eco5 La cause animale : Pensée écologique, Écocentrisme et Littérature

La cause animale : Pensée écologique, Écocentrisme et Littérature

Cet article fait référence au chapitre 2 (1-A) du mémoire de Nicolas POYAU réalisé durant son Master II Écriture, Culture, Médias à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3(2021/2022)

Titre du mémoire : L’illustration de la pensée écologique française dans La Fonte des glaces de Joël Baqué et Le Parfum d’Adam de J- C. Rufin – Une étude du rapport entre l’Homme et l’animal dans la littérature écologique

Chapitre 2 (1-A) : La mise en scène des animaux dans la littérature- Une relecture du milieu naturel environnant contre l’anthropocentrisme

Cet article s’inscrit dans une liste de 12 articles consacrés à ce mémoire, à retrouver à la fin.

Écrire le quotidien pour mettre en avant la cause animale

Les deux romans présentent des scènes réalistes malgré la sensation absurde laissée au lecteur. D’un côté La Fonte des glaces de Joël Baqué est centré autour du rire et de l’irrationnel. De l’autre J-C. Rufin prend le parti de critiquer l’écoterrorisme dans un siècle qui a plus que jamais besoin d’un engagement écologique fort. La manière dont les deux auteurs traitent l’écologie semble contreproductive.

La première, trop distante et désincarnée, parait incapable de transmettre un message clair de soutien à l’écologie. La seconde met en avant la polémique autour des actions pour l’environnement. Et pourtant les deux œuvres nourrissent la réflexion du lecteur sur le sentiment écologique.

Afin de servir ce but les thèmes abordés sont très simples. Louis prend soin d’un animal de compagnie et Juliette décide de sauver des êtres humains par pur altruisme. Ce sont les dilemmes moraux, disséminés dans la narration, qui font réfléchir le lecteur. En effet les deux livres s’attardent sur le quotidien des personnages.

Le roman La Fonte des Glaces se centre autour des évènements de la vie de Louis, tandis que J-C. Rufin prend le temps de faire maturer, par prises de conscience progressive au cours de son aventure, la réflexion de Juliette.

La mise en scène des animaux dans la littérature

L’importance des animaux dans les deux œuvres étant centrale, les deux auteurs prennent le temps de créer un cadre propice pour que le lecteur puisse s’identifier aux “animaux” présents dans les œuvres. Qu’ils soient des êtres non humains, ou considérés comme de simples Homo sapiens du fait de leur pauvreté. L’objectif des romanciers semble être de développer un sentiment de “symbiose” entre les personnages principaux et les animaux, à réinterpréter pour le lecteur.

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Une relecture du milieu naturel environnant contre l’anthropocentrisme

L’orientation du regard du lecteur par passe par une évolution du lien quotidien qu’entretien la figure héroïque dans les œuvres avec celle de l’animalité. Les narrateurs commencent par mettre en avant la présence jusque-là sous-estimée des animaux déjà présents dans notre quotidien. La narration d’événements relatant la défense de la faune s’accompagne ainsi d’une étude sur les limites de l’anthropocentrisme.

L’œuvre de Joël Baqué s’articule dans sa deuxième partie autour de l’intérêt qui pousse Louis à vouloir découvrir l’environnement naturel des manchots empereurs. Cette volonté de se renseigner sur l’oiseau puis de comprendre son mode de vie sur le terrain est clairement annoncée quand Louis se rend en médiathèque.

Ce passage marque le début d’une évolution dans la caractérisation du personnage : désormais il n’est plus un charcutier qui collectionne des animaux mais un être humain qui veut adopter le mode de vie des manchots empereurs. Ce rapport se fonde sur un respect détaillé précédemment mais qui se double ici d’une volonté de “rencontrer” les oiseaux. Le voyage en Antarctique organisé par Louis sert ce dessin[1] :

Après son réveil, ce téméraire séjour dans les cavernes du temps, Louis se sentit une âme d’explorateur. Le moment de passer à l’action était arrivé ! Après son premier expresso il fonça à la médiathèque pour préparer le long voyage qui le conduirait à la patrie du manchot empereur.

La volonté de Louis de rencontrer le manchot empereur témoigne d’une démarche documentaire proche de celle du reporter. Ce comportement curieux est à même de pousser le lecteur à adopter un schéma de pensée similaire. En effet le lecteur, dans sa recherche d’authenticité va s’interroger sur l’environnement qui l’entoure.

Louis décide de ne plus seulement être dans un cadre qu’il maitrise, son chez lui ; mais de s’immerger dans un autre cadre de référence, celui de l’habitat des manchots empereurs. Le critère principal de ce rapprochement est un respect qui rappelle la notion de biocentrisme égalitariste théorisée par A. Schweitzer. Dans son ouvrage sur les Ethiques de la Nature Gérald Heiss soutient que la découverte de l’animal est une étape nécessaire dans la pensée de A. Schweitzer[2] :

Par conséquent, la connaissance est dépassée dans l’épreuve vécue du vouloir-vivre et son intensification par une ‘disposition’ pratique fondamentale, celle du respect de la vie. Le respect de la vie est clairement une vertu morale – un sentiment universel, « mélange de vénération et d’admiration, d’étonnement et d’effroi ». (ce qui est le sentiment de Louis ainsi qu’il a été détaillé dans la première partie). « L’Ethique », écrit Schweitzer, consiste donc à me faire éprouver par moi-même la nécessité d’apporter le même respect de la vie à tout le vouloir-vivre qui m’entoure autant qu’au mien.

Les agissements de Louis considérés au début comme excentriques par ses pairs et décrit comme tel par l’auteur conduisent finalement le personnage à adopter un comportement écologique. C’est bien la volonté au départ absurde de Louis de donner vie à des manchots empereurs morts qui le pousse à concrétiser dans un cadre concret cette relation de respect entre lui et les animaux. En découle l’impression du personnage de réaliser un rêve.

Cet onirisme, incarné par ce voyage, est issu d’une volonté de sortir du cadre humain routinier de Toulon pour s’intégrer dans le milieu originel des manchots empereurs. Joël Baqué ne s’attarde pas sur les évènements qui pourraient mettre à mal cette évolution du cadre de référence du personnage.

Ainsi Louis ne s’interroge pas sur le caractère empaillé des animaux qu’il héberge chez lui. L’auteur parvient ainsi à construire tout au long de son roman un sentiment d’égalité, déjà évoqué avec l’exemple de l’éléphant, entre l’homme et l’animal. Si jusque-là Louis avait une attitude anthropocentrée et considérait la collection de manchots empereurs comme un passetemps, il n’a jamais affirmé son anthropocentrisme autrement qu’au travers d’un conformisme social.

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Le personnage ne commet aucun acte contre la faune et paradoxalement n’agit pas non plus en leur faveur. En effet les animaux dans son grenier étant morts l’attention qu’il leur porte ne veut pas dire qu’il accepte leur sensibilité intérieure. Le lecteur peut ainsi observer un biocentrisme égalitarisme qui sera rendu plus accessible par sa simplicité. L’auteur facilite l’identification de son lecteur et évite les problèmes soulevés par G. Heiss[3] :

La vertu du respect de la vie ne se restreint pas à la plus ou moins grande sympathie éprouvée pour un organisme ou à une sensibilité supposée de celui-ci. Toute vie quelle qu’elle soit, mérite d’être respectée. […] Hormis le risque d’apparaître comme de la pure sensiblerie, cette vertu morale n’est-elle pas la source d’une situation de conflit perpétuel, insoluble de surcroît ?

Il est vrai que l’éthique du respect de la vie est moins absolue qu’elle ne le laisse entendre. L’agriculture, indispensable à la vie humaine, implique, par exemple, le sacrifice d’innombrables vies animales et végétales. Ne suis-je pas dès lors perpétuellement en porte-à- faux avec l’exigence morale du respect de la vie ? Sur le plan pragmatique il y a là une réelle difficulté. Car, pratiquement, la vertu du respect de la vie ne conduira pas le plus souvent, à un résultat différent de celui d’une posture pour laquelle seuls les intérêts humains sont moralement pertinents.

Joël Baqué semble donc écarter les débats moraux traditionnels qui peuvent remettre en cause le sentiment de Louis de sortir de son anthropocentrisme. Le personnage reste réaliste aussi bien dans ses actions que dans son comportement. Cette simplicité permet au lecteur de s’identifier à un personnage qui réalise des actes banals mais chargés de sens mis bout à bout.

Louis fait peu à peu des manchots empereurs son entourage et sa réalité, sans se soucier des conséquences sur le reste de sa vie sociale. Ce sont cette insouciance et cet attrait permanent pour la cause animale qui font du personnage une figure écologique. Il devient ainsi le symbole d’une vie bio-centrée ; et non une figure de lutte active.

Le parti prit de dénoncer l’anthropocentrisme est également présent dans toute l’œuvre de J-C. Rufin. Juliette est une figure de la lutte contre l’empreinte écologique humaine dans la diégèse de l’œuvre. Ainsi les premiers agissements de l’activiste pour l’écologie relèvent de l’engagement étudiant contre les énergies polluantes[4] :

“En rentrant en France, vous vous êtes inscrite en faculté de lettres, section langue anglaise à Lyon III [interrogateur] – Lyon II [Juliette] – Vous avez milité dans un syndicat étudiant pendant six mois.

Le personnage principal s’engage ainsi très tôt dans sa jeunesse contre les productions artificielles humaines qui occupent l’espace urbain. Elle va ensuite aller plus loin en intégrant un groupe d’activiste et en militant contre des Etats 61 :

Puis vous avez rejoint le groupe écologiste Greenworld. Vous avez participé à plusieurs actions de protestation, notamment autour de la centrale nucléaire du Tricastin. […] L’association avait décidé de bloquer les accès de l’installation pour empêcher la sortie d’un camion de matière radioactive. […] Que vous est-il arrivé exactement en juillet 2002 ? (interrogateur) – Greenworld avait organisé une campagne de protestation contre la venue de Bush à Paris. Tant que les Etats-Unis refusaient de ratifier le Protocole de Kyoto, il fallait les boycotter. (Juliette)

J-C. Rufin reprend ici un élément important de la lutté écologique : la lutte contre l’énergie nucléaire. Le débat autour de cette énergie et de sa pérennité écologique est central dans le militantisme écologique. Dans leur article C. Lafaye et L. Thévenot détaillent l’historique de cette lutte et de quelle manière ses conséquences ont influencées les courants associatifs écologique[5] :

La diversité des voix est particulièrement claire dans le cas des associations de défense de l’environnement. Leurs actions peuvent se déployer selon au moins trois orientations différentes qui se traduisent non seulement dans les raisons invoquées, dans les arguments avancés, mais aussi dans les types des ressources engagées.

La première orientation, militante et critique, a marqué dans les années 70 la couleur de la cause écologique, par la contestation d’une logique industrielle et d’un pouvoir technocratique qui bloquent la diffusion de l’information auprès du public et le débat démocratique. Le modèle de la lutte antinucléaire incarne de façon exemplaire cette orientation.

Comme le montrent bien Alain Touraine et ses coauteurs, le combat antinucléaire s’enracine dans un refus des valeurs industrielles et une remise en cause de l’idée de progrès, dénonce un Etat autoritaire et répressif et tente, au-delà d’une contestation stérile, de se constituer en force politique alternative porteuse d’une revendication démocratique.

Le courant militant auquel se rattache Juliette peut incarner cette volonté d’activisme que décrivent C. Lafaye et L. Thevenot. Le personnage principal du roman s’inscrit ainsi dans une mouvance active non radicale de l’écologie, et ce par choix. En effet à ce stade du roman elle n’est pas encore sous l’emprise d’un mouvement qui dépasse les limites voulues par l’auteur (celui de Harrow) et est maitre de ses actes. Elle participe également à la lutte médiatique en faveur de l’écologie :

J’ai trébuché au pied d’un flic. Ma cheville droite était cassée. Lui n’a pas compris. Il a crié pour que je me relève et finalement m’a saisie par les cheveux. Il y avait des photographes sur place. Le lendemain c’était à la une de tous les journaux. J’étais devenue une héroïne, une martyre. […] Pendant quinze jours, elle avait reçu les plus hautes personnalités, répondu à des dizaines d’interview.

Le parcours de vie de Juliette dans le roman est ainsi centré autour d’un refus de l’autorité étatique, jugée polluante et néfaste pour la planète. Cette opposition aux pouvoir en place permet au lecteur de comprendre ce qui va pousser Juliette à remettre en cause la construction sociétale occidentale. Les propos d’Aldo Leopold trouvent ainsi un écho particulièrement fort lors de son voyage dans la réserve indienne puisqu’ils mettent des mots sur son ressentiment[6] :

Pour les Européens les images de ce livre étaient bien difficiles à comprendre. La nature n’existe plus vraiment dans les pays du vieux continent.

Juliette cherche au début du roman à s’extraire de cet anthropocentrisme qu’elle trouve étouffant, et elle y parvient. Si le concept de biocentrisme est difficilement applicable au roman de J-C. Rufin les thèmes abordés s’insèrent dans cette démarche de rejet d’une logique humaine qui prévaudrait sur la défense des animaux.

Juliette est amenée à réévaluer son milieu environnant dans des cadres naturels mais sous la tutelle de ses pairs. Cet engagement continu tout au long de l’œuvre la conduira tout de même à protéger une autre forme d’animalité, celle de la pauvreté. Une lecture approfondie des deux œuvres montre que les auteurs ne rompent pas de manière abrupte le cadre initial dans lequel évoluent leurs personnages. Ils s’emploient au contraire à prendre le temps dans leur narration de détailler les raisons de ce changement afin de faire réfléchir leurs lecteurs.

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Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’auteur ci-dessous.

Nicolas POYAU

Nicolas POYAU

Livres pour approfondir

Articles consacrés au mémoire

Liste des 12 articles consacrés au mémoire de Nicolas POYAU :

1 – Reconstruction de l’Identité Écologique : Redécouverte de la Faune

2 – Reconstruction de l’identité écologique : Un Voyage Initiatique vers la Nature

3 – Analyse de l’écologie radicale dans l’œuvre de J-C. Rufin

4 – Écologie, Animaux et Animisme dans La Fonte des glaces et Le Parfum d’Adam

5 – La cause animale : Pensée écologique, Écocentrisme et Littérature

6 – Le symbole animal dans l’espace sociétal : réflexions écologiques profondes

7 – Enjeux des Associations Écologiques dans l’Œuvre de J-C. Rufin

8 – Rapprochement avec la Nature : Témoignage Réaliste dans le Roman de Joël Baqué

9 – La Fonte des glaces : Louis et les Manchots Empereurs

10 – Animaux et dignité : l’expérience animiste de Louis contre la religion

11 – Critique de l’anti-spécisme dans « Le Parfum d’Adam » de J-C. Rufin

12 – Dénonciation des Riches dans l’Écologie: Analyse des Romans


Notes

[1] J. Baqué, La Fonte des glaces, op. cit. note 34, p. 102.

[2] G. Heiss, Ethiques de la nature, Paris, PUF, mai 2013, p. 246.

[3] G. Heiss, Ethiques de la nature, Paris, PUF, mai 2013.

[4] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, op. cit. note 27, p. 194. 61 Ibid.

[5] C. Lafaye, « Une justification écologique ? Conflit dans l’aménagement de la nature », Revue française de sociologie, 1993, 34-4, pp. 495-524, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs- 01540874/document, consulté le 05/05/2022.

[6] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, op. cit. note 27, p. 305.

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