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Le vampire en bande dessinée : les illustrations de Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly

Cet article fait référence à la partie 1 chapitre 1 du mémoire de Carla BEDINI réalisé durant son Master II Littérature Générale et Comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle (2022/2023)

Titre du mémoire : Adapter et représenter le mythe de Dracula : les bandes dessinées de George Bess, Pascal Croci et Hippolyte

Cet article est le troisième d’une série de 2 articles consacrés à Dracula. Voir à la fin pour plus d’informations.

Pascal Croci, Françoise-Sylvie Pauly et les vampires

Pascal Croci, né en 1961, pratique le scénario ainsi que le dessin de bandes dessinées en autodidacte. Il fait ses premières armes dans des bandes dessinées religieuses et catholiques, comme par exemple dans laTendresse de Dieu pour les hommes, publié en 1984. Il abordera ensuite ce thème autrement et dans un tout autre style graphique en 1994 avec Siècle de sang, « Tome 1 : l’Ermite assassin », où le personnage principal, un ermite inspiré par Dieu, va entraîner tout un village contre son curé, celui-ci s’étant lié avec le démon.

Dans sa bibliographie, nous retrouvons l’une des ses bandes dessinées intitulée Christ, un one shot65 publié en 2010. Toutefois, il y revisite totalement la Bible, car le personnage principal d’Emma, journaliste le jour et prostituée la nuit, est associé à une figure moderne de Marie Madeleine. Sa bande dessinée Auschwitz reçoit le Prix Jeunesse de l’Assemblée Nationale en 2000 et connaît un succès international, puisqu’elle est traduite en dix langues.

Son premier roman graphique paru en 2008, Cesium 137, traite des grands événements qui ont bouleversé le monde, notamment de la guerre et des camps à Auschwitz, mais aussi de Hiroshima et des attentats des Tours Jumelles de 2001. L’illustration et la création de portraits humains à travers ces tragédies constituent un fil conducteur dans sa carrière, notamment à travers deux bandes dessinées parues récemment en janvier 2023, Tchernobyl et Hitler.

Son style est décrit comme étant tiré de l’univers gothique, mettant généralement en scène des femmes dans des drames romantiques. En effet, nous voyons que l’auteur accorde une place de choix aux femmes de pouvoir dans son corpus d’œuvres : Elizabeth Bathory, Gloriande de Thémines66, ainsi qu’une Marie-Antoinette stylisée en sweet-lolita67.

Pascal Croci montre aussi une forme plus fragile de la féminité à travers sa bande dessinée Anorexie, publiée en 2021. Des personnages féminins fictifs, certains tirés de romans, complètent donc sa bibliographie : nous retrouvons la Carmilla de Sheridan le Fanu dans un album qui lui est consacré en 2016 ; Janet Burroughs en 2011, version féminine de Edgar Rice Burroughs, auteur de Tarzan seigneur de la jungle (1912) ; et Lady Tara Cornwall en 2003.

Nous voyons que les thèmes de prédilection de l’auteur sont tirés de croyances, notamment à travers une spiritualité chrétienne, d’événements historiques marquants ainsi que de mythes historiques et littéraires, abordant ainsi, tout au long de ses publications, la fragilité de la nature humaine, mais aussi, des sujets propres à la féminité.

Lady Tara Cornwall, album publié en 2003, est donc le premier album de Pascal Croci consacré à une héroïne féminine. Cet album marque le début de sa collaboration avec la romancière et scénariste Françoise-Sylvie Pauly, anciennement sa compagne, avec qui il aura traité principalement des figures féminines fictives et non-fictives citées précédemment.

De leur collaboration naît donc tout un corpus féminin, mais aussi tout un corpus vampirique, que nous allons désormais aborder (excepté Carmilla, publié en 2016) : Le Prince Valaque Vlad Tepes, publié en 2005 ; Le Mythe raconté par Bram Stoker, publié en 2007 ; À la recherche de Dracula : Carnet de voyage de Jonathan Harker, publié en 2008 ; Élisabeth Báthory, 2009 et Dracula édition intégrale, la même année68.

Dracula : Un roman de jeunesse

Pascal Croci découvre Dracula à l’âge de douze ans à travers le long métrage de Tod Browning La Marque du vampire, sorti en 1935. Cette représentation filmique de Dracula est donc à l’origine de sa fascination pour les vampires. Le lendemain du visionnage, Pascal Croci se rend à sa librairie, où lui est conseillé le roman de Bram Stoker.

Il le dévore en quatre jours et demande aussitôt à lire la suite, qui dès lors, n’existe pas encore. Son premier dessin d’imagination s’inspire de la couverture du Dracula des éditions de récits fantastiques Marabout.69

Couverture du Dracula de Stoker, édité chez Marabout, 1971 ; Dracula de Pascal Croci et Pauly, Paquet, 2015
Figure 6: Couverture du Dracula de Stoker, édité chez Marabout, 1971 ; Dracula de Pascal Croci et Pauly, Paquet, 2015. Planche p.144.

Pascal Croci, même s’il trouve la couverture du roman un peu « vulgaire », s’en est fortement inspiré pour dessiner ses planches, notamment celle page 144 de notre édition. Pascal Croci déclare que la liberté d’interprétation de l’image, représentant à la fois une femme endormie, morte, ou bien s’apprêtant à attaquer le lecteur, a fortement joué sur le plan artistique.

Nous voyons bien que la planche page 144, placée à la fin de l’ouvrage en tant que clin d’œil iconographique, est accompagnée d’un texte équivoque : « Je veux dire, de quoi sommes-nous certains ? », avant que la créature vampirique ne se réveille. Malgré une appréciation certaine du roman de Stoker, nous notons que l’approche de Pascal Croci est plus esthétique que littéraire, car il aborde avant tout les effets graphiques de la couverture du roman, où le comte n’est d’ailleurs pas représenté.

Nous y retrouvons une nouvelle fois une figure féminine, thématique récurrente des ouvrages de Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly. Avec Pascal Croci, nous revenons également au lien sacré entre le vampire et la religion, puisque c’est grâce à trois planches d’essai sur le Dracula de Stoker que l’auteur a été engagé pour la réalisation des bandes dessinées religieuses que nous avions citées précédemment.

Nous supposons dès lors qu’une dimension christique se dégage des dessins de Pascal Croci, et que cette même dimension serait directement inspirée d’une lecture particulière du roman de Stoker, c’est-à-dire, à travers une lutte manichéenne entre le Bien et le Mal, entre Dieu et Satan :

Demain, notre tâche commencera et Dieu seul sait ce qui attend chacun d’entre nous. Vous êtes bons, tous, envers moi, au point de m’emmener avec vous.70

L’obsession de Pascal Croci pour le roman de Stoker a ainsi duré vingt ans71 avant qu’il ne se lance dans l’aventure avec Françoise-Sylvie Pauly, avec qui il partage donc cette passion pour les vampires.

La suite de Dracula

Françoise-Sylvie Pauly et Pascal Croci, en plus de leur travail d’adaptation, ont un rêve commun : écrire la suite du roman de Stoker. Cette idée de suite hante donc Pascal Croci depuis sa lecture du roman, ce qui a d’autant plus alimenté sa passion pour Dracula. Publié en 2001 chez Denoël, l’Invitée de Dracula tente tout d’abord d’instaurer un retour à la vie normale pour Mina et Jonathan Harker. Leur enfant est baptisé Quincey, en hommage au personnage de Quincey Morris, mort en héros à la fin du roman de Stoker lors de son combat avec le comte :

Mr. Morris était tombé à terre. Il s’appuyait sur un coude et pressait toujours son flanc de sa main gauche. Entre ses doigts, le sang coulait plus fort que jamais. Je me précipitai vers lui, car le cercle n’était plus qu’un obstacle pour moi. Les deux docteurs se précipitèrent aussi. Jonathan s’agenouilla derrière lui et le blessé put appuyer sa tête sur son épaule. Dans un soupir, il prit ma main dans la sienne. Il devait lire toute l’angoisse et toute la tristesse que je ressentais, car il me sourit :

– Je suis trop heureux d’avoir servi à quelque chose. Oh ! Dieu ! cria-t-il soudain, en faisant un dernier effort pour se redresser. Cela valait bien ma mort… Regardez ! Regardez !72

Cette succession onomastique est d’ailleurs déjà présente dans l’épilogue du roman de Stoker :

Voilà sept ans que nous avons franchi les flammes et le bonheur que nous connaissons à présent vaut bien les souffrances endurées. Joie supplémentaire pour Mina et pour moi : notre enfant est né le jour anniversaire de la mort de Quincey Morris. Sa mère semble croire sérieusement que les vertus les plus viriles de notre ami ont été transmises à notre fils. Nous lui avons donné tous les prénoms des héros de notre petit groupe – avec, bien sûr, Quincey en premier.73

L’attribution de ces prénoms renforce l’aspect légendaire de l’histoire de Stoker. Les personnages entrent alors dans une autre dimension, celles de modèles héroïques ayant combattu le Mal. Lorsque nous parlons du mythe de Dracula, ainsi que de son caractère immortel, il est essentiel de rappeler que tout un groupe de personnages évolue pour ou contre lui tout au long de l’intrigue.

Ces personnages font partie intégrante de ce qu’est le mythe de Dracula, car ils représentent une grande force d’opposition : le camp de Dieu et du Bien, le camp des mortels, et donc implicitement, du lecteur. Nous le verrons plus tard, mais la culture populaire a souvent cultivé le mythe de Dracula à travers ces personnages annexes, notamment ceux de Van Helsing et de Renfield. Il est curieux de noter que le prénom principal du fils Harker est Quincey, et non pas Abraham ou John74.

Le prénom principal renvoie donc premièrement à la Mort, avant toute forme de résistance et de vie, alors incarnée par les personnages ayant survécu. La naissance lors de ce jour de deuil est synonyme de malédiction, l’enfant se réincarnant ainsi en celui qui a perdu dans la vie dans son combat contre les forces obscures.

Tout cela laisse croire que la lutte contre le vampire n’est en réalité pas terminée, et qu’elle en est même une quête impossible. Pauly fait donc mourir le jeune Quincey dès le début de son roman, afin que le combat contre le vampire reprenne. Nous voyons que cette suite traduit une certaine volonté, par l’autrice, de perpétuer le mythe autour de Dracula, personnage qui hante à la fois l’auteur et le lecteur. Cette « hantise » dont parle Pascal Croci donne justement lieu à la transformation du lecteur, du récepteur, en créateur et auteur.

Le lecteur, ayant établi tout un imaginaire vampiresque se met alors, volontairement ou involontairement, à croiser les mythes du vampire. Ici, il ne s’agit pas seulement de Dracula, mais de tous les mythes incarnant la figure du vampire, dont la Carmilla de Sheridan le Fanu, ayant été adapté en bande dessinée par Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly, tout comme le roman de Stoker.

Pascal Croci : Il y a, dans l’édition intégrale de Dracula, une nouvelle qui s’intitulait L’invité de Dracula, qui est en fait le premier chapitre. Stoker y fait mention d’une certaine Carmilla von Karstein. Il s’agissait d’une sorte d’hommage qu’il faisait à son ami Sheridan Le Fanu qui avait écrit Carmilla, autre classique de la littérature vampirique.

Mais il a peut- être eu peur d’être accusé de plagiat, ce qui expliquerait que ce chapitre ait été enlevé de la version publiée de Dracula ; ensuite son épouse a demandé, à la mort de l’auteur, de rajouter ce chapitre. Suivant les éditions, ce segment se trouve donc au début, à la fin ou pas du tout dans le livre. Prochainement je vais adapter Carmilla.75

Dans le roman de Pauly, nous retrouvons ainsi le personnage de Karmilla, nouvelle et étrange amie de Mina Harker. Chez Stoker, Mina entretient une amitié de longue date avec Lucy, morte une première fois sous les morsures du comte et une seconde fois par un pieu enfoncé dans le cœur, œuvre de Van Helsing.

Nous pouvons dire que cette amitié féminine mue sous la forme de Karmilla, comme si la version vampirique de Lucy n’avait jamais été abattue par Van Helsing. Ce lien rétablit également la relation entre le comte et Jonathan dans les Carpates : Mina joue le rôle de Jonathan et Karmilla, celui du comte.

Couverture de l’Invitée de Dracula de Françoise-Sylvie Pauly, Denoël, 2001
Figure 7: Couverture de l’Invitée de Dracula de Françoise-Sylvie Pauly, Denoël, 2001.

Le roman de Pauly propose ainsi une nouvelle genèse au personnage du comte, à travers des personnages issus d’une réincarnation des victimes de Dracula (Lucy et Morris), mais aussi à travers une nouvelle investigation menée dans les Carpates. Ce retour aux sources permet une recherche plus en profondeur : qui est réellement le comte Dracula ?

Pauly se base alors sur l’histoire de Vlad Tepes, interprétation souvent convoquée depuis la publication de À la recherche de Dracula en 1972 par Raymond Mc Nally et Radu Florescu. Les personnages historiques constituent ici des personnages de fiction à part entière et mettent en lumière les recherches de Stoker sur le vampire et la légende du Prince Valaque. 

Cette suite présente donc un point commun important avec le Bram Stoker’s Dracula de Francis Ford Coppola, premier film liant à la fois thèse historique et fiction littéraire. La première partie de la bande dessinée de Pascal Croci, correspondant à l’origine au premier tome de notre version intégrale (Livre I : le Prince Valaque Vlad Tepes), présente les mêmes caractéristiques, notamment l’introduction du personnage de l’épouse de Comte Dracul (la princesse Cneajna76 dans la bande dessinée) et du frère de Dracula, Mircea.

Les personnages historiques sont donc mis sur le même plan que les  personnages  littéraires : Pauly redonne ainsi vie aux morts par cette nouvelle genèse du mythe. Paradoxalement, ce qui est censé être la suite du roman ramène le lecteur aux origines du mythe, jouant ainsi avec les différentes temporalités. Le mythe de Dracula, comme nous le supposions, illustre ainsi ce lien très étroit entre la Vie et la Mort.

Des femmes vampires et fatales

Attardons-nous à présent sur le motif de la femme fatale chez Françoise-Sylvie Pauly et Pascal Croci. La plupart de leurs productions communes se réfèrent à de puissantes figures féminines, telles que Carmilla et Elizabeth Bathory en ce qui concerne les vampires. Le mythe de la femme vampire précède celui de Dracula dans le temps, etnon pas seulement avec l’œuvre de Le Fanu. 

Miller qualifie Carmilla de « prototype féminin du vampire »,77 mais souligne tout de même l’importance, encore une fois, de la mutation des légendes anciennes en cette nouvelle légende vampiresque : il s’agit d’une adaptation des archétypes mythologiques des Sirènes, de Méduse, des Harpies, de Eve ou de Lilith, comme citée précédemment.78 

Le motif de la femme fatale célèbre l’union du sexe et de la Mort, et ainsi, nous replonge dans cette immortalité propre au mythe du vampire, entre Vie et Mort. Carmilla présente de nombreux points communs avec le vampire de Stoker : elle a des caninesaiguisées, peut facilement se glisser dans des espaces étroits et sous forme fantomatique en un espèce de brouillard, se protège de la lumière du soleil79 et se métamorphose également en Bête.

Il faut dire que les deux auteurs ont probablement consulté les mêmes textes, notamment ceux de l’érudit Dom Augustin Calmet, notamment son traité Dissertations sur les apparitions des anges, des démons et des esprits, et sur les revenants et vampires de Hongrie, de Bohême, de Moravie et de Silésie, publié en 1746.

Il y propose une explication sur la légende du vampire, qu’il considère comment étant une légende propre à l’Europe de l’Est. Ces « Revenants de Hongrie », comme il les appelle, tireraient leur caractère diaboliquement transsubstantatoire par delà la famine qui touchait les peuples balkaniques80, ce qui les auraient poussés à devenir cannibales.

La source la plus célèbre de Carmilla reste inévitablement l’histoire de la comtesse hongroise Elizabeth Bathory (1560-1614). Comme le souligne Pozzuoli, la comtesse est également assimilée à Dracula (elle est parfois surnommée la « comtesse Dracula ») par les innombrables châtiments corporels et crimes de sang dont elle a fait preuve.

La comtesse Bathory, obsédée par la jeunesse, perpétuait donc cette croyance autour du pouvoir d’immortalité, et donc de Vie qu’avait le sang. Elle fit sacrifier un certain nombre de jeunes femmes afin de pouvoir y baigner son corps et ainsi, garder une éternelle jeunesse.81

Couverture de Carmilla de Croci et Pauly, EP Media, 2016 ; couverture de Elizabeth Bathory par les mêmes auteurs, Emmanuel Proust, collection « Atmosphères », 2009.
Figure 8: Couverture de Carmilla de Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly, EP Media, 2016 ; couverture de Elizabeth Bathory par les mêmes auteurs, Emmanuel Proust, collection « Atmosphères », 2009.

Pascal Croci représente donc Carmilla et la comtesse de la même manière : elles présentent sur elles la même coiffure, la même robe, les mêmes traits. Il s’agit, en réalité, de la même personne. Comme il l’a précédemment fait avec Dracula, Pascal Croci choisit d’aborder d’adapter le mythe historique de la comtesse Bathory en 2009, en tant que travail préparatoire, avant de s’attaquer au mythe littéraire de Sheridan le Fanu en 2016. Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly présentent donc, dans leur corpus, une approche historique, puis littéraire du mythe des vampires.

Comme le souligne Miller, Carmilla n’illustre pas seulement un désir entre mortel et vampire, mais plus précisément entre deux femmes : « Carmilla est l’éternel animal incarné dans la femme, la contrepartie bestiale de l’idéal virginal »82. Une nouvelle fois, Carmilla, tout comme le comte Dracula, se meut dans les multiples formes du vampire (la jeune fille, le fantôme, la Bête), afin d’incarner cette figure anti-chrétienne du Mal, le Diable, figure des passions interdites.

Carmilla témoigne aussi des craintes de son siècle, de cetteappréhension masculine concernant la « Nouvelle Femme » victorienne, c’est-à-dire, une femme sexuellement agressive, aspirant le sang du cœur d’un homme, veine par veine83. Dans Dracula, nous pensons à cette célèbre scène du chapitre III, lorsque Jonathan Harker rencontre les concubines du comte :

Dans la lumière de la lune se tenaient trois jeunes femmes, de toute évidence de grandes dames, à en juger par leur parures et leurs manières. Lorsque je les vis pour la première fois, j’étais sûr de rêver car, en dépit de le lueur de la lune, derrières elles, elles ne projetaient pas d’ombre sur le sol.

[…] Les deux premières avaient des cheveux sombres et des nez aquilins, comme celui du comte, de grands yeux étincelants qui, contraste avec la pâle clarté lunaire, paraissaient presque rouges. La troisième était belle, aussi belle qu’on peut le rêver, avec de lourdes boucles dorées et ses yeux de saphirs pâles. Ce visage, je crus le reconnaître pour l’avoir déjà vu dans un de mes rêves, mais je ne pus m’en souvenir davantage. Toutes trois montraient des dents extrêmement blanches qui brillaient comme des perles sur le rubis de leurs lèvres voluptueuses.

[…] La jolie jeune femme s’avança et se pencha sur moi, au point que je pus sentir son haleine m’envelopper. Le moment était doux, en un sens, une douceur de miel, et pourtant, j’en subissais une impression semblable à celle que j’avais subie en l’entendant rire – une harmonie tendre mais en même temps amère, insultante pour les sens, un peu comme si du sang s’était mêlé au miel.84

Le vampire, et notamment la femme vampire du dix-neuvième siècle, incarne donc une nouvelle métaphore propre au conditionnement social et culturel de la fin de l’époque Victorienne anglaise, élément de contexte dans lequel Dracula s’inscrit, tout comme le Fanu avec Carmilla, qui apparaît précisément à cette période et qui est donc référencé comme étant le premier vampire féminin apparaissant dans un roman britannique85 :

La première interprétation est celle consistant à voir en Dracula une sorte de « dédoublement » de son auteur, qui, en pleine période puritaine, se serait offert une sorte de compensation au rigorisme ambiant et qui aurait projeté dans son œuvre tous ses fantasmes de victorien, d’homme marié insatisfait et souffrant de cette insatisfaction.86

Planches pages 55 et 93 du Dracula de Pascal Croci et Pauly, Paquet, 2015.
Figure 9: Planches pages 55 et 93 du Dracula de Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly, Paquet, 2015.

Dans la bande dessinée de notre étude, la planche 55 représente l’attaque de la princesse Cneajna par les sœurs du prince Vlad Tepes, tandis que la planche 93 illustre l’extrait du chapitre III de Stoker précédemment cité. Nous remarquons un fil conducteur dans la représentation des femmes vampires dans les tomes 1 et 2 de Pascal Croci et Françoise Pauly. 

Contrairement à la description du roman, les concubines sont toutes identiques et habillées traditionnellement, tout comme les sœurs de Vlad Tepes. Elles piègent leur victime (tantôt la princesse Cneajna, tantôt Jonathan Harker) dans la même mise en scène, c’est-à-dire un découpage triptyque et horizontal des cases, alternant gros plan, point de vue surplombant la scène et sortie de champ. Ce parallèle entre Histoire et fiction est donc présent chez Pascal Croci et Françoise Pauly par le découpage et l’assemblage des cases.

Ces lectures communes, comme nous l’avons vu, retracent une nouvelle fois le lien entre lecteur et auteur. Dans l’entrée « Carmilla » de son dictionnaire La Bible Dracula, Alain Pozzuoli confirme la proposition de Miller qui consiste à dire que Carmilla a été une grande source d’inspiration pour Stoker, en y incluant tout de même une petite nuance : tout comme le surnom de la comtesse Bathory, « la comtesse Dracula », Pozzuoli qualifie Carmilla de « pendant féminin de Dracula »87, comme si le mythe de Stoker primait sur celui de Le Fanu.

Cependant, Pascal Croci et Françoise Pauly choisissent de faire valoir un point de vue féminin dans leur corpus d’œuvres, que ce soit dans l’Invitée de Dracula ou dans leurs bandes dessinées. En effet, Croci décide de ne pas illustrer en détails la poursuite de Dracula dans sa bande dessinée, car le côté « action » et « masculin » de la quête héroïque de Van Helsing et sa bande ne l’intéressait pas88.

La traque héroïque du  vampire n’est ni le sujet, ni l’objet des œuvres de Croci et Pauly, qui reposent sur le caractère historique et fictif du mythe de Dracula. Dracula et les vampires ne sont pas seulement des monstres, mais de réelles légendes revivifiées par le biais de la fiction littéraire.


Cet article s’inscrit dans une série consacrée à Dracula, voir ci-dessous :

1 – Les vampires illustrés : Pascal Croci, Françoise-Sylvie Pauly

2 – Dracula : Nosferatu, Aristocrate et Coppola


Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’autrice ci-dessous.

image 3 Le vampire en bande dessinée : les illustrations de Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly

Carla BEDINI

image Le vampire en bande dessinée : les illustrations de Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly
Carla Bedini

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Bram Stoker Dracula Édition Prestige

En 1897, un roman épistolaire signé Bram Stoker introduit au public l’extraordinaire Dracula, un être immortel se nourrissant du sang des vivants pour les métamorphoser en créatures maléfiques. Bien que Stoker n’ait pas créé le concept du vampire, il lui a donné sa forme moderne en érigeant le comte Dracula en une figure iconique et emblématique qui a inspiré des générations d’écrivains.

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Pascal Croci crée une atmosphère à la fois terrible et crue. Il réalise un vibrant hommage à la littérature fantastique et gothique, et au film de vampire.

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Dracula – Hippolyte

Hippolyte réalise une adaptation extrêmement fidèle du roman de Stoker en deux volumes pour la collection Carrément BD. Il retourne à la source unique, le roman de Stoker, pour créer une œuvre illustrée d’une manière inédite. En utilisant la technique de la carte à gratter, Hippolyte fait émerger des espaces blancs à partir d’une feuille noire. Cette approche confère à l’œuvre une dimension époustouflante, rappelant la gravure du XIXe siècle et évoquant le style de Gustave Doré, offrant ainsi une nouvelle perspective visuelle au célèbre roman.

Notes

  • 65 Terme anglais signifiant « coup unique ». Définition du Larousse : « Album de bande dessinée non intégré à une série et qui constitue une histoire complète. »
  • 66 Dans cet album, Pascal Croci relate les événements qui se sont passés sur l’un de ses lieux de vie, le château aveyronnais de Sévérac. Gloriande de Thémines est la première femme de Louis d’Arpajon, général de Louis III et marquis du château. L’action, qui se déroule au XVIIème siècle, raconte alors l’assassinat de Gloriande par son mari.
  • 67 Le sweet-lolita est une catégorie du style japonais lolita, se référant à un esprit enfantin, et utilisant majoritairement des couleurs pastels ou du blanc, des formes très bouffantes ainsi qu’une omniprésence de détails (dentelles, rubans, etc.) et du monde de l’enfance (peluches, jouets et pâtisseries) dans les imprimés. Ces formes s’inspirent de la mode rococo du XVIIIe siècle français, d’où cette concordance esthétique avec la reine Marie-Antoinette. Définition tirée du blog lolitahandbook.canalblog.com.
  • 68 Ces bandes dessinées ont majoritairement été éditées chez Emmanuel Proust, dans la collection « Atmosphères », à l’exception de À la recherche de Dracula : Carnet de voyage de Jonathan Harker, publié chez le Pré aux clercs. L’édition abordée dans cette étude est une intégrale de Dracula, publiée chez Paquet en 2015.
  • 69 CROCI, Pascal, et Françoise-Sylvie PAULY. Dracula. Paquet, 2015. p.154.
  • 70 STOKER, op.cit., p.506.
  • 71 CROCI, op.cit., p.151.
  • 72 STOKER, op.cit., p.578.
  • 73 STOKER, op.cit., p.581.
  • 74 Abraham Van Helsing et John Seward.
  • 75 SPOOKY, op.cit.
  • 76 Nom emprunté à la mère de Vlad Tepes et princesse de Moldavie Vasilisa Cneajna Muşat.
  • 77 MILLER, op.cit., p.115.
  • 78 Ibid.
  • 79 POZZUOLI, op.cit., p.86.
  • 80 LECOUTEUX, Claude, Histoire des vampires, Paris, Imago, 2009. p. 10.
  • 81 POZZUOLI, op.cit., p.48-49
  • 82 MILLER, op.cit., p.116.
  • 83 MILLER, op.cit., p.119.
  • 84 STOKER, op.cit., p.61-62.
  • 85 MILLER, op.cit., p.119.
  • 86 POZZUOLI, op.cit., p.166.

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