Cet article fait référence au chapitre 1 section 2 paragraphe 1 du mémoire de Elie Blaise Martin LENDOYE AKOULOUA réalisé durant son Master en Droit Privé option Droit des affaires à l’Institut Supérieur de Droit de Dakar (2022/2023)
Titre du mémoire : La fiducie-sûreté en droit OHADA
Sommaire
Un mode de réalisation à l’épreuve des procédures collectives d’apurement du passif
Le droit des entreprises en difficulté ou droit des procédures collectives est un droit protecteur des intérêts des entreprises débitrices lorsqu’elles connaissent des difficultés de nature à compromettre le bon fonctionnement de l’entité. Face à ce corps de règles, le droit des sûretés qui lui s’inscrit principalement dans la protection des intérêts des créanciers s’est longtemps montré inefficace. En effet, les modes de réalisation des sûretés traditionnelles ce sont toujours heurtés aux règles restrictives contenues dans le droit des procédures collectives.
C’est pourquoi, conscient du rôle capital que jouent les sûretés en matière d’attractivité des affaires dans un Etat, voire dans un espace économique, de nombreux droits positifs à l’instar de la France[1] et de l’espace OHADA[2] ont vu leur droit des sûretés réformés.
A travers ces réformes, on peut désormais citer à côté des sûretés préférentielles des sûretés mettant les créanciers dans une position d’exclusivité, c’est le cas de la fiducie-sûreté aussi bien en droit positif français qu’en droit OHADA.
Ainsi, la situation d’exclusivité permet à la fiducie-sûreté de résister aux règles contraignantes des procédures collectives, d’être à l’épreuve. Elle permet au créancier d’échapper aussi bien aux premières règles la discipline collective (Paragraphe 1), qu’aux règles restrictives de paiement (Paragraphe 2).
Un mode échappatoire du créancier propriétaire face aux premières règles de la discipline collective
Échapper à la discipline collective a été pendant plusieurs années considérées comme relevant d’une utopie. Pour les créanciers aussi bien privilégiés que chirographaires, l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de leur débiteur apparaissait comme une situation de crise irréversible portant définitivement atteinte à leur droit le plus absolue, celui d’obtenir l’exécution de l’obligation consentie par le débiteur.
Cette situation a longtemps paralysé le climat des affaires, dans l’optique de prévenir les éventuelles risques d’insolvabilité, les dispensateurs ont restreint l’accès au crédit en demandant des garanties supplémentaires parfois impossibles à fournir. Conscient des enjeux autour du crédit, il fallait impérativement se doter de mécanismes permettant de restaurer la confiance des établissements de crédits. Car comme il a été si bien dit :« Sans sûretés pas de crédit, sans crédit pas d’économie ».
L’ouverture d’une PC instaure une discipline collective à l’égard des créanciers du débiteur. Cette discipline se traduit généralement par des règles contraignantes pour le créancier.
Mais avec l’avènement des sûretés propriétés à l’instar de la fiducie, les créanciers ont désormais un outil qui résiste aux procédures collectives. Ainsi, le créancier n’est plus obligé de prendre part à la masse des créanciers (A) et peut désormais résister aux règles restrictives de poursuites (B).
A- L’absence d’obligation de prendre part à la masse des créanciers
À l’ouverture d’une procédure collective, le créancier dont la sûreté n’est pas reconnue ne peut valablement s’en prévaloir. Il se trouve alors dans la situation d’un créancier chirographaire. Pour éviter cette position peu enviable, le créancier doit faire reconnaître sa sûreté. Or, la reconnaissance d’une sûreté dans les procédures collectives passe par l’opposabilité de cette dernière.
L’opposabilité, c’est le rayonnement d’un acte juridique ou d’un jugement à l’égard de ceux qui n’ont été ni parties, ni représentés ; c’est l’aptitude d’un acte à produire ses effets à l’égard des tiers[3]. Dans le cadre d’une procédure collective, l’opposabilité permet à la sûreté d’être connue des tiers et de produire des effets à leur égard.
De façon générale, deux règles assurent la reconnaissance des sûretés réelles en cas d’ouverture d’une procédure collective. La première règle met à la charge du créancier une obligation de faire en l’occurrence celle de déclarer sa créance. Quant à la seconde, elle met en avant une interdiction, celle de procéder à l’inscription de sa sûreté après le jugement d’ouverture. Le transfert fiduciaire d’une somme d’argent n’étant pas une sûreté dont la validité est soumise à la formalité de l’inscription au RCCM, l’ensemble de nos développements se feront relativement à l’obligation de déclarer sa créance.
Ainsi, au regard de la spécificité du transfert fiduciaire d’une somme d’argent, il convient de se demander si le créancier bénéficiaire a également l’obligation de prendre part à la masse des créanciers ?
Pour répondre à cette interrogation, il convient d’émettre le postulat selon lequel on se sent dans l’obligation de prendre part à la masse dès lors qu’on ne dispose pas de garanties permettant de faire face à l’insolvabilité constatée du débiteur soumis à la procédure collective. En d’autres termes, lorsque les chances de recouvrer sa créance sont compromises. Mais aussi, lorsque les dispositions en vigueur sont de nature à restreindre nos droits.
L’absence d’obligation de prendre part à la masse ou encore l’absence d’obligation de produire sa créance apparaît chez les personnes ayant constitué cette sûreté propriété. Rappelons tout d’abord que le créancier bénéficiaire d’une fiducie est à la fois créancier et propriétaire. Il n’est pas un créancier ordinaire ! Il se distingue des créanciers chirographaires et préférentiels en ce qu’il a la propriété du bien grevé afin de garantir l’obligation.
A cet effet, il a été possible de relever les propos suivants : « Pour ceux dont le bien a quitté les mains et le patrimoine d’un tiers ou d’un patrimoine fiduciaire dont eux-même sont titulaires, il n’est même pas besoin de revendiquer. La réalisation de la sûreté va se produire en dehors de la procédure »[4] . Portant uniquement sur une somme d’argent, le créancier est ici dès la constitution de la sûreté, propriétaire jusqu’à ce que le débiteur parvienne à exécuter son obligation.
Il apparaît alors un droit d’exclusivité conféré au titulaire de ladite sûreté. En droit OHADA, les fonds cédés en fiducie sont placés dans un compte bloqué au nom du créancier bénéficiaire. A cet effet, il nous est possible de dire qu’il s’agit d’un droit d’exclusivité renforcé. Ceci dit, car en érigeant la règle qui consiste à placer les fonds dans ledit compte, le législateur soustrait ces fonds de l’actif disponible et utilisable débiteur.
En revanche, l’obligation de déclaration qui incombe à tous les créanciers de la masse c’est-à-dire les créanciers antérieurs à l’ouverture de la procédure, cette exigence s’appliquerait au créancier bénéficiaire si et seulement il était prévu entre les parties une convention de mise à disposition des fonds cédés, comme il est par exemple possible d’en faire en droit français. Mais, le législateur OHADA ne l’ayant pas prévu dans les modalités de constitution de cette sûreté, il serait alors impossible pour les parties d’y déroger.
Cette sûreté de par sa nature est opposable à toutes les phases de la procédure, puisque son bénéficiaire est à l’abri des poursuites individuelles et peut se prévaloir de son droit, dès l’ouverture et cela même en présence d’une cession, celle-ci ne pourrait pas porter suer cette sûreté, le débiteur n’étant plus propriétaire du bien jusqu’au paiement intégral de la créance-garantie. Cette technique crée l’inégalité entre les créanciers dans le droit des entreprises en difficulté en octroyant une protection spécifique au créancier contre son débiteur.[5]
Ainsi, l’obligation de prendre part à la masse apparaît comme une faculté chez le créancier propriétaire car la somme objet de la garantie n’est plus quantifiable comme un élément faisant partie intégrante du patrimoine du débiteur. Et comme l’a dit le Professeur MACORIG-VENIER
Francine : « les créanciers propriétaires bénéficient d’une situation globalement avantageuse dans les procédures collectives où ils échappent encore largement à la discipline collective », nous pouvons convenir avec elle que cette faculté qu’a le créancier propriétaire est un des avantages que confère les sûretés propriétés.
On reconnaît également à la fiducie française cette même efficacité dans le cadre de l’ouverture d’une procédure collective d’apurement du passif. En effet, l’article 2024 du code civil français dispose : « L’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire n’affecte pas le patrimoine fiduciaire », dans le cadre des développements relatifs à cette partie on peut à juste titre dire qu’il y a également, en droit français, une absence d’obligation de prendre part à la masse pour le créancier bénéficiaire.
N’affecte pas le patrimoine fiduciaire, de cette expression on comprend aisément que les effets de la discipline collective en l’occurrence l’obligation de produire sa créance sont inopposables au créancier bénéficiaire. En s’exprimant de façon aussi claire, le législateur a évité que diverses interprétations soient faites au sujet des effets de l’ouverture d’une procédure collective sur le patrimoine fiduciaire, une telle démarche devrait être reprise par le législateur OHADA.
Outre le fait qu’elle permet au créancier propriétaire d’échapper à la discipline collective, la fiducie s’avère également se présente comme un rempart face aux règles restrictives de poursuites.
Ainsi, il convient à présent d’aborder le transfert fiduciaire d’une somme d’argent comme le rempart face aux règles restrictives de poursuites.
B- Le rempart dans les règles restrictives de poursuites
En droit des procédures collectives, la règle de l’arrêt des poursuites ou suspension des poursuites s’entend comme une règle interdisant toute poursuite individuelle à l’endroit du débiteur. Ainsi, il convient de se demander si le créancier propriétaire de la somme d’argent affecté au patrimoine fiduciaire est soumis à cette interdiction.
Pour y répondre, il faudrait mettre l’accent sur le fait qu’au jour de la constitution le débiteur a déjà préconstitué la garantie. Cette pré constitution qui s’accompagne d’une dépossession met le la créancier propriétaire dans une confiance absolue, le bien garantie a déjà quitté le patrimoine du débiteur pour intégrer provisoirement celui du créancier. Alors, pourquoi attraire le débiteur en justice et voir son action en action en justice déboutée ?
Rien ne l’explique, car on ne donne que ce dont on a la propriété et la libre disposition, en espèce ce dernier ne l’a plus. « Pour que les sûretés constituent réellement un facteur de développement économique et, plus spécialement contribuent à la création d’entreprises, il est indispensable d’en garantir la pleine efficacité en cas d’ouverture d’une procédure collective[6] », il est clair qu’en consacrant la fiducie le législateur a veillé à ce que son régime juridique plus précisément les dispositions encadrant sa réalisation puissent parfaitement résister à la procédure et par conséquent se soustraire au chemin de croix qu’impose cette procédure d’insolvabilité aux créanciers.
« La procédure du constituant ne peut affecter en aucun cas les droits du bénéficiaire, en l’occurrence le banquier-créancier, puisque celui-ci est déjà propriétaire des fonds, même si cette peut être analysé comme celle du second degré à la différence […] En pratique, le bénéficiaire est à l’abri des vicissitudes entrainées par la procédure du fiduciant, parce qu’il s’agit de la propriété garantie[7] ».
Si une action quelconque doit être intentée, la personne à attraire ne sera pas le débiteur mais plutôt l’établissement de crédit, en cas de non-respect de la règle d’ordre public relative à réalisation de cette sûreté en cas de défaillance du débiteur. Ladite règle prévoit qu’en cas de défaillance constatée du débiteur le créancier peut à juste titre actionner le banquier afin de se voir remettre les sommes affectées au compte bloqué. Notons également que toute clause contraire à cette disposition est réputée non écrite.
Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’auteur ci-dessous.
LENDOYE AKOULOUA Elie Blaise Martin
Livres pour approfondir
Principes de la philosophie du droit – Hegel
Les Principes de la philosophie du droit sont désormais considérés parmi les grandes théories philosophiques de l’État. Hegel y développe une dialectique ascendante, démontrant que la vérité du droit abstrait et de la moralité réside dans la réconciliation entre la gestion des choses et des consciences, concrétisée dans la réalité morale.
Notes
[1] Réforme du droit des sûretés à travers l’ordonnance n°2021-1192 du 15 Septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.
[2] Réforme du droit des sûretés OHADA à travers l’AUS révisé de 2010.
[3] Gérard CORNU. Vocabulaire juridique, Presses Universitaires de France, p. 711.
[4] Francine MACORIG-VENIER, « L’EXCLUSIVITÉ », https://publications.ut–capitole.fr/ , TOULOUSE CAPITOLE PUBLICATIONS, p.4, consulté le 10 Novembre 2023 à 14H45.
[5] Dramane Aguibou COULIBALY, « Sûretés réelles et procédures collectives OHADA », L’HARMATTAN, p.101.
[6] Centre National de la recherche Scientifique et Marie Elodie ANCEL, « Repenser le droit des sûretés mobilières », Ouvrage collectif, LGDJ, 2005, p.114.
[7] COULIBALY Dramane Aguibou, « Sûretés réelles et procédures collectives OHADA », op. cit., p.99.