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La Fonte des glaces : Louis et les Manchots Empereurs

Cet article fait référence au chapitre 3 (1-A-I) du mémoire de Nicolas POYAU réalisé durant son Master II Écriture, Culture, Médias à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3(2021/2022)

Titre du mémoire : L’illustration de la pensée écologique française dans La Fonte des glaces de Joël Baqué et Le Parfum d’Adam de J- C. Rufin – Une étude du rapport entre l’Homme et l’animal dans la littérature écologique

Chapitre 3 (1-A-I) : La dignité animale pour déconstruire le spécisme – La dignitité animale au travers de la proximité – L’attribution d’une dignité à l’animal

Cet article s’inscrit dans une liste de 12 articles à retrouver à la fin.

La promotion écologique des animaux

Les deux romans présentent des péripéties qui valorisent les êtres qui sont les plus proches de la nature. Que ces êtres soient des Homo sapiens ou des manchots empereurs. La protection de ces groupes d’individus est mise grâce à la description de leurs faiblesses.

Les deux auteurs semblent fonder cette argumentation sur la dignité animale.

La dignité animale pour déconstruire le spécisme

L’absence de distance narrative entre les personnages principaux et les animaux présentés dans les romans sert un propos sur la dignité animale : les figures de l’animalité ne sont pas refoulées par les personnages.

Dans La Fonte des glaces Louis n’a pas de recul réflexif sur les manchots empereurs. Il en est de même d’un certain point de vue de Juliette puisqu’en réalité elle peut-elle même être considérée comme l’‘animal’ du roman.

En effet elle est traitée comme tel par les Nouveaux Prédateurs puisqu’ils la manipulent sans considération pour sa vie ou ses valeurs. Le groupe terroriste ne se préoccupe pas de son sort et la place sur la même échelle que les habitants des favelas décrits à la fin du roman.

La dignité animale au travers de la proximité

L’attribution d’une dignité à l’animal

Dans le roman de Joël Baqué la question de la dignité animale est rapidement posée du fait de la présence permanente des manchots empereurs. Louis les considère comme ses égaux et invite le lecteur à en faire autant.

En effet au travers du processus d’humanisation que l’on observe tout au long du roman, Louis leur confère des attributs propres à l’être humain. Même si les manchots empereurs ne sont pas à même de répondre à Louis le personnage principal entretien un réel lien avec eux.

Le lien sexuel que Louis semble entretenir dans cette expérience “chimico-mystique” détaillée en I) se retrouve lors de son voyage en Antarctique[1] :

Il éternua à plusieurs reprises et réalisa que chaque éternuement provoquait un cri en retour, comme un écho déformé. Louis repéra alors un regard noir vers lui. Un manchot empereur le fixait. Il éternua à intervalles réguliers pour vérifier l’invraisemblable hypothèse.

L’animal lui répondit de façon parfaitement synchrone sans le lâcher du regard puis vint se placer face à lui. Louis risqua un petit cri censé imiter celui du manchot empereur mâle.

Sa partenaire détourna la tête, comme contrariée par ce changement de ton. Louis éternua et répondit avec empressement avant de venir à son contact. Le gabarit de Louis, son plumage d’un orange saisissant, son cri de parafe puissant et original avaient séduit cette femelle peu conformiste.

Louis est ainsi considéré comme un animal part entière du groupe. Le respect et l’affection qu’il porte aux manchots empereurs morts semblent s’être transposé sans difficulté à de véritables manchots empereurs.

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Il n’y a ainsi aucune différence entre le traitement que Louis fait de ces oiseaux et celui qu’ils font de lui. Si d’un point de vue externe Louis ne semble pas les considérer comme autre chose que des animaux, ce lien est plus respectueux que cela. Le point de vue de du guide de Louis, Ivaluardjuk, rappelle au lecteur que le respect que le toulonnais accorde aux oiseaux est si prononcé qu’il est perçu comme absurde.

Toutefois le comportement du personnage crée aussi le premier témoignage médiatique du lien de confiance entre les animaux et Louis[2] :

Ivaluardjuk n’en finissait pas de rire. Il montra à Louis la vidéo qu’il avait prise avec son téléphone satellitaire. D’abord postée sur la page Facebook d’Ivaluardjuk, cette courte vidéo ferait le buzz et assurerait à Louis une notoriété annonciatrice de celle qui suivrait.

Le témoignage de ce personnage tiers sur l’affection mutuelle entre Louis et les manchots empereurs permettra aux autres êtres humains de ne plus douter de la sincérité de Louis. Cette étape est importante dans la mise en place de l’intrigue finale et dans le repli sur lui-même et les oiseaux que l’on observe à la fin du roman.

En effet le personnage garde jusqu’au bout sa dignité puisqu’il ne fait pas de concession malgré son succès médiatique Il illustre au travers de son accessibilité perpétuelle aux manchots empereurs, ou en tout cas tente de montrer vis-à-vis de ses pairs, que ces animaux sont dignes et méritent le respect d’autrui. Le rapport qu’il entretien avec eux est clairement décrit comme tel dans cet extrait sur le voyage en Antarctique.

Le témoignage du guide sert ici à montrer à la communauté humaine que ces animaux ne sont pas nuisibles mais au contraire capables d’intelligence. Il se conforment ainsi aux critères de dignité humaines qui sont nécessaires à l’identification des autres personnages et à celle du lecteur.

Ce processus répond ainsi à un questionnement préalable : ces animaux peuvent il être considérés comme l’égal des hommes. Cette question est centrale dans la perception de l’animalité selon David Samson, qui prend l’exemple des combats d’animaux[3] :

Ainsi, si les lois s’essaient à distinguer entre « oiseaux utiles » et « nuisibles », elles prennent aussi en compte le caractère « cruel » de certains procédés, interdits en tant que tels.

C’est le cas des pièges à grive interdits en Allemagne en 1908. Le chancelier précise alors qu’au-delà de l’amour de la nature, il s’agit de l’éducation morale des hommes. La cruauté vis-à-vis des animaux est liée, dans ce contexte, à la dignité de l’homme. En France, cet argument – lié, en outre, à la crainte des masses, de leur brutalité et de leurs velléités insurrectionnelles –, avait été à l’origine de la loi Grammont de 1850 et de la jurisprudence conséquente concernant les combats d’animaux.

Tenue de façon contestable pour la première loi française protégeant les animaux puisque la loi de 1791 sur la police rurale évoquait des questions analogues, la loi Grammont interdisait en effet les mauvais traitements, mais seulement sur les animaux domestiques et en public.

Cependant, cette question d’élévation spirituelle de l’homme est aussi – voire avant tout – utilisée comme argument pour défendre ce que d’aucuns considèrent comme un sentiment « naturel » ou « spontané » de sympathie envers d’autres espèces (bien que cette ouverture soit – aujourd’hui comme hier – sélective).

Le regard de l’être humain conditionne ainsi, dans la pensée commune, le sort des animaux. L’extrait ci-dessus montre que Louis laisse le manchot empereur décider du sort de leur relation et que, s’il tente bien d’établir le contact, il ne le force pas.

La distinction est ici importante puisque Louis est un citadin en vacances qui, si l’on calquait son attitude sur le mode de vie occidental, ne se préoccuperait pas du ressenti des animaux. L’auteur brise ainsi les conventions et insère dans sa diégèse un nouveau rapport entre l’Homo Sapiens et l’animal.

L’élévation spirituelle que le grenier-banquise a apportée à Louis est proche de l’animisme. Ce parcours aboutit ainsi à un rapport concret et réciproque entre l’homme et la faune. Cet extrait clôt ainsi ce rapport préalable entre croyant et ambassadeur d’une divinité.

Louis en prend conscience dès la fin de ce moment de partage[4] :

Une inquiétude tenailla Louis tandis qu’il glissait dans le village d’Ivaluardjuk. Son séjour allait s’achever, il retournerait à Toulon mais plus rien ne serait comme avant. La page était tournée et Louis appréhendait la suivante. Peut-être, comparé à la banquise, le grenier-banquise ferait -il grise mine.

Louis a ainsi bel et bien le sentiment d’avoir vécu un moment privilégié. La rencontre avec ce qu’il considérait auparavant comme un idéal inatteignable lui a permis de revoir son point de vue sur la cause animale.

Ses préoccupations semblent alors radicalement changer dans le roman. En effet il ne se contente plus d’être spectateur de la condition des manchots empereurs – au travers de la reproduction du froid qui caractérise leurs conditions de vie – mais acteur.

Ainsi il devient lui-même un agent influent sur leurs conditions de vie puisque son statut humain lui permet d’avoir une influence sur les chasseurs d’icebergs. La relation d’égal à égal qu’il a avec les manchots empereurs ne signifie donc pas seulement qu’il leur accorde un même niveau de dignité qu’à lui-même, mais qu’il va aussi agir en faveur de la dignité de son espèce.

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L’ancien charcutier associe ainsi le bien être des oiseaux à sa propre dignité, même si ces derniers sont incapables de s’en rendre compte ou d’en témoigner à ce stade du roman. Il développe ainsi la dignité des animaux sans sacrifier la sienne. Louis souhaite qu’ils soient partie prenante de son rapport à la nature.

Ce comportement permet d’éviter un anthropocentrisme qui biaise notre rapport à l’animalité selon D. Samson[5] :

La thèse selon laquelle la protection des animaux relevait alors d’une conception anthropocentrique, liée à la dignité de l’homme, se heurte à deux objections :
la première, historique, que nous venons d’évoquer (l’élévation spirituelle étant souvent utilisée comme argument dans le débat) ;
la seconde, philosophique : dans la mesure où le débat sur le bien- être animal est posé en termes de « cruauté », il est inéluctable que cela renvoie à la dignité humaine, puisque parler de « cruauté » c’est attribuer une propriété (que l’on estime) négative au sujet humain.

Défendre une protection des animaux qui se voudrait « non- anthropocentrique » reviendrait à éliminer la question de la cruauté, et sans doute à affaiblir la cause animale.

Le comportement de l’homme et de l’animal doit donc être réciproque pour favoriser au mieux la défense des animaux. Que ce comportement soit en bien ou en mal. Joël Baqué illustre ici un exemple de relation de confiance.

L’auteur met ainsi en avant le type de relation que certains défenseurs de la cause animale aimeraient avoir avec les animaux selon les propos rapportés par D. Samson. Cet idéal se heurte cependant aux vérités du monde contemporain :[6]

Mais cela n’empêche pas une partie importante du mouvement de protection des oiseaux d’« avoir le courage de dire que nous voulons les oiseaux pour eux-mêmes » (E. Hartert, 1900), et d’utiliser un vocabulaire moralisateur qui va au-delà d’un pragmatisme utilitaire : « carnage », « massacre », voire « véritable guerre d’extermination » etc.

La dignité que Louis accorde aux manchots empereurs se dégage de toute violence militante. La naissance d’un respect animal crée donc un groupe d’êtres avec lesquels Louis entretien des lien similaires avec ceux qu’il a avec les humains. Le personnage développe en effet un comportement moral, spécialement dans les derniers chapitres du roman.

Ce discours n’est pas “moralisateur” et ne vise aucun groupe humain. Certaines valeurs morales sont cependant affirmées et permettent par là même de construire une communauté. Louis se conçoit ainsi comme un être intégré à la communauté des manchot empereur à la fin du roman et défend par des moyens pacifiques leurs intérêts.

Son attitude représente ainsi les devoirs inhérents à l’intégration de cette communauté du pôle sud. Le groupe d’oiseaux ne pouvant s’exprimer si le roman veut rester réaliste, l’auteur choisit de faire de Louis l’intermédiaire de leur détresse écologique. L’importance que Louis accorde à ce groupuscule peut évoquer la pensée de J.B Callicott.

En effet les animaux forment une société à part entière qui, quoique ne possédant aucun point de vue, a sa propre raison d’exister :

Les valeurs d’intégrité, de stabilité, de beauté sont centrales dans l’éthique de la terre de Leopold. Interprète de cet héritage, le philosophe américain John Baird Callicott en a déployé les soubassements métaphysiques et éthiques : la vision écologique et évolutionniste nécessite un rejet d’une vision mécanique du monde, au profit d’une vision organiciste et holiste.

Cette conviction le conduit à développer une éthique communautariste à niveaux multiples, où l’appartenance à chaque communauté entraîne un ensemble de devoirs pour protéger les intérêts de celle-ci.

Ainsi l’être humain doit-il veiller à préserver les intérêts de la communauté humaine, mais en tant que membre d’une communauté biotique globale, il doit veiller à en préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté.

Louis s’insère ainsi au fur et à mesure du roman dans la communauté animale. Il fait de ces individus son groupe de référence puisqu’il va jusqu’à mourir avec eux. Il partage ainsi le deuil avec les manchots empereurs, une attitude de commémoration que l’on attribue uniquement à l’espèce humaine[7] :

Louis était solitaire de la fonte dans glaces représentées par l’iceberg qui poursuivait son inexorable dissolution dans l’entrée du port. Comme cet iceberg qui transpirait à gouttes de plus en plus grosses, Louis fondrait en silence et disparaitrait avec lui.

La dignité qui le lie avec les manchots empereurs va ainsi au-delà de la mort. Louis décide d’avoir un rite funéraire qui soit conforme au destin des manchots empereurs. Il aspire ainsi à retourner à l’eau, symbole du milieu de vie des oiseaux. Il choisit ainsi de rester dans la communauté qui lui est la plus proche, mais ce n’est pas celle des hommes.

Ce choix peut refléter le comportement écologique mis en avant par Callicott[8] :

Pour arbitrer les conflits possibles entre les niveaux et les appartenances communautaires, Callicott défend une priorité des devoirs issus des communautés les plus proches.

[…] L’attitude de Leopold s’enracine dans un décentrement, une capacité à penser du point de vue de l’animal, du sol ou, plus largement, de la terre. Ce chemin de transformation passe par le regard, l’attention et une manière de vivre dans la nature sauvage qui n’est pas cannibalisée par la technique et les rythmes urbains.

L’attitude de Louis devient donc un témoignage du respect qu’il accorde à la “communauté” des manchots empereurs. Il choisit de faire des oiseaux l’endroit où il placera sa dignité. Ce comportement est en contradiction avec les attitudes spécistes des autres êtres humains du roman.

Ces derniers restent à l’extérieur du groupe créé par Louis et ne s’inquiètent pas du sort de ces représentants. Les autres personnages deviennent ainsi au bout du compte des spectateurs dans l’intrigue.

En effet leur rôle de support médiatique des aventures de Louis les limite dans leurs actions. Ils sont ainsi dépendants des péripéties de Louis et se voient privées de nouveaux évènements médiatiques du fait de sa mort. Louis se met en effet à ignorer les êtres humains dans ses derniers jours [9] :

Il perdit l’appétit, ce qui fut interprété comme une grève de la faim adressée à l’ignoreuse humanité, à son irresponsabilité et à son avenir qui irait à vau-l’eau au sens le plus littéral du terme, emporté par la fonte des glaces. […]. Lorsque son prénom scandé par des admirateurs lui parvenait, il bougeait ses levers comme s’il tétait ans le vide.

Le comportement de Louis met ainsi en avant la figure animale sans nuire à celle de l’homme. En effet si sa passivité laisse un sentiment d’inabouti dans sa lutte écologique elle permet aussi aux oiseaux de pleinement exister.

Ces derniers peuvent avoir des prérogatives, comme celle de la femelle manchot empereur qui veut s’accoupler avec Louis. L’être humain est mis en scène de telle façon qu’il ne semble pas avoir la maitrise sur le milieu naturel de manchots empereurs. Cette autonomie laissée à l’animal permet de construire une image positive et responsable de son espèce qui au fond n’est que la victime du comportement humain.

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L’oiseau ne lutte pas contre l’homme ou en tout cas ne résiste pas à sa présence. En effet l’animal dominant n’est pas nécessairement l’homme selon Callicot et ce malgré sa domination darwinienne[10] :

Callicot prend les choses avec plus de sérénité, à partir de l’histoire des sciences. L’invention de la science écologique dans le dernier tiers du 19e siècle n’a pas été seulement, rappelle-t-il, une façon de contrebalancer le schéma darwinien du struggle for life en soulignant l’importance des conduites coopératives et des réciprocités au sein du monde animal ; elle a surtout permis d’imposer une vision holiste des milieux et des communautés biologiques qui a atteint un de ses points culminants avec la généralisation opérée par Vernadsky grâce au concept de biosphère, censé désigner la communauté de toutes les communautés.

[…] Callicott n’est pas loin de considérer le principe fameux qui figure à la fin de l’Almanach d’un comté des sables — « une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique » — comme la norme éthico-politique suprême que devrait adopter notre civilisation en crise.

L’idée d’une libération animale n’apparaît plus de ce point de vue que comme une tentative maladroite d’exprimer une partie des exigences inhérentes à l’impératif de préservation.

Le critère de définition des actes pour la défense des droits des animaux devient dans cette théorie la bonne volonté. L’homme peut lutter de manière volontaire, quoique inefficace, contre la destruction du lieu de vie des animaux.

Ces traits peuvent décrire le comportement de Louis qui, s’il veut bien faire, n’a que peu d’importance dans la préservation juridique du territoire des manchots empereurs. Ainsi le personnage ne parvient pas à lutter contre la chasse aux icebergs, malgré le duo formé avec la journaliste . 

Le comportement de Louis s’inscrit donc en opposition complète avec celui de ses contemporains : loin de privilégier le sort de l’homme il lutte de manière pacifique contre le spécisme. Le personnage sert d’exemple pour la communauté. Sa vie au sein d’un groupe de manchots empereurs lui permet de lier la morale du groupe animal et celle de l’homme.

La narration s’oppose ainsi à ce que Jean- Baptiste Jeangène-Villmer définit comme un spécisme direct dans L’Ethique animale[11] :

« On peut distinguer le spécisme direct d’un spécisme indirect. La première traite d’un individu sur la seule base de son appartenance à une espèce, à l’exclusion de toute autre considération. Sa valeur morale dépend directement de l’espèce à laquelle il appartient.

Le spécisme serait alors un ‘aspect basique de la réalité biologique sur laquelle la condition sociale humaine est fondé. Robert Nzoick invoque ‘ le principe général selon lequel les membres d’une espèce donnent légitimement plus de poids à leurs semblables qu’aux autres espèces[…].

J-B. Jeangène-Vilmer déconstruit cette conception, qu’il juge comme incapable d’expliquer les rapports entre des communautés hétérogènes. Dans la situation ou le lien social n’est pas déjà existant il faut établir un nouveau critère de rapprochement ou d’éloignement avec l’individu. Le spécisme direct échoue à faire cette distinction selon lui.

L’auteur s’appuie sur un exemple de discrimination fondé sur un trait génétique au sein même de l’espèce humaine : le racisme :

[…] la thèse de la préférence pour les siens semble acceptable pour dire qu’il est légitime de préférer ses enfants à ceux du voisin, et un ami à un inconnu, mais beaucoup plus discutable lorsqu‘elle s’étend à d’autres cercles.

Or, comme le dit Rachels, ‘ la progression qui va de la famille voisine puis à l’espèce travers d’autres frontières en chemin – celle de la race par exemple’. […] si nous reconnaissons que ce raisonnement est injuste et condamnable dans le cas de la ‘race’ pourquoi serait -il légitime dans celui de l’espèce.

Le spécisme direct semble ainsi infondé entre les communautés animales et humaines puisqu’il n’est pas même toléré dans celle humaine. Le point de vue de J-C. Jeangène- Vilmer fait donc de la distinction entre animal et homme une question de morale liée à l’acceptation d’une minorité.

Puisque l’homme est dominant l’animal se retrouve dans une position similaire à celle des minorités discriminées, c’est-à-dire victime d’un pouvoir en place au sein duquel il n’a pas d’influence. Louis ne discrimine pas les animaux sur leurs caractéristiques physiques mais cherche avant tout à s’adapter à leur milieu naturel. Il leur accorde ainsi son temps et son énergie, et même, grâce au ton absurde du roman, son écoute.

Néanmoins si certains êtres humains suivent l’exemple de Louis et vouent un culte aux manchots empereurs, leur perception de l’animal est limitée. Elle est uniquement fondée sur certaines qualités physiologiques qu’ils attribuent au manchot empereur.

La création du label commercial lié à ‘l’animal-parapluie’ énoncé plus tôt en témoigne. Toutefois Louis se dégage de ce raisonnement. En effet le toulonnais n’adhère pas à cette forme de spécisme que J-B. Jeangène-Villmer nomme spécisme indirect[12] :

Le spécisme indirect est plus subtil. Il ne consiste pas à dire que tel individu est supérieur aux autres et mérite une considération morale particulière simplement parce qu’il appartient à telle espèce, mais parce qu’elle présente des qualités – qui se trouvent être typiquement associées à une espèce – et qui, elles, justifient de cette différence de traitement.

Le penseur semble décrire ici le spécisme qui caractérise les constructions d’édifices au sein de la cité. Les statues sont construites justement parce que l’on attribue à ces animaux des caractéristiques uniques (en l’occurrence mélioratives) qui les différencient des autres animaux.

Louis ne souscrit pas à cette vision et ne place pas les manchots empereurs au-dessus des autres espèces d’oiseaux, de mammifères ou d’ovipares. La neutralité du personnage est respectée jusqu’au bout par l’auteur.

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Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’auteur ci-dessous.

Nicolas POYAU

Nicolas POYAU

Livres pour approfondir

Articles consacrés au mémoire

Liste des 12 articles consacrés au mémoire de Nicolas POYAU :

1 – Reconstruction de l’Identité Écologique : Redécouverte de la Faune

2 – Reconstruction de l’identité écologique : Un Voyage Initiatique vers la Nature

3 – Analyse de l’écologie radicale dans l’œuvre de J-C. Rufin

4 – Écologie, Animaux et Animisme dans La Fonte des glaces et Le Parfum d’Adam

5 – La cause animale : Pensée écologique, Écocentrisme et Littérature

6 – Le symbole animal dans l’espace sociétal : réflexions écologiques profondes

7 – Enjeux des Associations Écologiques dans l’Œuvre de J-C. Rufin

8 – Rapprochement avec la Nature : Témoignage Réaliste dans le Roman de Joël Baqué

9 – La Fonte des glaces : Louis et les Manchots Empereurs

10 – Animaux et dignité : l’expérience animiste de Louis contre la religion

11 – Critique de l’anti-spécisme dans « Le Parfum d’Adam » de J-C. Rufin

12 – Dénonciation des Riches dans l’Écologie: Analyse des Romans


Notes

[1] J. Baqué, La Fonte des glaces, op. cit. note 34, p. 132.

[2] J. Baqué, La Fonte des glaces, op. cit. note 34, p. 133.

[3] D. Samson, La crise environnementale : critique historique et philosophique des notions de conscience écologique et de rationalité instrumentale, op. cit. note 75, p. 129.

[4] J. Baqué, La Fonte des glaces, op. cit. note 34, p. 133.

[5] D. Samson, La crise environnementale : critique historique et philosophique des notions de conscience écologique et de rationalité instrumentale, op. cit. note 75, p. 132.

[6] Ibid., p. 131.

[7] J. Baqué, La Fonte des glaces, op. cit. note 34, p. 257.

[8] E. Charmettant, « Ecologie profonde : une nouvelle spiritualité ? », C.E.R.A.S., 2015, no 347,

p. 30‑31, https://www.cairn.info/revueprojet20154page25.htm, consulté le 21/07/2022, p.31.

[9] J. Baqué, La Fonte des glaces, op. cit. note 34, p. 257.

[10] S. Haber, « Les apories de la libération animale : Peter Singer et ses critiques », op. cit. note 13.

[11] J.-B. Jeangene-Vilmer, Ethique animale, Paris, Presses Universitaires de France, PUF, 2008, p. 23‑25.

109 Ibid..

[12] J.-B. Jeangene-Vilmer, Ethique animale, Paris, Presses Universitaires de France, PUF, 2008,

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