisations plus institutionnalisées.

De plus, ces approches innovantes enrichissent les paradigmes préexistants, mais sans s’y substituer. Les approches en termes de mobilisation des ressources – par exemple de ressources scientifiques, ainsi que l’avaient mis en évidence Dorothy Nelkin et Michael Pollak, en 1981, au sujet des mobilisations antinucléaires – demeurent parfaitement valables.

[…] Sur le fond, cependant, ce foisonnement d’outils et d’approches méthodologiques tend aussi à normaliser l’étude sociologique des mobilisations écologistes – c’est-à-dire que les mobilisations écologistes tendent à être perçues comme suffisamment normales, par rapport aux autres mobilisations, pour ne pas justifier une approche sociologique spécifique.

À cette normalisation de la sociologie des mobilisations écologistes correspond, au niveau empirique, une tendance à l’institutionnalisation et à la routinisation des questions environnementales comme enjeu politique, dont rendent compte de nombreuses études. 

Le lecteur pourrait ainsi percevoir au travers du comportement des médias un désintéressement généralisé vis-à-vis des enjeux écologiques. Aucun intérêt tangible des médias pour la préservation de l’environnement n’est détaillé dans le roman. Les personnages en présence expriment leur curiosité quant aux agissements de Louis mais ne s’interrogent pas sur son amour pour les manchots empereurs. Le traitent que les médias font de l’écologie est anthropocentré.

En effet ils en considèrent que Louis est un représentant déviant de leur espèce. Ils ne s’attardent pas sur son “intégration” à une autre espèce. Ainsi le comportement de la femelle manchot empereur qui veut s’accoupler avec lui ne les fait pas réfléchir. La proximité possible entre l’homme et la nature illustrée par le parcours de Louis n’est pas analysée par les médias. Elle n’est pas non plus comprise par l’entourage du personnage principal. Le “réensauvagement” que prône S. Moscivici ne semble pas être transmissible dans la diégèse du roman. 

Les deux auteurs s’emploient donc à décrire un débat écologique biaisé dans leurs œuvres. Le regard que porte un groupe écologique dénué de considération pour les populations pauvres le conduit à faire un amalgame entre pauvreté et désastre environnemental dans l’œuvre de J-C. Rufin. Le roman de Joël Baqué se concentre plutôt sur le traitement des actions écologiques des personnages.

L’auteur ne s’attarde pas sur la futilité des actions de Louis puisque le fait qu’il assume son intérêt pour un animal en particulier ne le discrédite pas aux yeux du lecteur. Le romancier dénonce au contraire l’intérêt médiatique pour de telles actions. Il compare la simplicité des actions de Louis avec les excès médiatiques de la télévision notamment. Le toulonnais se retrouve ainsi dans une position de victime puisque sa vie personnelle n’est plus respectée. 

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Conclusion

Les ouvrages présentent des conceptions différentes du rapport entre l’homme et l’environnement. La figure de l’“animalité” ne se conçoit au fond dans les deux œuvres comme une altérité qui permet aux personnages principaux de réfléchir sur l’écologie. Ainsi dans l’œuvre de J-C. Rufin le lien entre Juliette les animaux n’est pas l’intérêt principal du roman.

Si le premier chapitre fait figure de mise en situation, les enjeux qu’il traite ne sont pas développés par la suite. En effet la figure de l’animal va évoluer tout au long du roman. Aux chimpanzés dans le premier chapitre succèderont Juliette elle-même, puis les habitants des favelas de Rio, puis Harrow, décrit comme inhumain.

Dans l’œuvre de Joël Baqué la figure de l’animal n’inclue au départ que l’éléphant qui tue le père de Louis. Plus tard les manchots empereurs présentés dans le grenier de Louis, malgré leur état d’animal empaillé, symboliseront la présence des animaux dans notre société et le rapport que l’on peut entretenir avec eux. Louis rencontre par la suite de véritables manchots empereurs avant de devenir lui-même une figure de l’animal de foire qui attire les médias du fait de son comportement. 

Les “animaux” présentés n’ont aucun rôle dans la diégèse des œuvres, ils sont même passifs. Il est donc bien question de notre rapport à ce que l’on nomme “animalité” et dans quelle proportion ce rapport peut influer sur notre engagement écologique. Dans Le Parfum d’Adam Juliette garde toujours un regard extérieur sur ces figures de l’animalité, conservant ainsi une certaine distance qui peut rappeler la séparation que R. Hainard fait entre l’homme et la nature.

Pour J-C. Rufin il n’est pas question de faire un rapprochement entre l’homme et la nature. Chacun à sa valeur propre et doit être respecté. Ce message de respect et de préservation de la vie des figures animales dans le roman est illustré par le parcours de Juliette.

Cette dernière témoigne de l’extrémisme des Nouveaux Prédateurs qui nient toute coopération entre leur groupe social de référence (les riches) et les autres (ceux qui ne peuvent réduire leur empreinte écologique). J-C. Rufin prône ainsi un équilibre qui le rapproche de la philosophie de R. Hainard[10] : 

Pour Robert Hainard, le monde est en fait traversé de couples, de pôles en équilibre. La vie est un phénomène d’équilibre, un phénomène contradictoire qui, à tous points de vue oscille entre deux pôles sans pouvoir atteindre l’un ou l’autre. Elle est faite de la tension, si j’ose dire, entre l’individu et le tout qui le réabsorbera, entre la pression extérieure et la poussée interne, entre la personne passionnée, et le tout impassible. »

Par conséquent, il convient de veiller à respecter cet équilibre. […] Quant à l’homme, il est donc à la jonction de la nature et de la culture. Il relève de la nature par sa dimension organique mais s’en distancie surtout par sa capacité exceptionnelle à s’en abstraire par sa raison. Il doit donc veiller à ne pas nier l’un de ses deux pôles constitutifs. 

Cette prise de conscience de la part naturelle qui est présente dans chaque homme n’est pas à négliger selon J-C. Rufin. Il faut en effet avoir conscience de notre essence naturelle pour ne pas tomber dans un anthropocentrisme contre l’Homo sapiens.

Le critère de distinction entre l’homme et la faune se fonde sur un rapport de domination entre le riche occidental et le pauvre du tiers-monde dans la pensée des Nouveaux Prédateurs. L’équilibre entre les pôles théorisé par R. Hainard est ainsi brisé car le groupe terroriste se fonde uniquement sur la raison. Ils décident ainsi de supprimer ceux qu’ils considèrent comme l’autre “pôle”. 

Cette bipolarité est au contraire absente du roman de Joël Baqué. Louis ne se considère jamais comme un être supérieur aux manchots empereurs qu’il côtoie. Son statut tout au long du roman tend plutôt à exclure Louis du groupe dominant les manchots empereurs : les humains.

Le personnage reste à distance de ses semblables malgré ses interactions fréquentes avec une journaliste à la fin du roman. Si l’opposition entre les deux romans n’est pas aussi nette que l’opposition entre S. Moscovici et R. Hainard (notamment parce que J-C. Rufin s’écarte du jugement critique de Hainard sur la démographie des pays pauvres) elle reste présente.

L’auteur de La Fonte des glaces construit en effet son roman autour de la proximité entre Louis et les animaux qui conduit au réensauvagèrent du toulonnais. Le philosophe français se veut contre les logiques partisanes et prône une forme de subversion passive : 

[…], Serge Moscovici définit alors les contours d’un naturalisme subversif. « Le naturalisme affirme l’unité de la société et de la nature. Il postule l’unité de l’homme, de l’histoire, et ainsi de suite, avec la nature, l’unité des sciences de l’homme et des sciences de la nature. 

C’est précisément ce comportement qui peut caractériser Louis. Le toulonnais ne cherche pas à promouvoir l’image du manchot empereurs de manière directe mais à illustrer, au travers de son mode de vie, la symbiose possible entre l’animal et l’homme. 

Son engagement n’est que peu affirmé au cours du roman mais son impression finale sur les évènements présents dans la narration traduit cette déception. Le personnage est l’illustration de la condition animale puisqu’il adopte peu à peu le mode de vie des manchots empereurs.

Malgré le caractère évidemment absurde de la narration et l’usage d’un ton comique le parcours de Louis semble être une critique du rapport traditionnel entre l’homme et la nature. Le comportement des médias est ainsi très nettement critiqué pour son traitement caricatural de la vie de Louis. Le traitement que fait l’auteur des journalistes est si marqué par l’absurde que par effet de comparaison l’histoire de Louis devient réaliste. 

L’œuvre de Joël Baqué semble ainsi être l’exemple d’une coopération avec l’animal (et donc la nature) telle que la décrit S. Moscovici139 : 

La nature est […] la terre sur laquelle se rencontrent hommes et animaux sous le ciel orageux ou le soleil rayonnant […]. En y vivant et en y travaillant, les hommes ne font qu’un avec la nature, ils sont la nature. » Les hommes choisissent donc leur état de nature.

De ce constat, Serge Moscovici tirera une charge furieusement argumentée contre une certaine société moderne. hard ecology […]. Car toute la culture occidentale repose sur le postulat erroné d’une nature désordonnée, et magnifie la culture et une certaine orthodoxie face au naturalisme et aux courants hétérodoxes. 

Les deux auteurs rejettent ainsi chacun un traitement de la cause écologique. J-C. Rufin s’oppose à un traitement unilatéral de la question animale et réaffirme la nécessité de lier défense sociale avec lutte écologique. L’auteur se sert de la pauvreté comme figure de l’animalité dans ce but.

Joël Baqué semble compléter cette défense de la faiblesse par un éloge du rapport à la nature et une critique des codes qui régissent notre rapport à l’animalité. Ces deux visions permettent aux auteurs d’introduire la notion de défense de l’environnement et de l’ancrer dans notre quotidien, l’un au travers d’une actualité politique, le terrorisme écologique ; l’autre au travers d’une actualité médiatique sur un personnage amoureux de la nature au sens littéral du terme. 


Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’auteur ci-dessous.

Nicolas POYAU

Nicolas POYAU

Livres pour approfondir

Articles consacrés au mémoire

Liste des 12 articles consacrés au mémoire de Nicolas POYAU :

1 – Reconstruction de l’Identité Écologique : Redécouverte de la Faune

2 – Reconstruction de l’identité écologique : Un Voyage Initiatique vers la Nature

3 – Analyse de l’écologie radicale dans l’œuvre de J-C. Rufin

4 – Écologie, Animaux et Animisme dans La Fonte des glaces et Le Parfum d’Adam

5 – La cause animale : Pensée écologique, Écocentrisme et Littérature

6 – Le symbole animal dans l’espace sociétal : réflexions écologiques profondes

7 – Enjeux des Associations Écologiques dans l’Œuvre de J-C. Rufin

8 – Rapprochement avec la Nature : Témoignage Réaliste dans le Roman de Joël Baqué

9 – La Fonte des glaces : Louis et les Manchots Empereurs

10 – Animaux et dignité : l’expérience animiste de Louis contre la religion

11 – Critique de l’anti-spécisme dans « Le Parfum d’Adam » de J-C. Rufin

12 – Dénonciation des Riches dans l’Écologie: Analyse des Romans


Notes


[1] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam  note 27, p. 614. 

[2] D. Samson, La crise environnementale : critique historique et philosophique des notions de conscience écologique et de rationalité instrumentaleop. cit. note 75, p. 30. 

[3] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam note 27, p. 615‑616. 

[4] Ibid. p. 619. 

[5] H. Kempf, Comment les riches détruisent la planète ?, Paris, Seuil, 2007, p. 54‑57.

[6] J. Baqué, La Fonte des glaces  note 34, p. 208. 

[7] Ibid. p. 213. 

[8] J. Baqué, La Fonte des glacesop. cit. note 34, p. 230. 

[9] L. Semal, Militer à l’ombre des catastrophes : contribution à une théorie politique environnementale au prisme des mobilisations de la décroissance et de la transition.op. cit. note 46, p. 151. 

[10] J. Jacob, « Les natures changeantes de l’écologie politique française, une vieille controverse philosophique Robert Hainard, Serge Moscovici et Bernard Charbonneau », Presses de Sciences Po, « Ecologie et politique », 2012, no 44, p. 32, URL : https://www.cairn.info/revueecologieet– politique-sciences-cultures-societes-2012-1-page-29.htm, consulté le 21/07/2022. 

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