Cet article fait référence à l’introduction du mémoire de Master 1 EOPS parcours STEP par Adrien ARIGONI réalisé à l’Université de Montpellier (2022/2023).
Titre du mémoire : Effets d’un entrainement en force sous forme d’exercices haut et bas du corps imbriqués chez des joueurs de rugby à XV de moins de 16 ans
Sommaire
Introduction
Le rugby en France a longtemps été basé sur des situations d’apprentissage décontextualisées (suppression de l’opposition donc pas de contact) et technicistes (reproduction des gestes des joueurs de haut-niveau).
Le rugby bascule dans l’ère moderne sous l’influence de trois grands théoriciens (Devaluez, Conquet et Deleplace) dans les années 70 avec la publication de divers ouvrages, notamment « Les fondamentaux du rugby moderne » (Conquet, 1996) et « Rugby de mouvement, rugby total »(Deleplace, 1979). Ceux-ci constituent une première révolution pour l’enseignement et la pratique du rugby.
De ce débat entre approche technique ou tactique, nous passons dans les années 1990 à un débat « combat-évitement » opposant notamment Conquet à Deleplace qui aboutit à l’émergence de deux courants, deux conceptions, deux modes d’entrée et deux formations différentes.
Le premier courant, le courant Conquésien, est attaché à la formation du joueur par et dans le combat corps à corps. Pierre Conquet définit le rugby comme « un jeu d’opposition au corps, un jeu de combat collectif » (Conquet, 1996).
On a donc avec ce mouvement une volonté de mettre l’accent sur la notion de combat et donc sur le développement des qualités physiques liées au combat.
Le deuxième mouvement, le mouvement Deleplacien, place le développement de l’intelligence tactique reposant sur la double modalité combat/évitement en priorité.
Le joueur doit être capable d’alterner défis physiques et évitements. Cela implique des capacités physiques liées non seulement au combat, mais également au déplacement rapide du joueur. Pour éviter l’adversaire, il faut être plus rapide que lui.
Il semble actuellement que la gestion de l’affrontement physique au corps à corps soit replacée au centre de la formation du jeune joueur. Ces deux courants apparaissent aujourd’hui complémentaires dans la formation fédérale des joueurs.
Définition
On peut donc définir le rugby comme étant un sport de combat collectif à transmission d’engin fait de défis physiques et d’évitements pour occuper l’espace adverse et se mettre en position de marque à la main (essais) et au pied (transformations, pénalités, drops).
Cette définition comporte plusieurs termes clés tels que « combat collectif » : c’est l’essence de l’activité, le combat au corps à corps. Sport de combat collectif ou sport collectif de combat ?
Cela nous interpelle sur les différentes conceptions de l’activité et les différents modes d’entrée. « Transmission d’engin » : particularité du ballon ovale, à rebond aléatoire qui implique une extrême vigilance et induit un travail technique pour le manipuler à la main ou au pied. « Défis physiques et évitements » : fait référence à la double modalité dont nous parle Deleplace.
La professionnalisation des joueurs
La deuxième grande révolution du rugby a été la professionnalisation dans les années 90. Les premiers contrats de joueurs professionnels sont signés, les séances d’entraînement hebdomadaires sont passées de trois par semaine à un entraînement quotidien, voire biquotidien.
De plus, on a également pu constater une augmentation du temps de jeu : la professionnalisation a transformé les joueurs de rugby en véritables athlètes. Cela a favorisé l’augmentation du niveau et du temps de jeu effectif.
On est passé de matchs avec un temps de jeu effectif de vingt-neuf minutes de jeu en moyenne (McLean, 1992) à quarante-cinq minutes de jeu aujourd’hui d’après les données de l’International Rugby Board (Paquet, 2014).
Cela s’explique notamment par la volonté de World Rugby de spectaculariser le rugby pour le rendre plus attractif via la modification du règlement. On retrouve cette dynamisation du rugby dans le rapport statistique de World Rugby, avec entre 2003 et 2019 une diminution du nombre de phases statiques : le nombre de mêlées est passé de 21 à 14, et le nombre de touches de 33 à 25.
Ainsi qu’une augmentation du nombre de passes (241 à 273 soit 13%) et surtout une augmentation des phases de combat avec un nombre de rucks et mauls passant de 136 à 174 (28% d’augmentation).
Il semble qu’il est de plus en plus important pour un joueur qu’il soit capable d’enchainer phases de combat et phases de courses, mais à quel point les phases de combat, qu’il s’agisse des mêlées, des rucks ou des plaquages, sont-elles décisives pour la victoire d’un match ?
Vaz et al., (2019) ont mené une étude en analysant les huit finales de coupe du monde de rugby de 1987 à 2015, et ont trouvé que le nombre de mêlées gagnées était significativement plus élevé chez les équipes gagnantes.
World rugby a relevé les statistiques de l’Afrique du Sud, vainqueur de la coupe du monde 2019, et il en ressort qu’elle a obtenu le plus de pénalités sur ses propres mêlées et obtenu le plus de turnovers (changement de possession, en générale dans les rucks), et de pénalités sur les mêlées de leurs adversaires.
Quant aux plaquages, lors du tournoi des 6 nations 2007, les équipes gagnantes ont fait 3 % de plaquages « efficaces » en plus et 4 % de plaquages « moins efficaces » en moins que les équipes perdantes (van Rooyen et al., 2014).
Il apparait donc qu’une domination dans les secteurs de combat constitue un facteur clé pour gagner un match.
Rôle de la force au rugby
Le point commun entre les plaquages, les rucks, les mauls et les mêlées est la phase de poussée des membres inférieurs.
La technique joue un rôle prépondérant dans la réussite de ces exercices, mais à technique égale (ce qui est souvent le cas à haut niveau), c’est la force produite par les membres inférieurs qui va faire la différence.
La force est aussi une composante de la puissance, cette dernière est directement liée avec la performance en sprint (Singh et al., 2021), le sprint étant une tache omniprésente dans un match puisqu’on a relevé en moyenne quarante-deux sprints par match par joueur (Austin et al., 2011).
Enfin, dans l’étude de Cunningham et al., (2018), on peut remarquer que la force maximale (test de traction isométrique à mi-cuisse) est corrélée avec de nombreux facteurs de performance tels que le nombre de possessions (r = 0.793), le nombre de passes après-contact (r = 0,621) et le pourcentage de plaquages réussis (r = 0,603).
La force constitue donc un facteur clé dans la victoire d’un match. Il semble alors important de développer celle-ci chez les jeunes joueurs en phase de devenir adulte. C’est ce que rapporte l’étude de Till et al., (2017), dans laquelle on peut noter que des gains de force (en développé couché, back squat et tirage planche) étaient plus importants dans les groupes d’âge les plus jeunes.
En effet, une étude sur laquelle s’appuie la précédente montre une augmentation annuelle de 24% pour les U16-U17 contre 7,8% pour les U19-U20 au développé couché, et une augmentation annuelle de 22,5% contre 6,2% au back squat (Till et al., 2015).
Cela peut être dû au fait que les joueurs sont plus proches de la maturité. Il semble d’ailleurs d’autant plus important d’améliorer cette qualité physique puisqu’elle contribuerait à atteindre le niveau professionnel au rugby (Till et al., 2016).
L’exercice de musculation se rapprochant le plus de la phase de poussée des membres inférieurs est le squat, la performance en squat étant corrélée avec les performances sur les sprints courts et sur le saut vertical (Seitz et al., 2014).
Pour améliorer la force de « pince » des bras et ainsi améliorer le plaquage, il faut développer la force du grand pectoral et du deltoïde antérieur, le développé couché est un bon exercice pour cela (Król and Gołaś, 2017), d’autant plus qu’il va également développer la force du triceps brachial ce qui est très intéressant pour le raffut.
Ainsi les deux mouvements (Back Squat et Développé Couché) communément pratiqués en musculation sont pertinents au regard de l’activité rugby pour les phases de combat.
Développer sa force maximale
Pour développer la force maximale, il est préférable de soulever des charges lourdes avec peu de répétitions (Campos et al., 2002) ce qui induit un temps de repos minimal nécessaire de trois minutes entre les séries pour éviter une baisse significative des répétitions (Willardson and Burkett, 2006).
Dans une autre étude on voit que plus le temps de repos est long, plus on a une durabilité complète des répétitions et plus le volume d’entrainement est grand (Hernandez et al., 2021).
Pour améliorer les performances sur les plaquages, mêlées, rucks, maul… il faut donc développer la force des membres inférieurs et supérieurs, ce qui nécessite beaucoup de temps à cause de la durée de récupération assez longue.
Si l’on devait faire quatre séries de back squat et quatre séries de développé couché, avec comme durée de récupération trois minutes (le minimum), cela prendrait quatorze minutes par exercice soit vingt-huit minutes au total.
Sachant que dans les clubs de rugby, surtout chez les jeunes, le temps réservé à la musculation est assez court (quarante minutes au MHR par séance), les préparateurs physiques ne peuvent pas se permettre de faire seulement deux exercices en une séance, c’est pourquoi ils ne font pas d’entrainement de force maximale.
La solution serait d’utiliser le temps de récupération pour limiter le temps d’inactivité pendant la séance, c’est-à-dire de faire un entrainement sous forme de superset.
La limite de cet entrainement est la fatigue engendrée puisque les exercices ciblent les différents muscles d’un même membre (Weakley et al., 2017). La fatigue peut être définie comme une « diminution de la capacité du muscle à produire de la force ou de la puissance induite par l’exercice, que la tâche puisse être maintenue ou non » (Gandevia, 2001).
Donc pour que le muscle puisse réitérer un effort maximal, il faudrait faire un entrainement toujours sous forme de superset, mais en combinant un exercice du haut du corps (développé, tirage…) et du bas du corps (squat, hip-thrust…).
Hypothèse et objectifs
A ma connaissance, aucune étude n’est sortie sur un entrainement de ce type, j’ai donc choisi d’orienter mon mémoire sur la problématique suivante : Un entrainement en force sous forme d’exercices haut et bas du corps imbriqués fonctionne-t-il ?
L’objectif est donc d’imbriquer deux exercices n’ayant en commun aucun muscle ni aucune racine nerveuse sollicitée, ce qui est le cas du développé couché et du back squat. Il faut aussi se poser la question d’une fatigue centrale que pourrait induire ce genre d’entrainement.
Elle peut être définie comme une réduction progressive induite par l’exercice de l’activation volontaire ou de la commande neurale du muscle (Taylor et al., 2006).
Effectivement, la fatigue concerne tous les niveaux de la voie motrice, du muscle jusqu’au cerveau, donc même si les racines nerveuses sont différentes, plusieurs zones du système nerveux central sont sollicitées sur les deux mouvements.
C’est le cas des aires motrice primaire, prémotrice et motrice supplémentaire ainsi que du cortex préfrontal et du cortex pariétal postérieur. En approfondissant on peut tout de même remarquer grâce aux travaux de Penfield et Boldrey qu’au sein des aires motrices, différentes surfaces sont associées à différentes parties du corps, ipso facto, ce ne sont pas tout à fait les mêmes zones du système nerveux central qui sont sollicitées sur les deux exercices que sont le back squat et le développé couché (Catani, 2017).
Avec ces deux exercices, on peut formuler l’hypothèse selon laquelle puisque les muscles, les racines nerveuses, et les surfaces des aires motrices sollicitées sont différentes suivant les exercices, les inconvénients d’un entrainement en superset ne sont plus, ce qui nous rapproche de la fatigue engendrée lors d’un entrainement en force traditionnel.
Ainsi, nous devrions observer une augmentation des performances en force maximale sur le back squat et sur le développé couché.
Pour rappel, l’article présente uniquement l’introduction du mémoire. Pour accéder au protocole, données ainsi qu’à la discussion du présent document, n’hésitez pas à vous adresser directement auprès de l’auteur.
Adrien ARIGONI
Références
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