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Dracula l’immortel : Mythe, Chronologie et illustrations

Cet article fait référence à la partie 1 chapitre 1 du mémoire de Carla BEDINI réalisé durant son Master II Littérature Générale et Comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle (2022/2023)

Titre du mémoire : Adapter et représenter le mythe de Dracula : les bandes dessinées de George Bess, Pascal Croci et Hippolyte

Cet article est le second d’une série de 9 articles consacrés à Dracula. Voir à la fin pour plus d’informations.

Dracula l’immortel, une histoire de mort ?

« Dracula l’Immortel » fait référence au chapitre IV du livre Dracula d’Elizabeth Miller et à la suite officielle du roman Dracula publiée par Dacre Stoker, précédemment cités, ainsi qu’à la pièce de théâtre écrite par Bram Stoker en 1897 pour le Lyceum Theatre de Londres (Dracula or the Un-Dead).

The Un-Dead est également le sous-titre du manuscrit orignal du roman de Stoker.41 Le célèbre comte est factuellement immortel par delà sa nature de monstre, et plus particulièrement de vampire. À ce jour, il existe de multiples définitions concernant cette créature, montrant sa résistance face au temps, due au lien particulier qu’il entretient avec la Vie et la Mort.

Dans leurs définitions respectives, Elizabeth Miller et Alain Pozzuoli font tout d’abord sortir sortir le vampire de sa tombe, afin qu’il aille « sucer le sang des ses victimes de façon à prolonger son existence »42. Dans le chapitre II de l’ouvrage Dracula de Miller, le terme de « contamination » est évoqué en ce qui concerne la malédiction du vampire43. Nous retrouvons le même principe chez Pozzuoli, qui définit donc le vampire comme un mort qui vient « infester les vivants en absorbant leur sang pour perpétuer sa longévité extraordinaire »44.

Nous supposons ici que cette longévité s’applique non seulement dans la définition-même de la créature, mais également dans les arts et les lettres en général. Comme le souligne avec justesse Pozzuoli, le mythe du vampire est universel. Dans sa longue frise chronologique dédiée au vampire, J. Gordon Melton montre la place accordée au mythe du vampire dans l’Histoire.

L’auteur débute donc sa chronologie depuis la préhistoire, avec une légende qui peut paraître, de prime abord, assez imprécise : « Vampire beliefs and myths emerge in cultures around the world45 ».

Ses origines, comme peuvent nous le faire penser les mythes bibliques, grecs, ainsi que les racines slaves du mot vampire («Upir»), sembleraient seulement se limiter en Europe Centrale et en Europe de l’Est, mais si nous utilisons une définition du vampire qualifiée de plus « libérale » selon Miller, c’est-à-dire revenir de la mort et boire du sang, nous pouvons identifier toutes sortes de vampires à travers le monde, de la Babylone antique aux représentations de la divinité Kali d’Inde46.

Également identifiées par certains érudits comme des sources archétypes de légendes de vampires, les lamies de la mythologie grecque et la Lilith juive. Des créatures ressemblant à des vampires apparaissent dans les contes populaires en Malaisie, en Chine, chez les aborigènes d’Australie, en Roumanie, en Allemagne, en Irlande et en Grèce.

Les deux puissants composants de la légende – le sang et la mort – trouvent des racines profondes dans les mythes et les pratiques antiques. Depuis les temps les plus anciens, les êtres humains étaient conscients du lien entre le sang et la vie.47

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Dracula : un mythe métaphysique ?

Le mythe du vampire témoigne donc des croyances et des études menées sur le lien entre le fluide corporel qu’est le sang et la vie. Miller explique qu’une certaine représentation de la force et du pouvoir se dégageait du sang, parfois utilisé pour des rituels sous la forme de sacrifices d’animaux ou d’humains.

Elle cite notamment l’exemple de certains guerriers, buvant le sang de leurs victimes afin d’assimiler en eux la force de leur adversaire, et ainsi, tout comme le vampire, d’absorber la vie par le biais de ce liquide. Nous connaissons le lien qui subsiste entre sang et vie par le biais de la religion chrétienne, notamment la transsubstantiation : « Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, répandu pour beaucoup d’hommes en rémission des péchés »48.

Le sang fut ensuite interdit et remplacé par le vin, ce qui fit entrer le mythe du vampire dans la sphère chrétienne et européenne, puisque la consommation de sang entrait non seulement en confrontation avec les commandements bibliques, mais elle était désormais vue comme une profanation envers le Christ.

Satan fut toujours un héros de théâtre, dans les mystères médiévaux comme dans les pièces baroques du XVIIe siècle : tragédies, tragi-comédies, pastorales ou ballets faisaient alors une grande consommation de diableries sans gravité, qui traduisaient surtout un goût pour les métamorphoses. Le public révolutionnaire aimait également les pièces à diables.

La veine remonte peut-être à la familiarité avec Belzébuth caractéristique de la culture populaire, de nombreux contes et légendes le décrivant jusqu’au XXe siècle comme un imbécile aisément berné par les hommes. Cette thématique n’empêchait nullement la peur du démon. Elle servait probablement à l’exorciser, comme une sorte de contrepoids aux descriptions terrorisantes de l’enseignement religieux et des sermons du temps. De même, les vampires étaient connus et décrits de manière à faire frissonner les lecteurs.49

Le diable se transforme ainsi en vampire dans nos sociétés européennes et fait figure d’Antéchrist, d’anti-messie, par l’inversement du phénomène de transsubstantiation christique, puisque au lieu de faire don de soi, il ôte la vie en se substantant lui-même du sang de ses victimes.

Cette notion de métamorphose dont parle Robert Muchembled à propos du diable est un phénomène qui touche également le vampire. Il reprend ainsi la formule de l’universitaire et critique littéraire Max Milner, qui suppose la chose suivante : « Pour que le diable devînt un thème littéraire, il fallait que son existence et ses pouvoirs fussent mis en doute »50.

Le vampire remet en question la figure du diable par son caractère faillible, car il peut être vaincu en lui coupant la tête et en lui ouvrant le cœur. Ainsi, le fantôme du Diable se meut dans différents corps sensibles, ce qui le rend d’une part vulnérable, mais aussi mortel.

D’ailleurs, notre comte meurt inévitablement à la fin du roman de Stoker, par les mains de Jonathan Harker et de Mr. Morris. Dracula est d’ailleurs systématiquement assimilé au Diable par le capitaine Donelson et Van Helsing dans le chapitre XXVI, lors de la traque du comte dans les Carpates, puisqu’il y a à ce moment-là un inversement des rôles entre chasseur et proie :

  • C’est pas normal de faire Londres-la mer Noire avec le vent en poupe, comme si le diable lui-même nous soufflait derrière on ne sait pas pourquoi.51
  • Mon ami, ce Diable est plus intelligent que certains le croient et il sait avec qui il agit !52
  • Si le Diable a un jour embarqué du bagage sur un bateau, c’était ça et sur le mien !5
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Dracula : une métamorphose sous le prisme théologique

Le roman de Stoker est également une illustration parfaite du lien entre le Diable, la chrétienté et le mythe vampirique. Le comte Dracula est souvent représenté comme gisant dans sa tombe, ce même cercueil, ces mêmes caisses durant lesquelles il est transporté tout le long du roman, que ce soit dans la crypte de son château dans les Carpates ou en mer Noire à bord du Déméter, en direction de l’Angleterre.

Miller analyse cette figure du tombeau à travers le spectre chrétien et confirme ainsi l’analyse de Muchembled sur la peur du démon, en démontrant que la peur de la mort est associée à l’idée que des cadavres puissent revenir pour emmener les vivants dans leur propre tombe.54

Cela correspondrait à une doctrine centrale du christianisme. Miller nous explique, à partir des propos de J. Gordon Melton, qu’une compétition s’était alors installée entre l’Église Orthodoxe grecque et l’Église Catholique Romaine et latine en 1054, lors de la séparation de l’Église chrétienne en ces deux branches distinctes.

La théologie de ces deux églises commença donc à développer certaines différences doctrinales, ce qui engendra des conflits là où les limites des deux églises se rejoignaient. Cela eut pour incidence que certaines églises, appartenant par exemple à l’ordre orthodoxe, se retrouvaient sous le contrôle de chefs politiques appartenant à l’ordre catholique latin.

Ces faits se juxtaposent ainsi parfaitement avec l’histoire des Tepes, notamment Vlad III l’Empaleur (dont nous parlerons plus précisément dans ce premier chapitre), ayant grandement influencé le mythe autour de Dracula, car ses crimes se réfèrent justement à la guerre de religion entre Roumains orthodoxes et Hongrois catholiques lors de la conquête de la Transylvanie au douzième siècle.Une différence doctrinale qui devait influencer la légende du vampire était leur position différente quant à la non- décomposition des corps morts.


A l’Est, le fait que les tissus des corps ne se décomposent pas rapidement après l’enterrement était interprété comme un signe du mal.

Que le corps refuse de se désintégrer signifiait que la terre, pour quelque raison que ce soit, ne voulait pas le recevoir. Un corps non décomposé était donc ajouté, dans certains pays orthodoxes, à la liste des causes du vampirisme. A l’Ouest, c’est pratiquement le contraire qui était vrai. Le corps d’un saint mort n’était souvent pas exposé à la décomposition comme un corps ordinaire. Ces interprétations différentes peuvent aider à expliquer pourquoi la croyance dans les vampires était beaucoup plus prononcée dans les pays orthodoxes que dans les pays catholiques.55

L’immortalité du mythe du vampire serait alors liée au fait qu’il témoigne des angoisses humaines de tous temps : la maladie, le péché, et la Mort. Il est universel car il peut incarner toute forme de peur, selon diverses cultures et diverses religions : il est tout simplement contre-nature, et cette vision contrastée, manichéenne, fait de lui une figure emblématique du Mal. Cependant, l’humanisation de cette figure diabolique en fait un être faillible, un Mal que l’on peut combattre.

Le Diable, le vampire, et Dracula lui-même peuvent muer sous diverses formes, tantôt en monstres, tantôt en Antéchrist, tantôt en lamies, en Lilith, en Belzébuth, ou en Nosferatu. Nous venons à nous demander si la notion de mythe tourne alors autour de cette malléabilité, de ce pouvoir de métamorphose.

Ces transformations créent des ponts entre les légendes, les justifient, les contredisent, les complètent, mais dans tous les cas, créent des intertextualités, comme si les transsubstantiations épidémiques du vampire créaient, en parallèle, des palimpsestes. Pour expliciter ce phénomène, la professeur et universitaire Véronique Gély s’inspire des termes d’Aristote dans sa Poétique, et en tire l’explication suivante :

Une fiction devient mythe, au sens le plus général et le plus courant du mot, quand elle est répétée, mémorisée, quand elle s’intègre au patrimoine culturel d’un groupe donné (une société dans son ensemble ou, au sein d’une société, une tribu restreinte) : quand elle entre dans une mémoire commune. Mais la répétition n’est pas littérale. La mémoire construit des mythes quand les fictions sont reconnues au sein de variations inventives ; on retrouvera le concept de « flexibilité » défini par Pierre Brunel.

Brecht en en 1933 proposait des « Rectificatifs à de vieux mythes »; H.Blumenberg s’en inspire pour parler de « champ de familiarité » et de modèle mythique : Le mythe n’est pas un contexte, mais un cadre, dans lequel on peut effectuer des interpolations ; de là vient sa capacité d’intégration, sa fonction de « modèle » [« Muster »] qui se borne à esquisser les grandes lignes, fonction qu’il possède encore en tant que reste familier qu’on ne fait plus qu’entr’apercevoir.

Si les mythes intègrent des interpolations, ils peuvent aussi faire l’objet de « reprises », ou donner lieu à des phénomènes d’engendrement par « bouturage » — par métonymie si l’on préfère. On retrouvera donc aussi le concept d’hypertextualité défini par Gérard Genette dans Palimpsestes.

Le mythe du vampire, et de surcroît le mythe de Dracula, se situe hors des textes, y compris le texte de Bram Stoker. Le pouvoir de métamorphose du personnage de Dracula le rend donc immortel : par ses multiples transformations, il intègre une mémoire commune et « populaire », à travers diverses formes du vampirisme.

Nous allons donc aborder les différents états marquants de Dracula, personnage mythique, à la fois « familier » et « flexible ». Il est important, dans le cadre de sa représentation dans nos bandes dessinées, de questionner ce que sont les « grandes lignes » de Dracula, les topoi autour de ce personnage, afin de mieux comprendre certaines de leurs « reprises ».

Pour cela, nous aborderons l’approche des auteurs et dessinateurs de nos bandes dessinées, et ainsi, la genèse de celles-ci. Nous verrons, comme le dit Elizabeth Miller, que les différents Draculas que nous connaissons tirent leur image du monde du cinéma57, et que nos dessinateurs s’en sont fortement inspirés. Enfin, nous nous baserons sur la critique mythopoétique de Véronique Gély ainsi que la mythocritique de Pierre Brunel58, afin de voir comment nos auteurs abordent et illustrent les différentes sources et théories autour du mythe de Dracula.

image 1 7 Dracula l'immortel : Mythe, Chronologie et illustrations

Chronologie du mythe de Dracula

Si nous reprenons la chronologie du Vampire de Gordon Melton, allant donc de la préhistoire à 199759, nous constatons, sur les cent-quatre dates énumérées, que vingt-cinq d’entre elles concernent Dracula depuis la publication du roman de Stoker en 1897, vingt-six si nous comptons la naissance de Bram Stoker en 1847, et enfin, quarante-deux si nous y incluons les dates concernant l’Histoire de la Valachie et donc, de Vlad Tepes.

Dracula occupe donc à lui seul environ 45 % de la chronologie du vampire de Melton (sans compter l’après 1997), ce qui est presque la moitié. Cela souligne non-seulement l’importance, voire la primauté de l’image de Dracula dans la représentation que nous nous faisons du vampire, mais aussi l’importance des mythes historiques qui le concernent lui et les autres romans de vampire, car de supposés-vampires tels que Vlad Tepes ou Elizabeth Bathory font partie intégrante de la chronologie de Gordon Milton.

À partir de ces précieuses données, nous établissons alors ici une chronologie sélective (mais non exhaustive)60, propre au mythe et aux œuvres concernant Dracula depuis la sortie du roman de Stoker :

  • 1897 : Publication du Dracula de Stoker en Angleterre. 1913 : L’invité de Dracula est publié.
  • 1920 : Dracula, le premier film basé sur le roman, est réalisé en Russie. Aucune copie n’a été retrouvée. 1921 : Des réalisateurs hongrois produisent une version de Dracula.
  • 1922 : Sortie du Nosferatu de Murnau.
  • 1924 : Représentation de la version théâtrale de Dracula d’Hamilton Deane à Derby.
  • 1927 : Représentation de la version théâtrale de Dracula au Little Theatre de Londres. Une version américaine de Dracula, avec Bela Lugosi, est jouée au de New-York.
  • 1931 : Version américaine de Dracula au Roxy Theatre de New-York et sortie de Dracula par Tod Browning, toujours avec Bela Lugosi. Une version espagnole de Dracula est prévue.
  • 1936 : Sortie de la Fille de Dracula par Universal Pictures. 1943 : Sortie du Fils de Dracula par Universal Pictures.
  • 1944 : John Carradine joue Dracula pour la première fois dans la Maison de Frankenstein.
  • 1953 : Le magazine Eerie (n°8) publie la première adaptation en comics de Dracula. Drakula Istanbula, une adaptation turque de Dracula sort en salles.
  • 1958 : En Grande-Bretagne, Hammer Films initie une nouvelle vague d’intérêt pour les vampires avec sa première adaptation de Dracula, The Horror of Dracula.
  • 1961 : Sortie de la première adaptation cinématographique coréenne de Dracula, The Bad Flower. 1962 : La Count Dracula Society est fondée à Los Angeles par Donald Reed.
  • 1965 : Jeanne Youngson fonde The Count Dracula Fan Club.
  • 1969 : Denholm Elliott joue le rôle de Dracula dans une production de la BBC. Sortie du premier film de vampire gay, Does Dracula Really Suck ? (aka Dracula and the Boys).
  • 1970 : Christopher Lee joue le rôle du comte dans le film espagnol El Conde Dracula. 1971 : Marvel Comics publie le premier numéro de la série The Tomb of Dracula.
  • 1972 : Publication de À la recherche de Dracula de Raymond Mc Nally et Radu Florescu. 1973 : Version de Dracula en film télévisé produit par Dan Curtis.
  • 1975 : Fred Saberhagen propose un Dracula héroïque dans The Dracula Tape.
  • 1977 : Une nouvelle version dramatique de Dracula est jouée sur les planches de Broadway, tandis que Louis Jourdan joue le rôle du Comte Dracula dans une adaptation du roman de Stoker par la BBC.
  • 1979 : Remake du Dracula d’Universal Pictures, en partie grâce au succès des nouvelles productions de Broadway. 1980 : Fondation de la Bram Stoker Society à Dublin.
  • 1992 : Sortie du film Bram Stoker’s Dracula par Francis Ford Coppola.
  • 1995 : La International Transylvanian Society of Dracula sponsorise la World Dracula Conference en Roumanie.
  • 1997 : Centenaire de la publication du roman de Stoker, publication de livres commémoratifs, programmes de télévision associés. « Dracula the Centenary » est tenu à Whitby et est sponsorisé par la Whitby Dracula Society. Le Centennial Celebration se déroule à Los Angeles. 61

Nous voyons ainsi l’évolution et les multiples mutations du célèbre vampire à travers les âges. Le comte aux multiples facettes est très adapté au théâtre ainsi qu’au cinéma, où l’influence des pièces jouées à Broadway et des films américains font écho à de nouvelles adaptations dans d’autres sphères, non-anglophones, comme par exemple l’Espagne, la Turquie ou l’Asie.

Dracula traverse donc les frontières et s’adapte notamment à plusieurs rôles, parfois surprenants, comme celui du premier de vampire gay en 1969, ou celui d’un héros bienveillant en 1975. Nous remarquons aussi quelques extrapolations mettant en scène les filles ou les fils du comte, ou bien une curieuse rencontre entre le comte et le monstre de Frankenstein en 194462.

Illustration du mythe de Dracula

Le caractère hétéroclite des médias témoigne également de la flexibilité du personnage, pouvant ainsi s’adapter à tous types de thèmes et de supports. Nous nous focalisons plus particulièrement sur l’année 1953, lors de la sortie du numéro 8 du magazine Eerie, qui est la première adaptation en comics du personnage de Dracula.

image 1 6 Dracula l'immortel : Mythe, Chronologie et illustrations
Figure 5: Couvertures du magazine Eerie, n°8 : 1953 ; n°8 : décembre 1958 ; n°48 : 1er juin 1973.

Nous constatons que le même magazine, cinq et vingt ans plus tard, continue d’illustrer le mythe de Dracula. Le numéro de 1953 représente très clairement un mort-vivant, comme revenant des enfers. L’un des titres marqués sur la couverture, « The Song of the Undead », fait donc référence au caractère « non-mort » et immortel du vampire.

La couleur verte, représentant la mort, la décomposition, mais aussi le démon63, est utilisée comme couleur principale sur le mort-vivant, mais aussi sur le comte Dracula du numéro de 1958. Cette illustration met en scène une image élégante et classique du comte, instaurée par les interprétations de Bela Lugosi et Christopher Lee.

Le numéro de juin 1973 nous évoque cette fois-ci un Dracula monstrueux, un Dracula transformé en Bête, à mi-chemin entre le Nosferatu et le loup-garou (le terme de « wolfman », « l’homme-loup », est indiqué dans le sous-titre au-dessus du titre du magazine).

Les éléments qui accompagnent les personnages montrent au lecteur les intentions du dessinateur, et vont ainsi de paire avec trois formes du vampire. En effet, la Bête cherche à se nourrir de chair et de sang frais, elle choisit donc une petite-fille comme victime, tandis que la malédiction du mort-vivant, relevant de la définition du vampire faite par Alain Pozzuoli (un mort qui vient infester les vivants), touche deux jeunes femmes.

Cette analyse nous ramène aux propos de Muchembled sur cette peur universelle de la mort, représentée par des revenants emmenant les vivants dans leur tombe. L’image du comte humanisé, elle, repose sur la suggestion et le suspense, puisqu’elle n’est pas associée à une victime en particulier, mais à son château : « Follow me to the unknown » (« Suivez-moi dans l’inconnu »). L’humanisation de Dracula en homme élégant joue sur une autre peur, celle de se dire que le monstre est en réalité parmi nous.

Ces couvertures de Eerie illustrent ainsi trois topoi, trois, « grandes lignes » dans la représentation du mythe de Dracula : le mort-vivant, le monstre et l’humain. Elles montrent aussi l’importance des hypertextualités, ou plutôt des intermédialités entre les œuvres, tout comme le souligne Véronique Gély dans « Pour une mythopoétique : quelques propositions sur les rapports entre mythe et fiction » : il s’agit alors de se questionner sur la manière dont certaines œuvres font des mythes, et comment ces mythes créent des œuvres.64


Cet article s’inscrit dans une série consacrée à Dracula, voir ci-dessous :

1 – Le mythe de Dracula : adaptations et représentations

2 – Dracula l’immortel : mythe, chronologie et illustrations

3 – Les vampires illustrés : Pascal Croci, Françoise-Sylvie Pauly

4 – Dracula et George Bess : Vision Pluridisciplinaire et Voltarienne

5 – Hippolyte : Dessins, Identité et Audaces Esthétiques

6 – Dracula : un développement transmédiatique

7 – Dracula : Nosferatu, Aristocrate et Coppola

8 – Dracula revisité : Entre mythe et Réalité

9 – Dracula : Mythes, Bande Dessinée et sérialité Médiatique


Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’autrice ci-dessous.

image 3 Dracula l'immortel : Mythe, Chronologie et illustrations

Carla BEDINI

image Dracula l'immortel : Mythe, Chronologie et illustrations
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En 1897, un roman épistolaire signé Bram Stoker introduit au public l’extraordinaire Dracula, un être immortel se nourrissant du sang des vivants pour les métamorphoser en créatures maléfiques. Bien que Stoker n’ait pas créé le concept du vampire, il lui a donné sa forme moderne en érigeant le comte Dracula en une figure iconique et emblématique qui a inspiré des générations d’écrivains.

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Notes

  • 41 POZZUOLI, op.cit., p.173.
  • 42 MILLER, op.cit., p.75.
  • 43 Ibid. Terme emprunté au folkloriste Jan Perkowski.
  • 44 POZZUOLI, op.cit., p.526.
  • 45 GORDON MELTON, John, op.cit., p.XXXI : « Les croyances et mythes concernant les vampires émergent dans les cultures du monde entier ».
  • 46 Dans la religion hindouiste, elle est la déesse de la préservation, de la transformation et de la destruction. Elle représente le pouvoir destructeur du temps.
  • 47 MILLER, op.cit., p.78.
  • 48 L’évangile selon Saint Matthieu, 27:24-26.
  • 49 MUCHEMBLED Robert, Une histoire du diable, XIIe-XXe siècle, Éditions du Seuil, 2000. p.253-254.
  • 50 Ibid.
  • 51 STOKER, op.cit., p.535.
  • 52 Ibid.
  • 53 STOKER, op.cit., p.536.
  • 54 MILLER, op.cit., p.81.
  • 55 MILLER, op.cit., p.84.
  • 56 GÉLY, Véronique. « Pour une mythopoétique : quelques propositions sur les rapports entre mythe et fiction »,
    SFLGC, bibliothèque comparatiste, 2006. p.20.
  • 57 MILLER, op.cit., p.175.
  • 58 GÉLY, op.cit., p.11.
  • 59 Gordon Melton a arrêté sa chronologie deux ans avant la publication en 1999 de son Vampire Book, ce qui fait que cette chronologie n’est donc pas réellement d’actualité. Elle nous permet tout de même de situer l’influence du mythe de Dracula dans le monde du vampire.
  • 60 Il se peut que Gordon Milton ait choisi d’omettre quelques références dans sa chronologie, notamment le film de Tod Browning La Marque du Vampire, sorti en 1935.
  • 61 D’après GORDON MELTON, op.cit., p.XXXI-XXXVI. Traduction personnelle.
  • 62 Nous en avions précédemment parlé de ce phénomène dans l’introduction : « L’Universal, alors au bord de la faillite, en profita pour lancer d’autres monstres : Frankenstein, le loup-garou, la momie, imaginant parfois entre eux des rencontres insolites. », POZZUOLI. Nous supposons que des films mettant en scène deux voire trois monstres issus de la littérature gothique et fantastique du XIXe siècle ont vu le jour dans d’autres sociétés de production ayant suivi le mouvement initié pat Universal.
  • 63 PASTOUREAU, Michel, Vert : histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2013. p.240.
  • 64 GÉLY, op.cit., p.10.

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