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Dracula : Un développement transmédiatique

Cet article fait référence à la partie 2 du mémoire de Carla BEDINI réalisé durant son Master II Littérature Générale et Comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle (2022/2023)

Titre du mémoire : Adapter et représenter le mythe de Dracula : les bandes dessinées de George Bess, Pascal Croci et Hippolyte

Cet article est le premier d’une série de 9 articles consacrés à Dracula. Voir à la fin pour plus d’informations.

Dracula, un développement transmédiatique

L’historien de la bande dessinée Thierry Groensteen, dans l’Excellence de chaque art, cite le professeur Philippe Marion et son concept de médiagénie (ainsi que celui de médiativité) :

Selon la définition de Marion, la médiagénie d’un sujet, d’un projet narratif, voire d’un genre, définit leur capacité à « se réaliser de manière optimale en choisissant le partenaire médiatique qui leur convient le mieux ». On pourrait dire aussi bien, il me semble, qu’elle désigne leur capacité à trouver leur « bonne forme ».

[…] La notion symétrique de celle de médiagénie est la médiativité, définie comme « la capacité propre de représenter […] qu’un média possède quasi ontologiquement », son « potentiel spécifique ».133

Nous supposons que le personnage de Dracula, et notamment le roman de Stoker, se meut intelligemment dans toutes sortes de médias. Nous avons vu, par l’analyse de la genèse de nos bandes dessinées, de leurs grandes inspirations, que Dracula semble sensible à cette notion de médiagénie, puisque le personnage peut prendre et se mouvoir dans différentes formes possibles.

Si nous revenons à D. Stoker, Dracula n’épouserait donc pas cette notion de médiagénie : quand il est question d’adaptation, le roman de Stoker est limité quand il s’agit de trouver un partenaire médiatique lui convenant au mieux. La bande dessinée, dans son caractère « populaire », ainsi que les multiples films et séries que nous avons évoqués ne sembleraient donc pas constituer des médias assez nobles pour le roman de Stoker, car leur médiativité ne capturerait que passablement « l’essence » du roman.

Ces fausses suppositions disparaissent, car nous voyons bien que le roman et le personnage ne peuvent échapper à une multitude de couches et sous-couches littéraires et esthétiques en ce qui concerne leur représentation ainsi que leur adaptation.

C’est à partir des années 60 que nous observons un décloisonnement entre la bande dessinée et les autres médias. Elle tend alors à perdurer, dans sa légitimation croissante, sur le plan social et culturel par son dialogue avec le cinéma et la peinture. Ce phénomène se traduit par une croissante indistinction entre les registres d’expression, les genres, ainsi que les supports de diffusions tels que Internet aujourd’hui.

Ce décloisonnement est également géographique, par le biais d’un marché mondial. Nous reprenons ici les termes de Xavier Lapray, professeur agrégé et docteur en Histoire, qui qualifie ce tournant de « tournant critique », dans la mesure où ces manifestations jettent un nouveau regard sur l’art de la bande dessinée et modifient les rapports qu’elle entretient avec son environnement culturel.134 

En 1960, lors de l’essor du pop art, l’artiste Roy Lichtenstein travaille alors sur la bande dessinée et sa démarche aura par la suite de nombreux héritiers. Il fait de la bande dessinée le sujet central de son inspiration durant une courte période au début des années 60 et peint des icônes telles que Mickey ou Popeye, mais reprend aussi des cases de bandes dessinées « sentimentales » qu’il agrandit aux dimensions d’un tableau. 135

Il reprend ainsi beaucoup de codes picturaux associés à la BD, tels que les bulles, les récitatifs136, les onomatopées, la case (mise en série ou non), les conventions de représentation de la vitesse ou des explosions, etc. La grandeur des toiles, et donc leur monumentalisation a incité les spécialistes à regarder de près l’iconographie de la bande dessinée (plus particulièrement des comics dans ce cas précis), jusqu’alors réservée à un public populaire culturellement et socialement, en mettant en valeur la dimension plastique des planches, des bulles, dans toute leur efficacité visuelle.

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La bande dessinée suppose que la subsversivité et la logique médiatique de Philippe Marion pourraient être contradictoires, mais ces deux concepts arrivent pourtant à cohabiter en son sein. Médiagénie et médiativité sont au centre d’une réflexion nouvelle dans les années 60, où le neuvième art est considéré également comme un fait social.137 La question de la pratique culturelle met en avant le médiagénie, et donc l’intelligence communicationnelle dont la bande dessinée fait preuve.

Dans le cas de notre étude, nous établissons que Dracula, à travers ses nombreuses adaptations par différents médias, ainsi que par le dialogue entre ces mêmes médias, relève également de la transmédialité.

Ce terme est issu du concept anglais « transmedia storytelling » (« narration transmédia ») et a été conçu par Henry Jenkins en 2003 : il s’agit du processus de déploiement d’une œuvre de fiction, dans notre cas Dracula, au travers de la combinaison de plusieurs et différents médias afin d’y développer une expérience unifiée et cohérente.

Nous sommes d’accord sur le fait que le roman de Stoker constitue une narration tout premièrement unique, et donc, classique, mais ce déploiement universel autour de l’œuvre nous amène à penser que le roman, par la diversité des contenus et par ses différentes lectures, se développe en narration transmédia par la profondeur narrative de l’univers qu’il engendre.138 Nous allons donc illustrer le développement transmédiatique et médiagénique de Dracula à travers sa représentation graphique dans nos bandes dessinées.

Nous considérons dès lors que nos bandes dessinées, graphiquement et textuellement, ont pour la plupart été inspirées du roman de Stoker, du mythe historique de Tepes, ainsi que des adaptations les plus populaires de Dracula et du personnage du comte Dracula 139: le monde du cinéma mettrait donc en avant une scission entre personnage et auteur.

De cette scission peut découler des résultats « absurdes »140, comme certaines adaptations cinématographiques citées précédemment. La Maison de Frankenstein et la Maison de Dracula relèvent d’un imaginaire commun du fantastique, mais témoignent aussi d’une permanence quant à l’apparence du comte dans le monde du cinéma. Le comte interprété par John Carradine, par son habillement, sa coiffure, ainsi que son allure noble, s’inscrit dans la lignée des draculas d’Universal.

Le fait d’écrire, de dessiner, et de filmer une œuvre dans le spectre d’un genre suppose de l’inscrire dans une relation sérielle. L’auteur invite l’auteur à mettre son œuvre en réseau et à l’interpréter, comme nous le faisons, à partir de conventions architextuelles.141

Du tout, mais on a vu tellement de films sur Dracula en étant imprégné de l’image d’un réalisateur ou d’un acteur, est-ce qu’inconsciemment on ne se dit pas « mon personnage va ressembler à tel acteur » ?

Bess : Alors moi, je n’ai surtout pas voulu regarder ni Coppola ni un autre. J’avais vu Coppola il y a des siècles quand il est sorti, il y a longtemps, je ne m’en rappelais à peu près rien, à part Gary Oldman avec un super déguisement. Et je ne l’ai jamais revu, on a acheté le film d’ailleurs et on ne l’a toujours pas vu. J’ai été saturé de Dracula.142

Tout comme Hippolyte, Bess avoue avoir été, en quelque sorte, englouti dans l’univers inépuisable lié à Dracula. Dans la démarche de nos auteurs de BD, où et comment peuvent-ils situer dans une logique d’adaptation ? Bess, en termes d’esthétique et d’image, choisit de ne pas se laisser influencer par le monde du cinéma.

Cependant, sa bande dessinée reste engagée dans une relation sérielle à d’autres œuvres, ce qui nous pousse à déceler, dans l’image, de nombreux traits communs à la représentation de Dracula au cinéma.


Cet article s’inscrit dans une série consacrée à Dracula, voir ci-dessous :

1 – Le mythe de Dracula : adaptations et représentations

2 – Dracula l’immortel : mythe, chronologie et illustrations

3 – Les vampires illustrés : Pascal Croci, Françoise-Sylvie Pauly

4 – Dracula et George Bess : Vision Pluridisciplinaire et Voltarienne

5 – Hippolyte : Dessins, Identité et Audaces Esthétiques

6 – Dracula : un développement transmédiatique

7 – Dracula : Nosferatu, Aristocrate et Coppola

8 – Dracula revisité : Entre mythe et Réalité

9 – Dracula : Mythes, Bande Dessinée et sérialité Médiatique


Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’autrice ci-dessous.

image 3 Dracula : Un développement transmédiatique

Carla BEDINI

image Dracula : Un développement transmédiatique
Carla Bedini

Livres pour approfondir

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Bram Stoker Dracula Édition Prestige

En 1897, un roman épistolaire signé Bram Stoker introduit au public l’extraordinaire Dracula, un être immortel se nourrissant du sang des vivants pour les métamorphoser en créatures maléfiques. Bien que Stoker n’ait pas créé le concept du vampire, il lui a donné sa forme moderne en érigeant le comte Dracula en une figure iconique et emblématique qui a inspiré des générations d’écrivains.

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Dracula – Bram Stocker

L’édition collège annotée de Dracula pour une lecture complète.

Notes

  • 133 GROENSTEEN, Thierry. L’excellence de chaque art. Tours : Presses universitaires François-Rabelais, 2018.
  • 134 ORY, op.cit., p.540.
  • 135 ORY, op.cit., p.523-530.
  • 136 En bande dessinée, le récitatif est un texte qui apparaît dans une case et qui fournit des informations externes au dialogue et au dessin, et donc complémentaires au lecteur. Le récitatif est une narration qui permet au lecteur de mieux suivre l’idée de la BD.
  • 137 COUSINÉ, Célie, « La valorisation du lien entre l’auteur et le lecteur de bande dessinée : un enjeu éditorial », septembre 2021, Université Toulouse Jean Jaurès (Mémoire présenté en vue de l’obtention du Master 2 Edition imprimée et numérique, Sous la direction de Clarisse BARTHE-GAY). p.48.
  • 138 JENKINS, Henry. « Transmedia Storytelling », Technology Review, 15 janvier 2003.
  • 139 Elizabeth Miller décrit Dracula comme étant un « comte aux nombreux visages » : « La plupart des connaissances des gens sur le Comte de Stoker ne viennent pas du livre mais de l’un ou de plusieurs des douzaines de films des années 1920 qui se disaient basés sur le roman », p.175 de Dracula.
  • 140 Terme employé par Elizabeth Miller.
  • 141 LETOURNEUX, Matthieu. “Espaces en tous genres. Sérialité des imaginaires spatiaux dans la bande dessinée de genre.” Between 8, 2018. p.2. Cela rejoint la définition de Umberto Eco sur les scénarios intertextuels, des « «des schémas rhétoriques et narratifs faisant partie d’un bagage sélectionné de connaissances ».

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