Cet article fait référence à l’introduction du mini mémoire de Carla BEDINI réalisé durant son Master I Littérature Générale et Comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle (2021/2022)
Titre du mémoire : Invention théorique : modèles, extrapolation, induction – Tout personnage témoigne du conflit entre mobilisme et éléatisme
Sommaire
Introduction
Ce mini-mémoire a pour projet de présenter une réflexion créative sur l’invention théorique littéraire.
Mon sujet est parti de l’opposition philosophique entre le mobilisme héraclitéen et la constance de l’immobilisme universel parménidien, c’est-à-dire l’école éléatique.
Dans toute œuvre, les personnages illustreraient et développeraient, par la fiction, un conflit entre le mobilisme (l’être éternellement en devenir) et la stabilité de l’Être établie par Parménide. Cette réflexion lie l’induction, (une réflexion à partir de deux auteurs) et l’extrapolation (à partir de la discipline philosophique).
Tout personnage littéraire présente des caractéristiques physiques et psychologiques, définies de manière précise ou non. Ces valeurs attribuées au personnage influencent le déroulement du récit. Un personnage de fiction évoluerait dans l’œuvre par un conflit intérieur : faut-il rester fidèle à soi-même ou accepter que son Être soit en constante évolution (ce qui inclut aussi un phénomène de constance) ?
Diverses problématiques ressortent de cette théorie : si tout personnage témoigne de ce conflit entre changement et constance, que fait-on des personnages uniquement parménidiens ? En existe-t-il ? Un personnage pourrait-il seulement être constant, sans quoi il n’aurait aucune substance ? Quelle est la substance d’un personnage héraclitéen ?
En aurait-il une ? Alors, cette substance serait-elle justement le fait qu’il se mue constamment dans le temps ? L’œuvre est-elle dépendante de la constance ou du caractère mobile des personnages ? L’œuvre présente-t-elle elle-même une substance, mobile ou immuable ? Au fond, est-ce l’œuvre ou les personnages qui sont mobiles ? Sont-elles deux entités indépendantes ?
Les différents prototypes de personnages
Nous pouvons partir de simples hypothèses créées à partir du modèle du carré logique. Ce modèle permet de créer quatre propositions, à partir des formules tout X est P ; aucun X est P ; certains X sont P et certains X ne sont pas P.
Modèle du carré logique : Parménide et Héraclite
Tout personnage est parménidien et est constant dans son Être.
→ Cas 1 : Tout personnage est constant, il s’incarne et se meut dans sa substance seulement. Soit il évolue dans l’œuvre par delà la constance de son Être, soit il n’évolue pas de toute l’œuvre et reste dans ses retranchements. Dans ce cas, il peut être un obstacle au développement du récit, soit le récit n’est pas actif et ne raconte rien au final. La constance d’un personnage qui n’évolue pas peut bloquer le récit, les décisions prises par les autres personnages, ou bien les influencer justement par cette constance. Au final, la vérité immuable incarnée par ce personnage peut tout aussi bien influencer les autres composants du récit, autant qu’un personnage dit « héraclitéen » et mobile.
→ Exemples : un personnage qui relèverait d’une entité, d’une légende, un surhomme qui détiendrait la vérité. Un dieu, un sage. Un personnage qui est fidèle à lui-même. Dans tous les cas, nous pouvons dire qu’il s’agit d’un personnage assez manichéen. Nous pouvons citer Voldemort ou Bellatrix Lestrange dans les œuvres de J.K. Rowling, Nathan dans les Illusions perdues, Van Helsing dans Dracula de Stoker… Ils incarneraient le Bien ou le Mal. Ils n’auraient pas beaucoup de nuance dans leurs comportements.
Donc, si tout œuvre doit contenir des personnages seulement parménidiens, non-évolutifs, toute œuvre et tout personnage peuvent parler du Bien ou du Mal. Il y aurait d’un côté les raisonnés, et d’un autre ceux qui incarnent le vice. Le cas des Illusions Perdues de Balzac est très intéressant, puisque c’est à partir de cette division manichéenne, instaurée par le point de vue de Balzac, que Lucien témoigne du conflit de notre théorie : Lucien se place au milieu, entre un Nathan raisonné, ému par l’Art, et les journalistes corrompus.
L’œuvre aurait été différente si Lucien avait définitivement pris un parti dès le début, mais il ne cesse de balancer entre ses passions artistiques et sa cupidité. Donc, « tout personnage ne serait pas Lucien de Rubempré », mais dans le cas de notre théorie, tout personnage est Lucien de Rubempré.
Mais alors… les personnages « parménidiens » seraient-ils essentiels à la création ainsi qu’à l’existence de personnages héraclitéens ? Les personnages parménidiens, au fond, pourraient très bien subsister et évoluer dans une œuvre sans personnages héraclitéens. Les contes pour enfants restent de très bons exemples à cela : nous avons d’un côté la sorcière, la marâtre, les belles-sœurs et la princesse ainsi que tous les protagonistes placés sous le signe du « Bien ».
La substance de tout personnage parménidien pourrait être cette division manichéenne entre Bien et Mal, et alors, tout personnage témoignerait du conflit entre Bien et Mal…
Aucun personnage n’est parménidien.
→ Cas 2 : Aucun personnage incarne une vérité immuable. Tout personnage se meut, à la fois dans le Mal et dans le Bien, si l’on prend en compte la division manichéenne dont nous parlions. L’on détruirait donc cette frontière pour prendre en compte un tout autre paradigme. Mais, est-il possible de voire l’évolution des personnages dans l’œuvre sans en approcher la substantifique moelle ? Arriverait-on simplement à créer un personnage sans en décrire une base, ses bases immuables ? L’on pourrait parler d’un personnage fou, bipolaire, complètement instable psychologiquement ou même physiquement, car le changement de l’Être peut aussi être sensible.
→ Exemples : Là aussi, nous pouvons citer un personnage de J.K. Rowling : Nymphadora Tonks, une métamorphomage, est un personnage qui peut changer totalement d’apparence. D’un point de vue lectorial classique, on connaît la véritable apparence de Tonks, son apparence physique basique et immuable, mais si l’on prend un point de vue lectorial totalement détaché, on peut supposer que cette description n’est pas la réalité et que le personnage ou l’auteur nous ment (tout comme le fait Pierre Bayard dans Qui a tué Roger Ackroyd?).
Un autre exemple encore plus logique : Arsène Lupin. On ne sait à quoi il ressemble et tient tout son aspect héraclitéen dans cette approche insaisissable du personnage. On pourrait dire qu’Arène Lupin tient sa vérité immuable du fait même qu’il soit un Être mobile, mais aussi du fait qu’il soit un voleur, qu’il ait un même objectif.
Alors, si aucun personnage ne garde une part de constance, et si aucun personnage ne détient de vérité immuable, tout personnage doit être insaisissable. Sa description physique et son comportement ne doivent avoir aucun fondement, ne doivent partir de rien. Arsène Lupin, Moriarty, tout personnage doit avoir les mêmes caractéristiques, c’est-à-dire très imprécises. L’auteur doit détenir, à lui seul, toutes les informations.
Un personnage non-parménidien doit laisser planer un mystère, voire un vide total sur son identité. Les personnages de fiction cités auparavant restent imparfaits si l’on suit cette idée, car nous les identifions tout de même sur leur caractéristiques principales, sur leurs composantes. Au fond, comme nous nous étions demandés, est-ce le caractère héraclitéen, justement, de ces personnages, qui fonde leur Être constant ?
Certains personnages sont parménidiens.
→ Cas 3 : Certains personnages persistent dans leur vérité immuable. Ils coexistent dans une œuvre avec des personnages qui évoluent constamment, ou qui oscillent entre constance et changement. Donc certains personnages ne sont « pas seulement parménidiens », comme Lucien de Rubempré.
Les personnages témoignent, à travers ces deux aspects, de la théorie sur la dualité d’un personnage de fiction (cf. cas 3 à 6 dans les tableaux du b) A partir d’un schéma quinaire).
Certains personnages ne sont pas parménidiens.
→ Cas 4 : Certains personnages sont mobiles et ne persistent pas dans leur vérité immuable. Même chose : ils peuvent coexister avec des Êtres constants, ou alors, être eux-mêmes en conflit entre la constance et le changement. Certains personnages « sont parménidiens », en partie ou en tout.
1bis. Tout personnage est héraclitéen et évolue constamment dans l’œuvre.
→ Cas 1bis : Comme vu précédemment dans le cas 2. Tout personnage devrait également accepter son sort, son devenir.
2bis. Aucun personnage n’est héraclitéen.
→ Cas 2bis : Aucun personnage ne devrait accepter son devenir. Un personnage non-héraclitéen s’abstient généralement de tout changement, de toute décision. Il n’y aurait que des personnages non-actifs, ou alors actifs dans leurs intérêts. Aucun personnage, dans toute œuvre, ne deviendrait autre chose que lui-même. La notion même de futur et d’action dans l’intrigue serait compromise.
→ Exemples : Gregor Samsa dans la Métamorphose de Kafka peut servir d’exemple dans la non-acceptation de sa transformation, tout comme la Bête dans le célèbre conte pour enfants. Ou alors, si l’on interprète autrement cette proposition, aucun personnage serait capable de faire quelque chose, de changer quelque chose, de faire une action. Cela donnerait juste de longues descriptions de personnages, placées à la suite, sans intrigue, par exemples les Caractères de la Bruyère.
3bis. Certains personnages sont héraclitéens.
4bis. Certains personnages ne sont pas héraclitéens.
Schéma quinaire : modèle héraclitéen et modèle parménidien
Modèle héraclitéen / mobilisme | Modèle parménidien / Être immuable | |
---|---|---|
Situation initiale | X | |
Perturbation | X | |
Action | X | |
Solution | X | |
Situation finale | X |
Cas 1 : Le personnage n’évolue pas. A partir de ce schéma narratif particulier, le personnage peut tout de même prendre des décisions, il est juste fidèle à lui-même. Pendant les perturbations, l’action et la solution, il reste dans ses retranchements. Aussi, le personnage ne peut avoir aucun impact sur le déroulement de l’intrigue et peut être totalement inutile.
Exemple : Un personnage observateur, qui reste en arrière-plan comme les villageois dans Un roi sans divertissement de Giono. Ou alors des personnages avec une forte identité, qui ne mutent jamais : Zazie dans Zazie dans le métro de Queneau, Hercule Poirot chez Agatha Christie, les personnages de BD comme Tintin, les Dalton…
Modèle héraclitéen / mobilisme | Modèle parménidien / Être immuable | |
---|---|---|
Situation initiale | X | |
Perturbation | X | |
Action | X | |
Solution | X | |
Situation finale | X |
Cas 2 : Le personnage change constamment et reste insaisissable pour le lecteur. Lors de la présentation du personnage, aucun détail ne peut-être donné, ou alors, ce personnage changerait du tout au tout à chaque chapitre, à chaque prise de parole, durant les dialogues ou les descriptions. Ce personnage pourrait inclure plusieurs personnalités, pourrait se transformer continuellement. Il n’aurait pas de convictions fortes, puisque ses décisions seraient toutes changeantes.
Modèle héraclitéen / mobilisme | Modèle parménidien / Être immuable | |
---|---|---|
Situation initiale | X | |
Perturbation | X | (X) |
Action | X | (X) |
Solution | X | X |
Situation finale | X |
Cas 3 : On prendrait alors le cas de Lucien dans les Illusions Perdues : Lucien est présenté dans son caractère de poète. Son arrivée à Paris et sa rencontre avec Lousteau le font évoluer, le font changer, même s’il garde ses anciennes ambitions en arrière-plan (d’où les parenthèses). Ce conflit intérieur se traduit par un échec du « devenir » dont parle Héraclite. Le personnage s’est perdu en essayant d’évoluer.. La stabilité de ce que qu’il est au plus profond de lui, ce qui y est encré, ne permet pas de la faire évoluer continuellement dans une société parisienne qui elle-même mute constamment. Autre exemple ; Aschenbach dans Mort à Venise.
Modèle héraclitéen / mobilisme | Modèle parménidien / Être immuable | |
---|---|---|
Situation initiale | XX | |
Perturbation | X | X |
Action | XX | |
Solution | X | X |
Situation finale | XX |
Cas 4 : Nous pouvons créer de multiples personnages en jonglant entre la stabilité de l’Être et son caractère mobile, comme ici, où notre personnage peut évoluer lors de la situation initiale et trouver son véritable Moi lors de la perturbation, en devenant qui il est vraiment. Lors de l’action, il peut une nouvelle fois abandonner cette stabilité et décider d’évoluer, etc, etc. Quelque part, ce personnage est totalement instable, et l’on pourrait ainsi cocher toutes les cases dans la colonne de gauche.
Exemple : le personnage de Kevin dans Split, de M. Night Shyamalan, qui alterne entre 23 personnalités différentes. « Kevin » n’est que très peu présent dans le film, et l’on ne peut certainement pas dire qu’il s’agisse d’un Être immuable. En effet, Kevin apparaît lorsque les personnages qui le composent sont perturbés, ou quand il est confronté à sa psychiatre. Kevin apparaît également lorsque il est appelé, à la fin du film, pour que la « Bête » se calme.
Modèle héraclitéen / mobilisme | Modèle parménidien / Être immuable | |
---|---|---|
Situation initiale | XX | |
Perturbation | X | X |
Action | XX | |
Solution | X | X |
Situation finale | XX |
Cas 5 : Stable lots de la situation initiale, décide d’évoluer lors de la perturbation, retourne dans ses retranchements lors de l’action, change de décision lors de la solution et retourne à nouveau dans son Moi d’origine à la fin de l’intrigue. Il y a une différence avec le cas 4 : le cas 5 est présenté au lecteur dans son état stable, dans ses caractéristiques propres, nous connaissons donc sa vraie nature. Dans le cas 4, le personnage se crée pendant le déroulement du récit.
Exemple : le Joker, interprété pat Joaquin Phoenix dans le film de Todd Phillips. On le présente comme un Être perdu, déprimé, et il se sait pas qui il est vraiment. Il évolue malgré lui. Lorsqu’il comprend qui il est vraiment, et que sa vie est une pure « farce », le personnage (action), va accepter son évolution, il va devenir le Joker. Il oscille entre ce qu’il croit être, c’est-à-dire Arthur Fleck, et ce qu’il va devenir définitivement, donc le Joker (situation finale = Être immuable).
Modèle héraclitéen / mobilisme | Modèle parménidien / Être immuable | |
---|---|---|
Situation initiale | X | X |
Perturbation | X | X |
Action | X | X |
Solution | X | X |
Situation finale | X | X |
Cas 6 : Pendant tout le long de l’œuvre, le personnage serait perdu entre ce qui le fait, sa substance, et ce qui le fait devenir. Le personnage et le lecteur n’arriveraient qu’à supposer seulement ce qu’est le personnage. Le lecteur se demanderait si ce trait de caractère, si cette parole, ou si cet attrait physique viendraient du caractère véritable du personnage, ou du fait qu’il ait changé/qu’il change alors.
Ou alors, l’on considère que l’Être éternellement en devenir et l’Être immuable ne seraient pas antithétiques, mais bien profondément liés l’un à l’autre. On peut présenter un tel personnage dans ce qu’il est de plus vrai, et vouloir aussi le présenter dans sa volonté de changer, ou en pleine action. Dans toutes les étapes de l’intrigue, nous pouvons alterner entre l’Être vrai et au fond, inchangeable du personnage et son évolution, ce qui peut paraître contradictoire.
Exemple : On revient encore une fois sur Harry Potter, mais aussi sur tous les héros de jeunesse. Les personnages que nous voyons grandir sont en constante évolution, mais évoluent à travers leur Être immuable. Cet Être immuable est souvent décrit comme étant leur force et ce qui permet de les faire grandir. L’exemple d’Harry Potter est aussi « physique », puisqu’il a une part de Voldemort en lui : ce qui a grandi en lui est donc une force qui va lui permettre de vaincre.
Conflit Être mobile et Être immuable : création de personnages complexes
Reprenons le cas du personnage de Kevin dans Split ou le cas 2 de notre b). Nous constatons qu’il est difficile, même si cela est possible, de composer un personnage en changement constant. D’ailleurs, nous avons relevé la contradiction suivante : nous parlons sans cesse de changement « constant », ce qui inclut bien une constance, une vérité profonde qui touche au personnage.
L’Être immuable, chez les diverses personnalités qui composent Kevin, est Kevin, mais est aussi la Bête, qui naît à la fin du film. Le but ultime de toutes ces personnalités est de donner naissance à cette Bête, qui représente une protection, l’Être parfait, manquant au corps de Kevin. Kevin, à la fin du film, disparaît complètement après avoir été appelé.
Il demande à ce que l’on le tue, pour que la Bête ne puisse faire aucun mal aux autres protagonistes, tous victimes des ses autres personnalités d’ailleurs. Ce qui émerge de la Bête est en réalité le but final, la création finale parfaite, visant à éteindre définitivement Kevin, puisqu’il constitue une faille au système des vingt-trois personnalités qui l’habitent.
Dans le cas 2 du b), le lecteur ne parvient pas à saisir la substance du personnage que l’on lui propose. Arsène Lupin ne constitue pas l’exemple parfait, car il est tout de même « saisissable » pour le lecteur : c’est le gentleman cambrioleur, le voleur mystérieux, et même si l’on n’arrive pas à déduire ses attraits physiques ou sa personnalité propre, nous le reconnaissons et pouvons émettre des théories.
Par exemple, Arsène Lupin pourrait être en réalité un groupe de cambrioleurs qui se dissimulerait sous l’identité inventée d’Arsène Lupin. Arsène Lupin a un seul but, ne change pas d’objectif, et c’est bien ce caractère de voleur qui constitue sa substance. Si Arsène Lupin se transforme en un Être mobile, il ne ferait pas que voler : il pourrait par exemple tuer, prendre le pouvoir, ou alors rendre aux victimes tout ce qu’il leur a volé, être capable de se transformer en animal, en objet, voire être lui-même l’objet volé… Il deviendrait tout autre chose à chaque fois, et là, il serait réellement insaisissable, puisque l’on ne saurait ce qu’il est réellement.
Seul le modèle purement « parménidien », ces personnages constants dans leur Être, ayant une forte personnalité, inchangée quelque soit l’intrigue, semblent faciles à cerner. Nous avons cité plusieurs exemples dans le cas 1 du b) : les Dalton, Zazie, Hercule Poirot, Tintin… Dans les bandes-dessinées de notre enfance, comme par exemple chez Tintin, les personnages restent encrés dans leur sottise par exemple, comme chez Dupont et Dupont.
Ils sont facilement reconnaissables par leur répliques, leurs vêtements. Un personnage dit « parménidien », selon nos hypothèses, serait un personnage simple et encré dans des caractéristiques facilement reconnaissables par le lecteur. Un personnage immuable aurait tendance à se situer dans une intrigue assez manichéenne, entre Bien et Mal.
Dans les cas 3 à 6 de nos tableaux, nous remarquons que le balancement entre Être mobile et Être immuable donne donc lieu à la création de personnages complexes. Mais alternent-ils entre ces deux modèles par eux-mêmes ou par obligation, c’est-à-dire en étant soumis à l’intrigue ? Ou alors l’intrigue est-elle soumise aux mutations de ces personnages ?
Une alternance qui donne lieu à une quête : construction d’une intrigue
Notre théorie suit le principe que toute œuvre littéraire contiendrait deux réseaux antagonistes. Si l’on analyse plusieurs personnages de fiction, classés dans les cas 3, 4, 3bis et 4bis, c’est-à-dire alternant entre Être mobile et Être immuable (d’où la théorie proposée sur le conflit entre mobilisme et éléatisme chez les personnages de fiction), nous repérons un but précis pour chacun :
Lucien de Rubempré | Dark Vador | Severus Rogue | La Princesse de Clèves | |
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Être mobile | – journalisme – Coralie – Mme de Bargeton – admire Nathan – écrit un mauvais article sur Nathan – Cénacle | – Jedi – côté obscur de la force – Dark Vador – seigneur Sith – Anakin Skywalker | – mangemort – tue Dumbledore – fidèle à Dumbledore – enseignant détesté | – amoureuse du duc de Nemours – avoue ses sentiments – se retire au couvent |
Être immuable | – poète | – rétablit l’équilibre dans la force | – protège Harry – amoureux de Lily Evans | – reste fidèle à sa vertu |
Chacun de ces personnages veut parvenir à être une meilleure version de lui-même. Cela se traduit toujours par un retour à l’État immuable : Lucien échoue en tant que journaliste mais se résout à regagner des buts plus louables, Vador finit par rétablir l’équilibre dans la force, Rogue révèle sa véritable nature au dernier tome de la saga de J.K. Rowling, par le Patronus et la formule « After all this time ? – Always. », et la Princesse de Clèves qui malgré ses forts sentiments pour Nemours
La complexité psychologique de ces personnages est donc formée par ce balancement, ce conflit intérieur entre leur Être immuable et leur Être mobile. Nous remarquons, par ce tableau, que l’Être immuable semble primer sur l’Être mobile dans l’intrigue.
Selon le schéma de Greimas, un schéma actanciel, tout récit mène à une quête. Cette quête pourrait être la quête de l’Être Immuable, comme on l’a vu avec Kevin et la Bête dans Split, Lucien de Rubempré, le Joker, la Princesse de Clèves, Harry Potter… Soit le personnage est déjà en paix avec son Moi et évolue dans sa substance, soit le personnage est en quête de quelque chose qui le concerne lui-même. Le conflit chez les personnages qui illustrent notre théorie va animer l’intrigue, ainsi, quête intérieure et intrigue générale ne font qu’un.
Les personnages purement parménidiens, quant à eux, (Tintin, Zazie, les sorcières des contes de fées) subsistent et évoluent dans leur vérité immuable. Ils apparaissent dans de nombreuses intrigues, toutes très différentes (comme Hercule Poirot). Ces personnages peuvent être soumis à divers récits, sans pour autant changer leur Être profond. Lorsque le conflit entre mobilisme et éléatisme intervient, l’intrigue est la quête de soi du personnage :
Émetteur: Le personnage | Être immuable | Récepteur : Personnage et protagonistes, lecteur, dénouement de l’intrigue |
QUÊTE | ||
Aidant : Être mobile ou Être immuable | Personnage | Opposant : Être mobile |
Le mobilisme est à la fois aidant et opposant, puisqu’il fait évoluer le personnage soit dans le bon, soit dans le mauvais sens.
Severus Rogue | Être loyal à son amour pour Lily | Récepteur : Harry, le lecteur, intrigue |
QUÊTE= CONSTRUIRE UNE INTRIGUE | ||
Aidant : Être mobile (être fidèle à Dumbledore car il lui promet son aide pour protéger Harry) ou Être immuable (son amour pour Lily) | Severus Rogue | Opposant : Être mobile → caractéristiques du devenir : mauvais professeur, mangemort, ses choix. |
Émetteur : Lucien (Mme de Bargeton et Nathan) | Être un poète, se faire publier | Récepteur : Cénacle, Mme de Bargeton, Nathan, le lecteur, intrigue |
QUÊTE = CONSTRUIRE UNE INTRIGUE | ||
Aidant : Être immuable (Une part de son caractère de poète est incarnée par le personnage de Nathan) | Lucien de Rubempré | Opposant : Être mobile (s’adapter à la vie parisienne, carrière de journaliste pour se faire publier, nombreuses fêtes, etc…) |
Émetteur: Les 23 personnalités | Devenir la Bête | Récepteur : le lecteur, intrigue, les autres personnages |
QUÊTE = CONSTRUIRE UNE INTRIGUE | ||
Aidant : Être mobile → les personnalités | Les 23 personnalités dans Split | Opposant : Être immuable, Kevin, et les autres personnages, la psychiatre |
Le but = la constance de l’Être de ces personnages.
Conclusion
Pour conclure, un tableau récapitulatif:
Mobilisme | Constance de l’Être | Conflit entre les deux écoles | |
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Personnage | – insaisissable – pas de fortes caractéristiques physiques ni psychologiques – peut être composé de différentes personnalités – hypothétique | – facilement identifiable – manichéen – évolue dans ses retranchements – ne bouge pas dans le temps | – complexe – a des actions contradictoires – trouver sa constante vérité – compose l’intrigue |
Intrigue | – soumise à l’évolution permanente du personnage – mystère | – manichéenne – descriptions de personnages – différentes intrigues / épisodes | – dépend totalement du personnage – quête de soi – voir grandir le personnage – le personnage devient le personnage – peut donner une morale |
Pour plus d’informations, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’autrice ci-dessous.
Carla BEDINI