lombalgie non spécifique chez le judoka

Lombalgie non spécifique chez le judoka 

Cet article fait référence à l’introduction du mémoire de Master 2 EOPS de Romaric BOUIREL réalisé à l’Université de Montpellier (2019/2020) sous la direction de François FAVIER

Titre du mémoire : Mobilité de rotation de hanche, processus inflammatoires et traitement de la lombalgie non spécifique chez le judoka

Dans la société actuelle les activités physiques et sportives occupent une place très importante. Ces pratiques sont présentes sous différentes formes : L’entrainement de haut-niveau, ou pratique à but de performance, réalisé de manière intensive et la pratique de loisir, plus ludique, dans l’objectif d’améliorer son hygiène de vie en alliant plaisir et santé.

L’activité physique de loisir, qui a pour but principal d’améliorer la santé du pratiquant est, sans surprise, celle qui est la plus présente en France, réunissant 65% de la population nationale (Ministère de la jeunesse 2016).

Toutefois, certaines activités professionnelles ou pratiques sportives sont susceptibles d’engendrer, de favoriser ou encore d’être à l’origine de pathologies, maux ou douleurs spécifiques à l’activité pratiquée. Parmi l’ensemble des désordres de santé publique pouvant être rencontrés chez des adultes, travailleurs ou bien sportifs, une zone du corps humain semble régulièrement douloureuse : la région lombaire.

En effet, la littérature scientifique rapporte qu’au cours de leur vie, jusqu’à 85% des adultes ressentiront des douleurs au niveau lombaire, assimilables à une lombalgie (Hoy et al. 2010. Khan. et al. 2017). 

lombalgie lumbago

Contexte de douleur

Les lombalgies sont caractérisées par des douleurs localisées au niveau postérieur du tronc. Ces douleurs peuvent être ressenties, pour la partie supérieure, du bord inférieur de la douzième côte jusqu’aux plis glutéaux pour la partie inférieure. Nous rappelons par ailleurs que ces douleurs peuvent se propager et descendre alors vers l’un ou les deux membres inférieurs (Hoy et al. 2014).

Dans le cadre d’une activité sportive ou professionnelle, une répétition régulière de mouvements, prise en charge souvent par la région lombaire (articulation lombo-pelvienne) peut générer des douleurs (Almeida et al., 2012).

L’intensité de ces douleurs varie d’un individu à l’autre et peut alors freiner le sujet dans sa pratique sportive ou bien rendre son activité professionnelle plus pénible. Dans certains cas, la sensation de douleur est trop importante et empêche alors le sujet de poursuivre son activité professionnelle (Dujol, 2016). 

lombalgie lumbago douleur

La présence de ces douleurs dans la société actuelle est telle que les lombalgies représentent la première cause d’invalidité dans le monde du travail (Hoy et al., 2014). Nous pouvons, dans un premier temps, constater que les lombalgies, de manière générale, représentent un enjeu de santé de par leur prévalence, compte tenu de la part de population touchée et souffrante.

Nous pouvons observer, dans un second temps, qu’elles représentent également un enjeu économique mondial, de par le coût qu’elles génèrent chaque année. Aux États-Unis par exemple, le coût direct et indirect, lié aux lombalgies, avoisine les 100 milliards de dollars par an (Katz, 2006). 

Il nous semble important, avant toute chose, de tenter de définir plus en détail ce que sont les lombalgies, leurs origines et leurs causes.

Les lombalgies

Les lombalgies sont classées en deux catégories différentes, les non spécifiques, qui sont les plus communes et dont l’origine n’est pas spécialement identifiée et les lombalgies spécifiques, dues à un désordre tel qu’une fracture, une infection ou encore une tumeur (Okada et al., 2007). 

La durée de ces épisodes douloureux varie et permet de les classer en 3 catégories : la lombalgie chronique dont la durée est supérieure à 3 mois, la lombalgie aiguë lorsque l’épisode n’excède pas 4 semaines et la lombalgie récurrente caractérisée par une suite d’épisodes aiguës. 

Les lombalgies sont le plus souvent définies comme « non spécifiques », en raison de leur aspect multifactoriel ; nous porterons notre intérêt sur celles-ci. 

En effet, ces douleurs peuvent découler de différents facteurs tels que le mode de vie (tabagisme, obésité, dépression), mais peuvent également être influencées par l’activité professionnelle des sujets (Maher et al., 2016).

Certaines professions nécessitent une forte sollicitation des muscles érecteurs du rachis (muscles transversaire épineux, ilio-costal et longissimus) ou au contraire une position assise prolongée, ce qui accentue la raideur des muscles ischio-jambiers (Takemasa et al., 1995 ; Arab et al., 2014).

Les exemples cités précédemment représentent des facteurs facilitants l’apparition de douleurs dans la région lombaire, chez des adultes ou enfants sédentaires. Il nous semble cependant important de mettre en lumière l’un des phénomènes physiologiques responsables de la douleur et présent dans de très nombreux cas de lombalgie non spécifique aiguë et récurrente, la réponse inflammatoire.

lombalgie non spécifique lumbago

La réponse inflammatoire

Nous retrouvons à la base de ce phénomène un élément déclencheur. Cet élément qui peut être de différente sorte, tel qu’un traumatisme mécanique lié à la pratique, une déformation ou encore le tabagisme, est à l’origine d’une première signalisation pro-inflammatoire au sein des cellules du disque intervertébral lésé.

Ces phénomènes entrainent alors des modifications morphologiques des tissus du disque, qui favorisent une seconde signalisation pro-inflammatoire. L’activation des cellules immunitaires au sein du disque est alors à l’origine de la sensation de douleur.

Dans ce cas-là, nous pouvons noter la présence de cytokines pro-inflammatoires produites par les macrophages et monocytes présents, telles que l’interleukine-6 (Il-6), le facteur de nécrose tumorale (TNF-a) dans le sang. 

Par la suite, en raison de la sécrétion d’IL-6 par les macrophages, le foie produit un marqueur systémique de l’inflammation, la protéine C-réactive (PCR) (Gebhardt, et al., 2006). Ces marqueurs sont alors associés aux lombalgies non spécifiques ou encore aux dégénérescences discales.

Ces médiateurs de l’inflammation pourraient, selon la littérature scientifique, être quantifiés grâce à des examens tels qu’une analyse de sang et permettre ainsi d’individualiser le diagnostic et donc la prise en charge de patients pour lesquels l’origine de la douleur est indéterminée (Khan et al., 2017).

Nous avons pu constater que l’étude de marqueurs d’inflammation, dans le cadre de lombalgie aiguë, a permis de montrer que les taux sériques de TNF-a, IL-6 et PCR étaient positivement corrélés à l’intensité de la douleur chez les patients (de Queiroz et al., 2016).

L’ensemble de ces connaissances scientifiques a été recueilli chez des patients souffrants de lombalgies sévères et handicapantes. Nous avons toutefois souhaité nous intéresser à une population plus active, comprenant des sujets qui pratiquent une activité physique régulière, voire à but de performance.

Bien que les processus physiologiques ainsi que les facteurs cités précédemment s’appliquent à l’ensemble de la population mondiale, nous allons nous intéresser aux différences qui séparent des sujets sportifs du reste de la population, en ce qui concerne la lombalgie non spécifique. 

lombalgie processus inflammatoire

La lombalgie non spécifique, différences entre sportifs et sédentaires

Il est connu que la prévalence des lombalgies non spécifiques dans la population âgée de 30 à 40 ans varie de 40 à 60% (Okada et al. 2007). Dans le milieu du sport, la prévalence de la lombalgie non spécifique varie de 30 à 75% en fonction de la discipline (Iwai et al., 2004).

En ce sens, les sujets pratiquants semblent autant sensibles aux lombalgies que les sédentaires. De manière générale, cette prévalence accrue des lombalgies non spécifiques dans le milieu du sport peut s’expliquer par différentes raisons.

Nous pouvons évoquer, d’une part l’augmentation du niveau de performance exigé dans chaque discipline et d’autre part, les niveaux insuffisants de force ou de volume des muscles du tronc, alors responsables du support et de la stabilisation de la région lombaire (Freburger et al., 2015 ; Takemasa et al., 1995).

De plus, certaines activités telles que la gymnastique, la lutte ou le judo semblent plus propices à l’apparition de douleurs dans la région lombaire (Iwai et al., 2004 ; Okada et al., 2019). Une activité telle que le judo nécessite de nombreuses rotations internes et externes actives de l’articulation de la hanche.

Dans le cas où l’amplitude de ces mouvements n’est pas suffisante (liée à un manque de mobilité) ou bien asymétrique, la région lombaire compense ce déficit de manière répétée, au-delà de ses fonctions initiales.

lombalgie lumbago

Cette surutilisation et surcharge de la région lombaire peut alors être à l’origine de douleurs (Almeida et al. 2012). Nous concentrerons notre étude sur cette activité de préhension qu’est le Judo. Le Judo est un art martial qui prend source au japon à la fin du XIXème siècle.

Apparu au cours des années 1930 en France, ce n’est que durant la deuxième moitié du XXème siècle que le judo s’est développé dans l’hexagone. Le judo nécessite d’associer une répétition d’efforts intermittents, tout en alliant différentes habiletés techniques, tactiques et des qualités musculaires (Santos et al., 2018).

Dans le cadre d’un combat de judo, affrontement entre deux adversaires, le but est de projeter son adversaire sur le dos, afin de remporter le combat. Dans ce but, chaque judoka doit alors allier force, puissance et vivacité lors de ses actions, mêlant tous types de contractions musculaires, afin de créer le déséquilibre et de projeter son adversaire. Le judo est devenu une discipline olympique depuis 1964 et compte aujourd’hui plus de 600 000 licenciés en France (Le Monde, 2017). 

Dans le cadre de précédentes recherches, nous avons pu constater qu’une grande majorité des pratiquants de judo souffraient de lombalgies non spécifiques aiguës. Ces douleurs apparaissant à la suite d’un entrainement et perdurant à minima le jour suivant, puis s’estompant.

Nous allons à présent tenter de connaitre les différents facteurs, propres à la discipline, susceptibles d’engendrer une lombalgie non spécifique aiguë. 

La lombalgie non spécifique dans le judo

Dans des sports d’opposition, préhension, tels que le judo ou la lutte, les muscles érecteurs du rachis sont soumis à de multiples contraintes tout au long du combat. Cette sollicitation constante afin de lutter contre les tentatives de déséquilibre de l’adversaire, associée à une force insuffisante des muscles érecteurs du rachis, peut être à l’origine de douleurs dans la région lombaire (Takemasa et al., 1995).

De plus, il a été observé qu’un exercice intense et prolongé, générant des lésions au niveau des muscles squelettiques (tels qu’un exercice en contraction excentrique), était à l’origine d’une augmentation de la concentration d’IL-6 dans le sang (Bruunsgaard et al., 1997 ; Pedersen et al., 2001).

Il en est de même pour la concentration sérique de créatine phosphokinase (CPK, isoenzyme CPK-MM), une protéine, témoin de lésions musculaires, liée à l’intensité de l’exercice (Brancaccio et al., 2010).

Comme nous avons pu le relever précédemment, la concentration d’Il-6 est corrélée à l’intensité de la sensation de douleur. Cet argument rejoint le précédent, selon lequel une force insuffisante des muscles érecteurs du rachis, lorsqu’ils sont très sollicités, peut entrainer des lésions de ceux-ci et par la suite, des douleurs dans cette région.

Autrement dit, la pratique de certaines activités (tennis, golf, judo) requière une certaine mobilité de l’articulation de la hanche. Cette qualité n’étant que peu connue et par conséquent négligée, il est rare qu’elle soit développée.

lombalgie non spécifique chez le judoka

En outre, Almeida et son groupe de recherche ont pu constater que les judokas souffrant de lombalgies ont une mauvaise mobilité en rotation interne et externe de la hanche. Cette dernière qualité n’est pour autant pas citée comme une cause ou bien une conséquence des lombalgies (Almeida et al., 2012).

Nous tenons à préciser que les mouvements de rotation interne de la hanche sont réalisés par les muscles petits et moyens fessiers tandis que les mouvements de rotation externe de la hanche sont pris en charge par les muscles pelvi-trochantériens, grands fessiers et adducteurs (Neumann, 2010).

De plus, il est connu qu’au sein de l’activité judo, de nombreux mouvements incluent une rotation de l’articulation de la hanche, ou bien des recrutements et transferts de hauts niveaux de force dans cette région, afin de déstabiliser ou projeter l’adversaire.

Dans le cas commun où la mobilité de l’articulation de la hanche n’est pas suffisante c’est la région lombo-pelvienne qui compense et prend en charge ces actions. Il est établi qu’une forte compensation telle que celle citée ici peut favoriser la survenue de douleur dans la région lombaire (Almeida et al., 2012). 

Mobilité de rotation de hanche et lombalgie

Dans le cadre de précédentes recherches le lien entre une faible mobilité lors de mouvements de rotation de l’articulation de la hanche et la sensation de douleur dans la région lombaire a pu être vérifié.

En effet, nous avons pu constater une qualité de mobilité de rotation interne et externe de l’articulation de la hanche relativement faible chez des judokas souffrant de lombalgie non spécifique aiguë.

Les valeurs mesurées sont la mobilité totale de chaque jambe (rotation interne + externe) (jambe dominante : 70.8 ± 12° ; jambe non-dominante : 67.6 ± 9°) et l’asymétrie de mobilité entre les deux membres inférieurs (10.1 ± 5.1°).

De plus, les scores d’endurance de force en contraction isométrique obtenus ont également révélés des valeurs (143.3 ± 45.3 s) nettement inférieures à celles relevées par Biering et Sorensen (197 s) (Biering & Sorensen, 1984).

A l’occasion de cette précédente étude nous avons pu noter les effets bénéfiques d’un protocole de 6 semaines visant à améliorer l’endurance musculaire des muscles érecteurs du rachis et la mobilité de rotation interne et externe de l’articulation de la hanche.

lombalgie lumbago articulation de hanche

En effet, au terme des 6 semaines d’entrainement les deux qualités ont été améliorées, conduisant à une diminution de la sensation de douleur, liée aux lombalgies, à la suite d’un entrainement. Toutefois, une zone d’ombre subsiste.

Bien qu’il soit connu que la qualité de force et d’endurance musculaire des muscles érecteurs du rachis soit un facteur important dans l’apparition de lombalgie, la mobilité n’est pas clairement identifiée comme un facteur causant ou pouvant réduire, à elle seule, les douleurs.

Nous savons d’après Johannsen et al., qu’il existe une corrélation négative entre la mobilité de l’articulation de la hanche et le score évaluant l’invalidité des sujets (Johannsen et al., 1995).

Il nous semble toutefois important de connaitre le véritable impact de la qualité de mobilité en rotation interne et externe de l’articulation de la hanche, sur la sensation de douleur dans la région lombaire, indépendamment du renforcement des muscles érecteurs du rachis. C’est ce qui constituera notre premier élément de recherche. 

Processus inflammatoires, lien avec la lombalgie non spécifique chez le judoka

Notre principal intérêt est pour autant différent. En effet, nous savons, dans un premier temps, que certains marqueurs de l’inflammation tels que l’IL-6, TNF-a ou PCR sont liés à la douleur.

Plus précisément, ce sont leur concentration sérique qui serait corrélée à l’intensité de la douleur et à l’invalidité liée à la lombalgie. En ce sens, il a été vérifié qu’une diminution de la concentration de la PCR (hs-CRP), la protéine C-réactive haute sensibilité) dans le sang était concomitante à une diminution de la sensation de douleur et à une amélioration de la capacité fonctionnelle (Gebhardt et al., 2006 ; de Queiroz et al., 2016).

De plus, nous savons que la présence en quantité et de manière répétée de ces marqueurs dans la région lombaire est susceptible de favoriser la dégénérescence des disques. En effet, ceux-ci entrainent des changement dans l’architecture du disque, ce qui modifie la capacité à supporter des charges (Khan et al., 2017).

Toutefois, Okada et al., ont montré qu’il n’y avait pas d’association directe entre la sensation de douleur liée aux lombalgies et des anormalités lombaires observées par imagerie médicales chez des judokas. Les lombalgies non spécifiques touchent l’ensemble du spectre des catégories, ce qui est le cas, dans une plus grande mesure, des anormalités lombaires.

Nous soulignons que les catégories mi-lourdes et lourdes sont plus sujettes aux modifications structurelles du rachis (Okada et al., 2007). Ceci nous laisse donc penser que bien que les pratiquants de judo soient largement sujets à des modifications structurales du rachis, ces dernières ne sont pas nécessairement à l’origine directe des lombalgies subies par les sujets.

processus inflammatoire et lombalgie non spécifique

C’est pourquoi nous porterons une attention particulière sur les taux sériques de créatine phosphokinase (CPK-MM) (indicateur de lésions musculaires liées à l’intensité de l’exercice pratiqué), rencontrés après un entrainement intense (Brancaccio et al., 2010).

Cela nous amène donc au second point qui retient notre intérêt : Est-ce que des processus inflammatoires, découlant d’une surutilisation des muscles érecteurs du rachis à l’entrainement, sont à l’origine de la lombalgie aiguë non spécifique, chez des sportifs pratiquant le judo et sont-ils réversibles ? 

Ayant à disposition un groupe de judokas, nous savons qu’une majorité d’entre eux est susceptible de souffrir de lombalgies. Sachant que l’origine de la douleur n’est pas directement liée à la présence d’anormalité lombaire, ces lombalgies seront qualifiées de non spécifiques. De plus, la durée de l’épisode douloureux reste relativement courte (2 jours au plus) à la suite d’une pratique intense, ce qui classe la lombalgie comme un phénomène aiguë. 

Objectifs

Afin de guider notre intervention et en nous appuyant sur la littérature scientifique, nous nous efforcerons de déceler, dans un premier temps, l’importance de la qualité de mobilité pour des mouvements de rotation interne et externe de l’articulation de la hanche, sur la sensation de douleur dans la région lombaire (I) .

Dans un second temps, nous tenterons de mettre en lumière la présence de processus inflammatoires en lien avec la lombalgie non spécifique aiguë chez le judoka et démontrer le caractère réversible de ces phénomènes suite à la mise en place d’un protocole de renforcement musculaire des Erector Spinae et de mobilité de rotation de l’articulation de la hanche (II). 

 

Pour rappel, l’article présente uniquement l’introduction du mémoire. Pour accéder au protocole, données ainsi qu’à la discussion du présent document, n’hésitez pas à vous adresser directement auprès de Romaric.

Romaric BOUIREL

Romaric BOUIREL

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