mécanisme et impact de l'invasion de l'épithélium intestinal

Invasion microbiote intestinal par Lactobacillaceae

Cet article fait référence à l’introduction du mémoire de Master 2 microbiologie de Amélie CRESSON réalisé à l’Université de Rouen (2022/2023).

Titre du mémoire : Mécanismes et impact de l’invasion de l’épithélium intestinal par des bactéries de la famille des Lactobacillaceae

L’épithélium intestinal est une structure complexe composée de différents types cellulaires qui fonctionnent de façon coordonnée pour assurer les fonctions essentielles de l’intestin (Fig.1) (Ribet et al., 2015). Parmi ces cellules, on retrouve :

  • Les entérocytes, dotés de microvillosités, qui ont une fonction d’absorption. Ces cellules sont reliées par de nombreuses jonctions (jonctions adhérentes et jonctions serrée) et participent ainsi la fonction de barrière de l’épithélium intestinal.
  • Les cellules caliciformes, sécrétant un mucus qui recouvre l’épithélium intestinal et qui confère une protection supplémentaire.
  • Les cellules de Paneth, se trouvant dans les cryptes de l’intestin et produisant des peptides antimicrobiens.
  • Les cellules M, jouant un rôle dans l’immunité des muqueuses et la reconnaissance des agents pathogènes.
  • Les cellules souches, responsables de la régénération et de la réparation de l’épithélium intestinal.

Cet environnement complexe abrite des micro-organismes très diversifiés, en grande majorité des bactéries, constituant le microbiote intestinal.

microbiote intestinal invasion

Figure 1 : Voies d’invasion par des bactéries pathogènes dans l’intestin humain. L’épithélium de l’intestin grêle est composé de différentes populations cellulaires : des entérocytes absorbants, des cellules caliciformes productrices de mucus, des cellules M, ainsi que des cellules souches et des cellules de Paneth situées dans les cryptes intestinales (Ribet et al., 2015).

Ce dernier se met en place à la naissance et sa composition est dépendante de facteurs génétiques et environnementaux tels que l’alimentation. Pendant longtemps, les bactéries ont été associées uniquement à des infections potentiellement mortelles et, avaient donc une forte connotation négative.

Les recherches sur les micro-organismes « résidants » du corps humain ont permis de comprendre que l’être humain était un « holobionte », c’est-à-dire un écosystème complexe résultant de l’association entre les cellules humaines et les micro-organismes du microbiote.

Rôles du microbiote intestinal dans la physiologie humaine

Au cours des dernières décennies, il a été montré que le microbiote intestinal joue de nombreux rôles essentiels dans la physiologie humaine, notamment dans la production de métabolites, la dégradation de macromolécules de l’alimentation et la résistance contre les pathogènes.

Comme dans tout écosystème, il existe trois grands types de relations interspécifiques au sein de cet « holobionte » : le mutualisme (deux organismes tirant mutuellement bénéfices l’un de l’autre), le commensalisme (relation bénéfique pour un organisme et neutre pour l’autre) et enfin le parasitisme (relation bénéfique pour un organisme et délétère pour l’autre).

La plupart des bactéries du microbiote intestinal établissent une relation de mutualisme avec l’Homme : les bactéries bénéficient de l’environnement intestinal (notamment de l’apport en nutriments en quantité importante via l’alimentation humaine) et, en retour, elles ont un effet bénéfique sur la physiologie intestinale. 

Dans certains cas de figure, des bactéries pathogènes, ingérées accidentellement par l’Homme, peuvent se retrouver dans la lumière intestinale.

Certaines de ces bactéries pathogènes sont capables d’adhérer aux cellules intestinales et éventuellement de s’internaliser dans ces cellules. L’internalisation dans les cellules de l’épithélium intestinal qui sont non phagocytaires, est une stratégie partagée par plusieurs bactéries pathogènes telles que Listeria monocytogenesSalmonella Typhimurium ou Shigella flexneri.

En effet, adopter un mode de vie intracellulaire offre divers avantages : les bactéries pathogènes deviennent inaccessibles à la composante humorale du système immunitaire, aux peptides anti-microbiens ou même aux antibiotiques (Casadevall et al., 2017). Elles ont accès à un large éventail de métabolites cellulaires.

Elles peuvent enfin sortir des cellules intestinales par la face basolatérale et accéder à des tissus plus profonds.

Changement de paradigme concernant la vision dichotomique du microbiote

La vision « classique » du microbiote repose donc sur une dichotomie entre les bactéries pathogènes capables potentiellement de s’internaliser dans les cellules humaines, et les bactéries « bénéfiques », strictement extracellulaires, proliférant dans la lumière intestinale. De nombreuses études remettent aujourd’hui en cause cette vision « simpliste ».

En effet, il a été montré dans plusieurs études qu’une bactérie n’était pas soit uniquement pathogène soit uniquement bénéfique. Des modifications de l’environnement intestinal peuvent perturber l’équilibre entre les bactéries et l’hôte et induire un changement de « comportement » des bactéries.

Ces changements peuvent avoir des répercussions négatives sur l’hôte, d’où la classification de ces bactéries comme « pathobionte » (Casadevall et al., 2017)(Jochum et al., 2020). Les interactions hôte/micro-organismes sont des relations complexes, influencées par de nombreux paramètres environnementaux.

L’existence d’un continuum de bactéries plus ou moins pathogènes dans l’intestin suggère que certaines propriétés classiquement attribuées aux pathogènes pourraient également être observées chez des bactéries commensales dans certaines conditions.

C’est le cas notamment de la capacité d’internalisation dans les cellules de l’hôte. Il a récemment été proposé qu’il pourrait y avoir des évènements d’internalisation de bactéries non pathogènes (au sens strict) dans des cellules hôtes.

Parmi les nombreuses bactéries commensales et mutualistes du microbiote intestinal, certaines pourraient en effet pénétrer dans les cellules épithéliales mais sans pour autant manifester de pathogénicité vis à vis de l’organisme hôte (Fig. 2).

internalisation du microbiote intestinal par les bactéries

Figure 2 : Certaines bactéries commensales du microbiote pourraient s’internaliser dans les cellules de l’épithélium intestinal et constitueraient un cas « intermédiaire » entre les bactéries commensales strictement extra-cellulaires et les bactéries pathogènes intracellulaires. 

Ces bactéries constitueraient une situation « intermédiaire » entre les bactéries mutualistes, strictement extracellulaires, et les bactéries pathogènes intracellulaires.

Des bactéries du microbiote intestinal capables de s’internaliser ?

Il existe très peu de données à l’heure actuelle sur la diversité des bactéries du microbiote intestinal qui seraient capables de s’internaliser dans les cellules humaines. Des expériences de criblage de bactéries du microbiote pouvant s’internaliser dans les cellules eucaryotes ont récemment été réalisées dans le laboratoire INSERM U1073.

Les bactéries du microbiote intestinal murin (présentes dans le contenu caecal de souris) ont été co-incubées avec des cellules intestinales humaines in vitro. Un traitement antibiotique a été réalisé pour éliminer les bactéries extracellulaires.

Les cellules ont ensuite été lysées et les lysats étalés sur boîtes de culture en milieu anaérobie. Différentes colonies, dérivant des bactéries ayant survécu au traitement antibiotique, et donc s’étant internalisées, ont alors été obtenues.

Une réaction de PCR a été réalisée pour amplifier et séquencer le gène ARNr16S de ces bactéries afin de les identifier sur le plan taxonomique.

Ces expériences de criblages préliminaires ont permis d’identifier un premier candidat intracellulaire potentiel : Staphylococcus warneri (Fig. 3) (Louail, et al., 2022). 

internalisation des bactéries dans le microbiote intestinal

Figure 3 : S. warneri peut s’internaliser dans des cellules intestinales in vitro. Observations en microscopie électronique de S. warneri internalisées dans des cellules Caco2 (Bcw, paroi bactérienne ; Ex, milieu extracellulaire ; Iv, vacuole d’internalisation ; Nu, noyau ; Pm, membrane plasmique ; Vm, membrane vacuolaire. (Louail, et al., 2022)

S. warneri appartient au groupe des staphylocoques à coagulase négative (CoNS) qui colonisent différents types d’épithélium chez l’Homme et qui sont détectées à la fois dans le microbiote intestinal et cutané.

Les bactéries appartenant à ce groupe ont un potentiel pathogène très variable. S. warneri n’a que rarement été associée à des infections et est généralement considérée comme une bactérie résidante non pathogène du microbiote intestinal.

Mon laboratoire d’accueil a confirmé que S. warneri était capable de s’internaliser dans différents types cellulaires intestinaux en utilisant un mécanisme actine-dépendant (Louail, et al., 2022).

Internalisation des Lactobacillaceae

Parmi les autres bactéries identifiées par les expériences de criblages décrites précédemment, une grande majorité appartiennent à la famille des Lactobacillaceae. Les Lactobacillaceae sont des bactéries de type Gram positif, anaérobies facultatives ou strictes, non sporulées.

La phylogénie de cette famille a récemment été remaniée. Cette nouvelle classification, qui regroupe les anciennes familles des Lactobacillaceae et des Leuconostocaceae en une seule famille, les Lactobacillaceae, est basée sur 26 genres différents présentant une forte variabilité métabolique (Fig. 4) (Zheng, et al., 2020).

Arbre phylogénétique de la famille des Lactobacillaceae

Figure 4 : Arbre phylogénétique de la famille des Lactobacillaceae. La classification actuelle des Lactobacillaceaecomporte 26 genres distincts. Les membres d’un même groupe phylogénétique sont indiqués par une même couleur de branches. La souche type de chaque groupe est indiquée en dehors du cercle. (Zheng et al., 2020)

De nombreuses bactéries de la famille des Lactobacillaceae sont connues pour être des résidantes du microbiote intestinal et vaginal humain. Elles représentent 0,01 – 1,8% des communautés bactériennes totales du microbiote intestinal (Huynh, et al., 2022). Les Lactobacillaceae font partie des premières bactéries colonisant le tractus gastro-intestinal après la naissance.

Leur proportion est fortement affectée par le mode d’accouchement et l’allaitement lors des premiers mois (Rutayisire, et al., 2016). Elles sont beaucoup utilisées pour la production de produits fermentés et comme probiotiques en raison de leur capacité de protection contre les pathogènes.

Les bactéries de cette famille sont, en effet, capables de produire des molécules antimicrobiennes telles que le lactate ou le peroxyde d’hydrogène, et de stimuler le système immunitaire.

Certaines espèces de Lactobacillaceae telles que L. fermentumL. paracasei et L. rhamnosus, connues pour être des espèces probiotiques, ont déjà été identifiées comme étant capable d’adhérer et d’internaliser les cellules intestinales Caco2 (Ramirez-Sánchez et al., 2022, Sophatha et al., 2020).

Cependant, ni les mécanismes d’internalisation ni les conséquences fonctionnelles de ces évènements d’internalisation n’ont été caractérisés.

Objectifs

Ce projet de stage a pour objectifs :

  • De confirmer la capacité de différentes espèces de Lactobacillaceae du microbiote intestinal à s’internaliser dans des types cellulaires variés de l’intestin. 
  • De caractériser les mécanismes utilisés par ces bactéries pour pénétrer à l’intérieur des cellules intestinales.
  • D’étudier le devenir des Lactobacillaceae, une fois internalisées, et de caractériser l’impact de ces évènements d’internalisations sur la physiologie intestinale.
 

Pour rappel, l’article présente uniquement l’introduction du mémoire. Pour accéder au protocole, données ainsi qu’à la discussion du présent document, n’hésitez pas à vous adresser directement auprès d’Amélie.

Amélie est également co-fondatrice du réseau biotech blob network qui a pour objectif de valoriser les innovations en biotechnologies en développant un réseau de collaboration entre les différents acteurs du secteur -> Linkedin ici

 
 
amélie cresson

Amélie CRESSON

Bibliographie

  • Casadevall A. The Pathogenic Potential of a Microbe. mSphere. 2017 Feb 22;2(1):e00015            17. doi: 10.1128/mSphere.00015-17. PMID: 28251180; PMCID: PMC5322344.
  • Devriese, S., Van den Bossche, L., Van Welden, S., Holvoet, T., Pinheiro, I., Hindryckx, P., De Vos, M., Laukens, D., 2017. T84 monolayers are superior to Caco-2 as a model system of colonocytes. Histochem Cell Biol 148, 85–93. DOI :/10.1007/s00418-017-1539-7
  • Huynh U, Qiao M, King J, Trinh B, Valdez J, Haq M, Zastrow ML. Differential Effects of Transition Metals on Growth and Metal Uptake for Two Distinct Lactobacillus Species. Microbiol Spectr. 2022 Feb 23;10(1):e0100621. doi: 10.1128/spectrum.01006-21. Epub 2022 Jan 26. PMID: 35080431; PMCID: PMC8791193.
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  • Natalia Nunez, Aurélie Derré-Bobillot, Nicolas Trainel, Goran Lakisic, Alexandre Lecomte, Françoise Mercier-Nomé, Anne-Marie Cassard, Hélène Bierne, Pascale Serror & Cristel Archambaud (2022) The unforeseen intracellular lifestyle of Enterococcus faecalis in hepatocytes, Gut Microbes, 14:1, 2058851,
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  • Robin Louail, Franklin Florin, Sophie Bernard , Jean-Baptiste Michaud, Jonathan Breton, Najate Achamrah, Marie-Pierre Tavolacci, Moïse Coëffier, David Ribet. (2022). Invasion of intestinal cells by Staphylococcus warneri, a resident of the human gut microbiota. 
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