eco1 Reconstruction de l'Identité Écologique : Redécouverte de la Faune

Reconstruction de l’Identité Écologique : Redécouverte de la Faune

Cet article fait référence au chapitre 1 (A) du mémoire de Nicolas POYAU réalisé durant son Master II Écriture, Culture, Médias à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3(2021/2022)

Titre du mémoire : L’illustration de la pensée écologique française dans La Fonte des glaces de Joël Baqué et Le Parfum d’Adam de J- C. Rufin – Une étude du rapport entre l’Homme et l’animal dans la littérature écologique

Chapitre 1 (A) : Reconstruction de l’identité écologique – Redécouverte de la faune

Cet article s’inscrit dans une série de 12 articles consacrés à ce mémoire, à retrouver à la fin.

Introduction

Plusieurs définitions du rapport à la Nature s’opposent dans la théorie écologique française. Robert Hainard définit le premier un rapport à l’altérité naturelle, autrement dit ce qui ne relève pas de la construction artificielle humaine.

La distinction du philosophe sert avant tout à dégager les limites d’un espace humain qui étend son emprise sur l’espace naturel, grâce aux avancées technologiques et à la domestication des animaux. Dans Nature et mécanismes[1] Hainard considère que la nature à sa propre autonomie et constate par la même sa supériorité sur le monde humain, « artificiel » :

La nature, c’est la vie hors de nous, le monde agissant par lui-même. C’est très exactement tout ce que l’activité la plus intelligente, l’organisation la plus efficace ne peuvent produire.

Le philosophe soutient que le rapport de l’homme à la nature se construit comme une dualité entre deux opposés qui se coordonnent, sans toutefois tendre vers un rapprochement. Dès lors redécouvrir cette altérité naturelle nécessite une immersion dans son système de développement : une étude de la nature passe en effet par une redécouverte du milieu naturel. Le système de développement humain ne peut être concilier avec des espaces écologiques.

Il faut ainsi s’extraire de la logique mécanique et artificielle qui permet aux hommes de se protéger de la nature (en rognant sur son espace) pour percevoir la nature. La compréhension séparée du fonctionnement du système écologique devient alors indispensable pour fonder un raisonnement sur le rapport entre l’homme et la nature.

Selon Robert Hainard une réflexion sur les conséquences de ce qui sera appelé plus tard ‘l’anthropocène’ nécessite de vivre au contact du système organique naturel. Ce retour à l’environnement, qui permet un retour critique sur l’homme, est présent dans la narration du roman d’espionnage de J-C. Rufin Le Parfum d’Adam[2].

Le personnage principal s’engage dans un mouvement activiste écologique qui s’avère être en réalité responsable d’actions terroristes. J-C. Rufin expose le parcours de Juliette, une jeune habituée des manifestations écologiques. Il crée un parcours initiatique stéréotypé qui montre de manière exhaustive les étapes de l’engagement écologique et la découverte de l’altérité que constitue la nature.

L’auteur prend du recul et analyse constamment le parcours de son personnage. Cette démarche est également utilisée dans le roman humoristique de Joël Baqué La Fonte des Glaces [3] : l’auteur s’appuie sur l’usage du rire pour constamment relativiser la portée des actions écologiques de son personnage principal, Louis.

La prise de recul avec l’artificialité de la société humaine est tout aussi développée dans cet ouvrage. Elle s’accompagne cependant d’un ton parodique qui transforme l’amour de la nature de Louis en une réflexion critique sur son possible voyage de retour, vers la société.

Le contrepied narratif est également utilisé par J-C. Rufin puisque le lecteur ne s’attend pas à ce que l’association écologique mise en avant dans les péripéties de l’héroïne soit terroriste. L’académicien propose ainsi une réflexion plus théorique, centrée autour des enjeux politiques et environnementaux des actions qui concentrent l’affect du lecteur, ceux du personnage principal.

L’auteur s’écarte ainsi des récits écologiques qu’il cite fréquemment, notamment ceux de la wilderness américaine. La narration de l’auteur centrée autour de la protection de la nature (incarnée ici par la défense des animaux) rompt en effet avec les thèmes traditionnels du genre. La référence du genre, souvent citée par J-C. Rufin est The Monkey Wrench gang[4] d’Edward Abbey.

Ce roman narre en effet des actions de sabotage écologique, symbole d’un activisme radical, qui constitue précisément la remise en cause proposée par J-C. Rufin. Grâce à l’inversion des thèmes traditionnels de l’écologie son roman semble montrer qu’il ne faut pas détruire les œuvres humaines qui polluent mais davantage protéger le milieu naturel, incarné ici par les ‘animaux’.

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L’évident paradoxe qui consiste à promouvoir l’écologie en se positionnant comme un détracteur des associations écologiques est soutenu pendant toute l’œuvre, faisant du roman[5] une critique d’un fanatisme qui servirait la cause écologique. Une défense excessive des ‘animaux’, même si le mot prend un sens figuré dans cet œuvre, semble être le biais narratif choisit par l’auteur pour dénoncer l’extrémisme écologique.

Joël Baqué nuance également les bienfaits de la ‘wilderness américaine’. Si le personnage principal n’a pas d’impact sur la protection des manchots empereurs l’auteur fait de son action le symbole du lien entre l’animal et l’homme. L’amour soudain que Louis porte à ces animaux, étranger à toute contact humain, semble être un moyen pour l’auteur de souligner l’aspect instinctif de la défense de la nature. L’engagement pour la cause écologique parait naturel à Louis, et sa destruction un comportement déviant, absurde.

Cette promiscuité avec les ‘animaux’ est développée dans les deux œuvres et sert une remise en cause des actions humaines en faveur de l’écologie.

 La construction d’un rapport privilégié avec les ‘animaux’ permet ainsi aux auteurs de présenter un double rapport à la nature. Le premier se construit autour de la figure de la nature inerte et donc principalement de la flore, mais aussi des sites menacés, qui ne peuvent pas avoir d’échange avec l’homme (tel que les icebergs dans La Fonte des glaces[6] par exemple).

Le second est centré autour d’une promiscuité avec les ‘animaux’. Ces derniers semblent permettre aux auteurs une remise en cause de l’importance de l’aspect paisible de la nature (qui serait liée à la flore) et de la comparer avec la part animale (violente et sauvage) de l’homme. Les deux trames narratives incitent le lecteur à se questionner sur l’origine de l’engagement pour la défense de la nature. Les auteurs paraissent s’interroger sur la source du sentiment écologique qui pousse à la protection de l’environnement.

Deux aspects sont mis en avant : d’une part l’instinct animal, plus collectif, et d’autre part une volonté personnelle de défendre la nature qui serait issue d’une identification à son milieu naturel. Les auteurs se servent du rapport entre les personnages principaux et des formes d’animalité présentes dans les romans pour discuter de l’origine de l’élan écologique qui anime ces mêmes protagonistes.

Il s’agira de se questionner sur la manière dont les auteurs font de la protection de la figure de l’”animalité” le point de départ de la sauvegarde de l’environnement. Cette attention portée aux animaux passe d’abord par une relativisation de l’importance de l’homme. Les deux romans proposent ainsi une réécriture du parcours initiatique afin de créer un nouveau contact avec la nature.

Les auteurs approfondissent ensuite cette démarche grâce à un traitement réaliste de la cause animale. La relecture du rapport à la nature et son ancrage dans la réalité contemporaine, grâce à la cause animale, sert enfin la promotion de la pensée écologique. Cette dernière est développée à partir de la préservation de la faune.


[1] R. Hainard, Le Miracle d’être, Paris, Science et nature, Sang de la Terre, 1986, p. 123.

[2] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, Paris, Gallimard, Folio, 2008.

[3] Joël Baqué, La Fonte des glaces, Paris, Gallimard, Folio, 2017.

[4] Edward Abbey, The monkey Wrench gang, Paris, Gallmeister, Totem, 2016.

[5] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, Paris, Gallimard, Folio, 2008.

[6] Joël Baqué, La Fonte des glaces, Paris, Gallimard, Folio, 2017.

Une réécriture bio-centrée de l’engagement écologique

La narration des œuvres s’articule autour d’une redécouverte d’un milieu naturel jusque-là oublié. Cette progression dans la narration amène une relecture des engagements écologiques des personnages. Cette réappropriation est rendue possible par la redécouverte d’un état de nature dans l’œuvre de J-C. Rufin. L’évolution de l’engagement activiste de Juliette sert cette redécouverte.

A contrario c’est un lien affectif qui dans La Fonte des Glaces initiera le retour à la nature du personnage principal. En effet il s’attache à un animal en particulier : le manchot empereur. Ce lien quotidien permet de développer tout au long de l’œuvre une redécouverte de la proximité entre les sentiments humaines et l’attachement à d’autres espèces.

Les deux personnages sont amenés au cours des œuvres à repenser leur identité au sein d’un milieu naturel. La nature va alors jouer le rôle de miroir dans la réflexion que les personnages opèrent sur eux-mêmes.

Une reconstruction de  l’identité écologique des personnages

Une première redécouverte de la faune

Les œuvres présentent toutes les deux des parcours initiatiques construit autour de plusieurs étapes clés. Ces jalons permettent à l’auteur de faire ressentir au lecteur l’évolution de ses convictions écologiques. Le passage d’une étape à l’autre se caractérise par un nouveau rapport à “l’animalité”. Ce trait, que l’on considèrera comme propre à la nature dans cette partie, peut-être évoqué soit au travers de la faune entourant le personnage, soit au travers de symboles.

Le roman de J-C. Rufin met en scène dès le premier chapitre l’activisme écologique de Juliette. L’œuvre commence par un incipit in media res qui s’étend sur tout le premier chapitre. L’engagement de Juliette est mis en avant au travers de multiples commentaires d’un superviseur hiérarchique.

Le lecteur est ainsi directement averti au travers de ce discours indirect du concept idéologique qui motive la réalisation de la mission : “Tous les êtres vivants ont des droits, qu’ils soient beaux ou repoussants, domestiques ou sauvages, comestibles ou non” [1]. Le lecteur est également renseigné sur le lieu de l’action : “Il n’y a jamais personne dans le laboratoire au milieu de la nuit”[2] et sur les étapes de la mission de Juliette9 :

“La deuxième partie de ta mission a autant d’importance que la première. Souviens-toi bien de ça.

Cette mise en situation permet de faire directement sentir au lecteur l’importance des actions qui se déroulent dans ce chapitre puisque ces informations sont délivrées sous- forme de rapport de mission. En effet il est systématiquement précisé que Juliette suit ces ordres à la lettre.

Les paroles du superviseur sont ainsi doublées d’une phrase du narrateur qui vient valider ce discours. Le lecteur est ainsi conscient que Juliette a validé ce discours : “La leçon était assimilée”[3]. Le contexte narratif est donc rapidement établi.

Il en est de même du thème du livre. Le rapport à l’animal se révèle central dans ce premier chapitre. La phrase d’accroche de l’œuvre se construit ainsi sur l’évocation de l’animal le plus proche de l’homme[4] :

Jusqu’aux singes, Juliette n’avait rien ressenti. Ou presque.
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Les sensations du personnage principal sont directement liées dans ce chapitre aux effets que produisent les animaux sur ces sens. Le parallèle entre l’homme et les primates est ainsi clairement établi au travers du pathos, d’abord évoqué au travers du verbe “ressenti” puis par une seconde impression de Juliette[5] :

Mais maintenant c’était le tour des singes. Ils allaient soumettre les sentiments de Juliette à une épreuve autrement plus rude. Il y en avait cinq, tous petits, étonnamment humains dans leur mimique et leur regard.

Cet usage de la figure du singe, perçu comme le plus proche parent de l’homme permet à l’auteur de développer un affect entre Juliette et les animaux qu’elle libère. Ce raisonnement est conforme à l’idéologie de la protection animale développé par Peter Singer dans La libération animale.

Pour P. Singer la défense des animaux est motivée par leur capacité à avoir conscience de leur état physique et mental. En effet leur niveau de capacité cognitive les rapproche de certains groupes humains, eux aussi incapables d’exercer leur devoir en société[6] :

Mieux vaut donc reconnaître d’emblée que la classe des agents moraux — si tant est qu’ils possèdent des caractéristiques communes, ce dont Singer doute — est beaucoup plus restreinte que la classe des patients moraux à laquelle appartiennent au moins, à côté des bêtes, les humains incapables d’initiative morale, comme les enfants, les fous ou les victimes d’un quelconque handicap portant atteinte à la faculté de juger et de décider. Mieux vaut, dans la foulée, carrément reconnaître que la bête constitue de toute manière un partenaire ou un destinataire important de notre agir moral.

Ce premier chapitre de l’œuvre de J-C. Rufin souligne cette incapacité des animaux à se défendre d’eux-mêmes en reprenant l’exemple du singe[7] :

Juliette, qui avait résisté à la vue des animaux moins repoussants, se senti moins assurée à la vue de cet être familier.

Le personnage principal décide donc d’aider cet être vivant qui lui ressemble. Ce qui rapproche ces deux mammifères[8] :

Le petit singe, toujours couché sous son flanc, tenait maintenant ses yeux grands ouverts. […]. Après les souris, les chats et les hamsters, c’était à son tour de plonger dans la nuit fraîche, heureuse comme elle ne l’avait pas été depuis trop longtemps.

Cette dernière citation laisse en suspens l’identité de l’hominidé qui profite de sa sortie du laboratoire jusqu’au pronom personnel “Elle”. Le rapprochement entre l’animal est l’homme est ici plus prononcé que dans la phrase d’incipit. Ce chapitre permet à l’auteur d’associer dès le début du roman l’activisme écologique du personnage principal avec une idéologie.

Il semble ainsi créer une première étape du cheminement idéologique que Juliette opère au travers des différentes étapes du roman. L’auteur énonce ensuite des critiques à l’encontre de cette théorie au cours d’un chapitre mettant en scène une réunion à but pédagogique sur les différents mouvements écologiques et leur idéologie :

Le Front de libération animale a été créé ici, en Angleterre en 1979. Au début, leur cheval de bataille, sans jeux de mots, était l’interdiction de la chasse à courre. On a d’abord cru qu’il s’agissait d’un énième mouvement de défense des animaux […] complètement inoffensifs. L’apparition du FLA correspondait à une rupture idéologique complète. Avez-vous lu leur bible, le livre de Peter Singer, Animal Liberation ?

L’énonciatrice prend pour exemple des actes contre lesquels Juliette semble lutter dans ce premier chapitre16 :

On tue des bêtes pour les manger, on sacrifie des animaux de laboratoire pour la recherche, on enferme des singes dans des cages leur vie durant pour les montrer aux enfants.

Et interroge également le caractère moral de cette théorie écologique[9] :

Dans son ouvrage il affirme en substance qu’un bébé humain déficient mental ne lui paraît pas plus digne d’être protégé qu’un gorille intelligent. Vous voyez l’esprit ?

Le lecteur comprend ainsi qu’il suit le parcours physique mais aussi spirituel de Juliette.

En effet cette dernière citation, provenant d’un chapitre plus tardif dans l’œuvre, est l’occasion de faire un point sur

les différents mouvements activistes écologiques. Il permet ainsi d’éclairer le lecteur sur la portée morale des différents agissements présentés dans le roman[10] :

L’Armée de libération animale, qui est la branche “combattante” du FLA vise des objectifs spécifiques (industries, personnages politiques, leaders d’opinion) de façon sélective et continue. Il ne se passe pratiquement pas de semaine sans qu’ils commettent un acte hostile.

Ce groupe d’activiste est mis en avant dans ce chapitre par des militaires soucieux de préserver la sécurité sur le sol Anglais. Dans leur thèse sur le roman K. Nguetse et R. Foudjio résument les passages qui décrivent ce groupe armé[11] :

Le premier [le FLA] est clairement présenté dans le roman comme « un groupe écologiste qui a été créé en Angleterre en 1979 » par Ronnie Lee et Cliff Goodman. Il vise le sauvetage de plus d’animaux possibles et d’interrompre directement la pratique de ce qu’elle considère comme des abus en tout genre sur les animaux. C’est la raison pour laquelle « L’Armée de libération animale, qui est la branche combattante du F.L.A., vise des cibles spécifiques (industries, personnages politiques, leaders d’opinion) de façon sélective et continue ».

Une situation qui va pousser le Major Cawthorne, chargé de coordonner « la lutte anti F.L.A. plus haut niveau », à faire cette analogie dans son propos : « F.L.A est l’une des premières menaces terroristes en Angleterre aujourd’hui. Les islamistes sont dangereux, bien sûr, mais ils frappent des cibles indiscriminées, massives et relativement rares ». De sa création jusqu’à nos jours, le F.L.A. a occasionné plus de cent cinquante actions directes dans le monde avec des destructions d’édifices estimées à plusieurs milliers de dollars en termes de perte.

Ils rappellent ainsi que cette organisation existe et que les dommages engendrés sont réels. Le militantisme de Juliette s‘inscrit ainsi dans un cadre contemporain. La perception du lecteur, change puisqu’il s‘attend désormais avoir des actions militantes de Juliette qui si elles étaient menées à bien, menaceraient son mode de vie.

Le personnage suit en effet le parcours classique du combattant embrigadé dans un groupe armé. J-C. Rufin semble ainsi réécrire une scène d’initiation au militantisme, puisque Juliette vit dans l’incipit sa première mission. Juliette a ainsi redécouvert le rapport direct entre l’animal et l’homme, un rapport qui sera amené à évoluer au cours du roman. Ce passage permet d’introduire un mouvement activiste écologique.

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Dans l’œuvre de Joël Baqué la redécouverte par le personnage principal du rapport qu’il peut entretenir avec la faune n’est pas politiquement engagé. L’auteur construit un lien entre l’animal et le protagoniste qui se rapproche dans un premier temps du traumatisme.

Dans La Fonte des glaces[12] c’est la levée d’un tabou, à savoir la proximité avec des animaux, qui est à la source du parcours initiatique de Louis. En effet ce dernier gardait une certaine distance avec la faune, son père ayant été tué par un pachyderme :

Son père tenait la comptabilité de la grande bananeraie près de laquelle il fut piétiné un jour de congé par un éléphant qu’il venait de photographier.

L’auteur attribue à l’animal en question des caractéristiques humaines, en faisant ainsi un véritable assassin. L’éléphant est ainsi considéré comme un être à part entière. L’auteur lui attribue un degré de responsabilité égal à l’homme pour cet acte meurtrier21 :

Le cliché, prit juste avant la charge de l’éléphant, montre un grand mâle aux oreilles largement déployées, ce qui aurait dû inciter le comptable à renoncer à sa photo car l’éléphant montre ses oreilles comme le chien ses crocs, le commercial son sourire.

La présentation de différents êtres vivants dans cette phrase permet de faire un lien direct entre l’homme et l’animal avec des termes péjoratifs. Le réflexe de l’éléphant de montrer ses oreilles est décrit comme un indicateur sociologique que le père de Louis aurait dû écouter.

L’auteur fait ensuite une comparaison avec le chien que l’on considère comme proche de l’homme malgré son animalité. Enfin il fait le parallèle entre l’éléphant et un commercial. L’agressivité qui caractérise ces trois êtres vivants permet les mettre sur un pied d’égalité en termes de responsabilité. L’auteur approfondi la personnification de l’animal à la page suivante au travers du deuil des morts qui est considéré comme le propre de l’homme[13] :

C’était le dernier être à avoir vu son mari vivant et, même aveuglé par la colère, le premier à le voir mort.

Joël Baqué semble personnaliser l’éléphant à un degré suffisamment élevé pour que la veuve puisse avoir un lien sentimental avec cet “être vivant”, ce qui facilite son deuil. Joël Baqué fait donc des animaux des personnages à part entière, ceci avant même la rencontre entre Louis et les manchots empereurs.

La vie du personnage principal reste marquée au début du roman par cet évènement puisqu’il semble construire sa vie autour d’un ressentiment envers les animaux. En effet le protagoniste travaille dans une boucherie et apprécie le découpage de la viande bovine [14] :

Durant son apprentissage, […] Louis dû découper porcs et agneaux, vaches et veaux congelés. Il s’attaquait aux carcasses avec l’allant d’un bûcheron et l’enthousiasme d’un débutant.

Sa profession le maintien ainsi à l’écart de tout animal vivant. Le quotidien de Louis est à ce point marqué par les carcasses qu’elles sont présentes à tous les moments de sa vie. Ainsi ce rejet de l’animal vivant se retrouve également dans la sexualité du personnage :

Sa hachette faisait jaillir des copeaux de chair glacée, […] ses poignets et leur dégel en sa propre chair mêlait à sa substance intime celle du porc et de l’agneau, de la vache et du veau.

Une expérience qu’il connait aussi avec d’autres êtres humains, associant ainsi la notion de plaisir à celle de viande animale24 :

Dans les premiers temps de leur union, après une vigoureuse période de rodage des ressors ensachés, la charcutière et le charcutier s’aimèrent souvent à même le sol, dans la boutique de la rue Lavoisier. […]. Mais pour certains élus, tels que Lise et Louis, son odeur [le sang des animaux] peut s’avérer un aphrodisiaque sans pareil.
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Ce rapport à la mort reste donc constant dans les principaux domaines de la vie de Louis. Il perdurera d’ailleurs lors de la redécouverte de la faune par le toulonnais. Le premier élément matériel qui conduira le charcutier à s’intéresser de nouveau à la faune est en effet un oiseau mort. Par la suite le personnage principal rencontre un manchot empereur empaillé, ce qui change son rapport à la mort animale.

Dans l’œuvre de Joël Baqué la redécouverte du rapport à la nature animale passe avant tout par une relecture du rapport entre l’homme et la chair qu’il consomme. L’évènement qui rompt la distance entre Louis et les animaux est sa rencontre avec un animal dont la chair est transformée à but figuratif et non dans le but d’être consommé[15] :

La créature se tenait en position verticale sur l’étagère du milieu, pointant son bec dans la même direction que son regard, droit sur Louis. Était-elle un passager clandestin ? Vendue avec l’armoire ? Oubliée derrière la porte depuis des lustres ? Louis et le manchot empereur se faisaient face sans qu’aucun ne bouge, l’un parce que cette rencontre le pétrifiait, l’autre parce qu’il était empaillé depuis quelques années déjà.

La succession de questions rhétoriques présentes ici crée un effet d’incertitude à même de faire comprendre au lecteur l’importance de la situation dans la vie affective de Louis. C’est la redécouverte d’un animal mort qui va changer la perception de Louis, qui s’amourache de la bête[16] :

Non pas un coup de tête mais un coup de cœur. […] Un éléphant avait clôturé l’existence du comptable [son père], un manchot empereur allait inaugurer une nouvelle ère pour Louis.

Cette redécouverte de la faune part donc d’abord d’un nouveau lien entre les animaux morts, encore conservés dans leur forme naturelle et donc identifiables, et Louis. Cette première étape permet dans les deux romans d’approfondir le rapport à l’altérité que constitue la nature et la faune en particulier.


Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’auteur ci-dessous.

Nicolas POYAU

Nicolas POYAU

Livres pour approfondir

Articles consacrés au mémoire

Liste des 12 articles consacrés au mémoire de Nicolas POYAU :

1 – Reconstruction de l’Identité Écologique : Redécouverte de la Faune

2 – Reconstruction de l’identité écologique : Un Voyage Initiatique vers la Nature

3 – Analyse de l’écologie radicale dans l’œuvre de J-C. Rufin

4 – Écologie, Animaux et Animisme dans La Fonte des glaces et Le Parfum d’Adam

5 – La cause animale : Pensée écologique, Écocentrisme et Littérature

6 – Le symbole animal dans l’espace sociétal : réflexions écologiques profondes

7 – Enjeux des Associations Écologiques dans l’Œuvre de J-C. Rufin

8 – Rapprochement avec la Nature : Témoignage Réaliste dans le Roman de Joël Baqué

9 – La Fonte des glaces : Louis et les Manchots Empereurs

10 – Animaux et dignité : l’expérience animiste de Louis contre la religion

11 – Critique de l’anti-spécisme dans « Le Parfum d’Adam » de J-C. Rufin

12 – Dénonciation des Riches dans l’Écologie: Analyse des Romans


Notes

[1] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, Paris, Gallimard, Folio, 2008, p. 12-15.

[2] Ibid., p. 12. Ibid., p. 15.

[3] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, Paris, Gallimard, Folio, 2008, p. 13.

[4] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, Paris, Gallimard, Folio, 2008, p. 11.

[5] Ibid. p. 13.

[6] S. Haber, « Les apories de la libération animale : Peter Singer et ses critiques », Open, 2021, no 4.

[7] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, op. cit. note 7, p. 14

[8] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, Paris, Gallimard, Folio, 2008, p. 20 16 Ibid., p. 109.

[9] Ibid..

[10] J-C. Rufin, Le Parfum d’Adam, Paris, Gallimard, Folio, 2008, p. 106.

[11] P. Kana Nguetse, Écriture romanesque et militantisme écologique dans Le Parfum d’Adam de Jean Christophe Rufin, thèse, Université de Dschang, sans date, p. 122, URL : https://misuratau.edu.ly/journal/norsud/upload/file/R-1415-8.pdf.

[12] J. Baqué, La Fonte des glaces, Paris, Gallimard, Folio, 2017 21  Ibid. p. 11.

[13] Ibid. p. 12.

[14] Joël Baqué, La Fonte des glaces, Paris, Gallimard, Folio, 2017, p. 34 24 Ibid., p. 40.

[15] Joël Baqué, La Fonte des glaces, op. cit. note 21, p. 55‑56.

[16] Ibid., p. 57.

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