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Platon : L’éducation dialectique

Cet article fait référence au grand C de la troisième partie du mémoire de Master de Bastien FAUVEL réalisé durant son Master II Recherche en philosophie à l’Université de Strasbourg (2021/2022)

Titre du mémoire : L’éducation des philosophes-rois dans la philosophie platonicienne : dans l’Alcibiade et dans La République

Titre partie 3 : L’éducation comme outil nécessaire face à la corruption : le projet pédagogique platonicien libérateur 

L’éducation dialectique de Platon ou la science politique par excellence : L’achèvement du programme éducatif à travers la connaissance de l’être

La République : La dialectique, ou l’achèvement du programme pédagogique : la connaissance du Beau et de l’anhypothétique

Si l’on s’en tient aux premières lignes du passage de la République sur la dialectique, nous ne comprenons pas vraiment son sens ainsi que sa portée éducative dans la mesure où elle est exposée de façon métaphorique.

En effet, Platon applique des qualificatifs à la dialectique tels que « libération de leurs liens »[1], « réorientation du regard, des ombres vers les simulacres et puis vers la lumière », ce « chant intelligible » qui permettent, certes de saisir l’ambition de la dialectique, une ambition purement libératrice et ascensionnelle, mais qui ne renseignent pas suffisamment sur le format et les règles appliqués à la dialectique elle-même.

La dialectique ne revête pas seulement un caractère métaphorique, mais prend véritablement son sens dans un ancrage méthodique et historique. Car oui, la dialectique répond à tout un contexte marqué par les techniques de transmission des vérités ainsi que par les rituels de débat.

De ce point de vue, nous pouvons nous fier à deux analyses qui ont le mérite d’exposer le sens avant tout historique du terme de dialectique.

Selon l’interprétation ancienne de Paul Janet (1848) la naissance de la dialectique vient avant tout de l’influence de Socrate et ce qu’il appelle « un besoin de méthode »[2] face à l’émergence de la dialectique telle que les sophistes l’entendaient, c’est-à-dire un art de séduction et de tromperie, Socrate a tenté de dépasser celui-ci en faisant émerger un art qui invite d’une part à la capacité de raisonner sans tromper et d’autre part à la modestie.

La mise en lumière de la dialectique a donc une vocation contestataire face à un pouvoir de la parole artificielle, mais aussi face à une certaine monétisation du savoir comme le dit Socrate rapporté par les mémoires de Xénophon : « Ceux qui trafiquent la sagesse avec qui veut la leur payer, s’appellent sophistes ou bien prostitués »[3] : Socrate critique donc une forme de parole autoréférentiel qui considère l’échange d’idée et la pratique du débat comme une activité purement commerciale. 

En outre, Francis Wolff remarque également le sens historique de la dialectique, laquelle ne peut se comprendre indépendamment d’un contexte politique et social. A ce propos, il va lui aussi cristalliser deux types de transmissions des vérités dans son introduction « Pourquoi la dialectique » extrait du livre Logique et Dialectique dans l’Antiquité, à travers deux positions fondamentalement antagonistes :

Wolff nous dira que la dialectique telle qu’elle a été appropriée par Socrate s’oriente vers ce qu’il appelle une « fonction éthique »[4] liée à la pratique de la philosophie et à la capacité de faire naître chez son interlocuteur, une certaine honte vis-à-vis de lui-même. Une honte qui constitue la première phase du processus d’acheminement vers la vérité.

A l’inverse, la dialectique telle qu’elle est utilisée par les sophistes revête quant à elle une « fonction agonistique »303 qui fait intervenir un climat de conflictualité et d’adversité au sein du débat. Le but pour les débatteurs, c’est de prendre le dessus sur l’autre et de remporter le débat.

La dialectique se base donc dans ce cadre sur un véritable art de la réfutation, qui produit l’Elenchos socratique, c’est-à-dire une prise de conscience du caractère contradictoire et ignorant de son discours ou de sa connaissance par le biais de l’examen et de l’interrogation.

Ces deux interprétations sont nécessaires dans le cadre de notre sujet, dans la mesure où elles mettent l’accent sur l’idée d’après laquelle, la dialectique de Socrate et comme nous le verrons de Platon répond certes à un enjeu intellectuel, mais également à un enjeu historique et politique, dans la mesure où elle fait intervenir la critique de la parole sophistique. 

Dans la suite de cette analyse historique qui met en lumière la figure de Socrate comme initiateur de la méthode dialectique et comme figure contestataire d’un régime de vérité profondément sophistique installé à Athènes, comment se situe Platon par rapport à cet héritage ?

Pouvons-nous retrouver Socrate dans Platon à travers une conception commune de l’art du dialogue ?

Sur cette question, qui rentre dans la conception de la dialectique chez Platon, les apports de Louis-André Dorion dans Que sais-je ? sur Socrate, sont nécessaires pour pouvoir se faire une idée de ce que Platon entend par dialectique. Dorion développe l’idée d’après laquelle, la représentation de Socrate dans le comportement de Platon se mesure à l’échelle d’une véritable « déclaration d’ignorance »[5] :

Cette déclaration s’avère être pour Dorion une véritable ruse à partir de laquelle, Socrate simule son ignorance afin de pousser son interlocuteur à justifier sa position et à développer ses points de vue. Dans cette perspective, Socrate n’aura jamais à expliquer ce qu’il prétend savoir dans la mesure où il feint d’avouer que son savoir est vide, ce qui le place ainsi dans une posture interrogative à l’égard de toute opinion.

C’est cette interrogation constante et méthodiquement élaborée qui va faire naître une certaine reconnaissance d’une ignorance, comme le décrit P. Hadot : « l’ironie socratique consiste à feindre de vouloir apprendre quelque chose de son interlocuteur, pour amener celuici à découvrir qu’il ne connaît rien dans le domaine où il prétend être savant »[6]:

En s’adonnant à l’humilité intellectuelle qui consiste à admettre qu’il ne sait rien et qu’il a encore tout à apprendre, Socrate invite en somme son interlocuteur à adopter cette attitude à l’égard de ses propres opinions.

Nous voyons bien ici la différence entre la dialectique sophistique et la dialectique chez Platon à travers un format du dialogue nouveau : chez les premiers, les deux interlocuteurs se combattaient, chez le second nous percevons à travers cette volonté de faire reconnaître à l’autre son ignorance, l’idée d’une entraide mutuelle et d’une recherche commune de la vérité des choses.

L’art du dialogue se base donc sur une exigence processuelle dans la mesure où elle suppose un certain cheminement intellectuel progressif de l’âme elle-même, lequel suppose son émancipation à l’égard de sa condition actuelle.

Si Platon représente la figure socratique à travers une même volonté de faire reconnaître chez son interlocuteur l’ignorance de ce qu’il croit, il n’en demeure pas moins que dans la République[7] deux aspects nouveaux de la dialectique émergent, qui ne figuraient pas dans la méthode socratique de ce qui a été appelé, la maïeutique, cet art de la réfutation qui en réalité n’est au fond présent que dans le Théétète.

Ces deux aspects sont les suivants : un aspect métaphysique à travers la connaissance de l’essence (ousia) et un aspect pédagogique dans l’insertion de la dialectique au cœur d’un véritable programme de formation des gardiens.

Développons ainsi cette conception de la dialectique, telle qu’elle émerge dans la République

Bien que la dialectique chez Platon prolonge, à travers deux versants supplémentaires, la dialectique de Socrate, Platon hérite également de l’Elenchos qu’il considère comme partieprenante du processus dialectique à partir duquel nous acheminons vers la vérité.

Cette présence de l’Elenchos peut se faire valoir à travers le passage de l’Allégorie de la caverne, dans lequel Platon dit la chose suivante : « Surtout si, en lui montrant chacune des choses qui passent, on le contraint de répondre à la question : qu’est-ce que c’est ? Ne crois-tu pas qu’il serait dans l’aporie et qu’il penserait que les choses qu’ils voyaient auparavant étaient plus vraies que celles qu’on lui montre à présent ? »[8] :

L’évocation du ti esti ici (Qu’est-ce que c’est ?) ne permet pas seulement de vérifier les connaissances à priori inexistantes de l’interlocuteur questionné, mais de provoquer également chez lui, la reconnaissance de ses « lubies » c’est-àdire tout un tas de parole en l’air et de sornette.

La réfutation à laquelle il est fait allusion dans ce passage de la caverne se produit ainsi par une forme de perplexité du sujet qui se mesure dans son incapacité à donner une réponse convaincante face à une question posée. Cependant, un autre passage du livre VII, semble accorder plus de poids et plus de précision concernant le rôle de la réfutation :

Le dialecticien est non seulement nous dit Platon celui qui est « capable de saisir la raison de l’essence de chaque chose »[9] mais également celui qui est capable de « passer à travers toutes les réfutations, en se déterminant énergiquement à les affronter » 309: la réfutation n’est plus simplement le passage d’une forme d’eikasia à une forme de pistis mais véritablement l’exercice grâce auquel le philosophe parvient à cheminer vers la noêsis.

Le dialecticien est certes celui qui s’applique la réfutation à soi-même, celui qui admet la contradiction de son propre discours, mais celui qui sait également défendre sa position face à la réfutation extérieure au contact d’un discours cohérente et par conséquent infaillible. 

L’intervention du dialogue ici, fait donc naître une réelle exigence sociale de l’éducation, la seule qui participe au processus d’émancipation et d’ascension du philosophe, comme le dit Platon : « Par conséquent, on peut aussi affirmer que c’est la capacité de dialoguer qui serait seule capable de montrer cela à l’expert dans les disciplines que nous avons exposées, et que par tout autre moyen ce serait impossible ? »[10] :

Nous retrouvons ici le point selon lequel, la dialectique constitue l’unique science capable d’élever le philosophe vers la définition des choses, principe vers lequel il n’avait seulement été qu’orienté jusqu’à présent. Il est important de préciser dans ce cadre, que le dialogue ne doit pas être étudié pour lui-même mais en vertu d’un principe directeur, en vertu autrement dit d’une certaine orientation de la pensée et son ascension à terme du parcours.

C’est pourquoi nous pouvons dans ce cadre qualifier l’art du dialogue platonicien comme une opération dialectique dans la mesure où cet art souhaite produire une véritable transformation de l’homme, aussi bien dans sa conduite à l’égard de soi que dans sa conduite à l’égard du monde qui l’entoure.

C’est d’ailleurs ce que dit Platon luimême lorsqu’il dit : « Elle possède, en effet, le pouvoir d’effectuer cette remontée de ce qu’il y’a de meilleur dans l’âme vers la contemplation de l’excellence dans les êtres »[11] : La méthode dialectique inspire à ce titre la recherche constante de la saisie ontologique d’une chose.

Elle se traduit par une démarche rationnelle ayant pour prétention de dépasser l’ignorance d’une chose et par l’exercice dialogique d’acheminer vers sa vérité.

Croisant la structure de l’allégorie de la caverne exposée par Platon, la dialectique est donc une entreprise véritablement libératrice pour les individus enchainés dans la caverne et soumis à leurs opinions biaisées du monde. 

Mais ce que nous pouvons également relever, c’est la portée ophtalmologique de la dialectique à l’œuvre dans une véritable « réorientation du regard »[12] : elle engage une réelle conversion du regard affecté par les ombres, du monde sensible aux apparences divines :

Les âmes converties par la dialectique parviennent, à terme du processus, à contempler les reflets du soleil et de la lumière sur l’eau, qui s’apparente en réalité à la manifestation d’une forme de divinité.

Le rapport qu’entretient le regard avec la lumière passe donc ici d’un rapport d’éblouissement, l’œil étant illuminée dans la caverne par la lumière trop forte venue du monde intelligible par manque d’habitude, à un rapport d’éclaircissement : une nouvelle manière de percevoir les choses apparait ici, aussi bien dans leur être que dans leur stabilité.

Le parcours dialectique supprime donc une orientation hypothétique de l’œil lui-même vers les choses qui se perçoivent en se modifiant pour cheminer vers une réelle orientation ontologique du monde : les choses, prises dans leur principe et leur définition véritable.

Le basculement opéré ici est celui effectué entre l’opinion, ce qui relève du probable, la réception d’une chose, et ce qui relève de la connaissance soumise à l’interrogation constante et méthodique de la chose elle-même.

Nous comprenons ainsi, à travers cette ascèse intellectuelle et visuelle, de quelle manière la dialectique surplombe le rapport dianoétique avec le monde tributaire de l’enseignement mathématique.

Platon nous dit à ce propos la chose suivante : « Par conséquent, dis-je, le parcours dialectique est le seul à progresser de cette manière, en supprimant les hypothèses pour atteindre le premier principe lui-même, afin de s’en trouver renforcé »[13] :

Cet exercice dialectique permet à la raison de progresser vers la saisie des êtres, vers la contemplation des formes intelligibles et par conséquent, vers l’intellection (noèsis) de la forme du bien.

La dialectique elle, procède vers le principe anhypothétique, ce qui implique cette différence de degré faite par Platon entre la pensée (dianoia) qui reste prisonnière des hypothèses et l’intellect (noûs) qui procède vers les formes en soi.

Mais ce passage du raisonnement dianoétique à un raisonnement noétique implique également un second passage, c’est-à-dire celui de la connaissance hypothético-déductive à une connaissance intuitive, que nous pouvons considérer selon les mots de Gonzales (1998) comme une « acquaintance »[14] c’est-à-dire une familiarité avec les êtres véritables.

Il est en effet difficile de réserver à la connaissance noétique le terme d’intuition, dans la mesure où celui-ci ne rend pas suffisamment compte de l’enquête préalable et de toute la démarche processuelle que suppose la dialectique.

C’est pourquoi le terme choisi par Gonzales est plus approprié dans la mesure où il cristallise deux étapes dialectiques, l’une basée sur la démarche interrogative et sur le retournement de l’âme, l’autre plutôt basée sur un contact direct avec les choses intelligibles, lesquelles s’offrent à la vision aguerrie.

L’Elenchos a donc non seulement pour soin d’engager un propre dépassement volontaire de notre ignorance reconnue, mais également la suppression des hypothèses à travers la formulation d’un discours qui n’obéit qu’au logos, c’est-à-dire sur la base de l’essence. 

Ce dépassement des hypothèses et par conséquent cette négation de ce qui est douteux et en devenir, propre au monde sensible, se fait ainsi au moyen de l’art du dialogue.

C’est ainsi la manière dont Hegel parlera de la dialectique platonicienne et sa fonction émancipatrice des seules données sensibles et intuitifs concernant l’objet : dans sa Logique il dit la chose suivante : « Des jeunes gens et des hommes au plus haut point plastiques, admirablement disposés à renier eux-mêmes sans colère leurs propres réflexions et trouvailles par lesquelles la pensée autonome brûle de se manifester, bref : des auditeurs attentifs à la chose seule [15] :

Hegel illustre ici le principe qui différencie la dialectique platonicienne de l’éristique sophistique et l’art de la joute : ni animosité, ni intérêt personnel, ne motivent les interlocuteurs, ils sont seulement tournés vers ce qui est extérieur à toute forme de motivation viciée, à savoir la chose et sa définition. 

Enfin, et c’est d’ailleurs ce que relève Alain Firode dans son article « Épreuve et conversion chez Platon et chez Aristote : l’intention enseignante »[16] : la dialectique platonicienne met l’accent sur la progression morale de l’homme dans son élévation vers une condition d’homme libre : l’homme, à terme du processus dialectique, sera un expert du raisonnement et un individu capable de défendre l’ensemble de ses idées face à la dictature de l’opinion.

L’éducation dialectique est selon Platon, cette éducation qui « les rendra aptes à interroger et à répondre de la manière la plus scientifique qui soit »[17] :

La dialectique apprend donc à l’homme à entretenir avec le monde un rapport interrogatif, constamment étonné des choses et constamment soucieux d’accéder aux définitions des choses telles qu’elles sont, plutôt que s’en tenir à un rapport de réception purement passif face à elles.

Ainsi, les sciences mathématiques viennent secouer l’ensemble de nos croyances sur le monde sensible et c’est, par l’intervention de la dialectique, qu’a lieu l’opération du retournement de l’âme vers l’être.

Mais si l’Elenchos, comme processus dialectique, contribue à la connaissance intuitive des choses, ne pouvonsnous pas également dire que celui-ci oriente l’homme vers une connaissance de soi ?

C’est ainsi le processus que nous allons décrire dans une dernière partie, au contact du dialogue de l’Alcibiade et principalement le paradigme de la vue exposé dans celui-ci.

Nous allons dans cette perspective, montrer que l’Elenchos et la méthode dialectique développée par Platon dans la République est un outil au contact duquel, le philosophe prend conscience de sa véritable nature en tant qu’homme universel.

Plus que cela, nous allons voir que cette connaissance de soi est essentielle pour déterminer la véritable compétence politique et donc la nature du philosophe-roi. 

[1] PLATON, République, VII, p.386, 532b-c.

[2] JANET Paul, Essai sur la dialectique de Platon, Thèse de doctorat, Paris, Faculté des lettres, 1848.

[3] XENOPHON, Entretiens mémorables de Socrate, Paris, Paul-Louis Courier et Louis de Sinner (éd.), BelinMandar, 1842, 2 vol.

[4] GOURINAT Jean-Baptiste, Juliette LEMAIRE, Logique et dialectique dans l’Antiquité, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2016. 303 Ibid., p.24.

[5] DORION Louis-André, Socrate, Paris, Presses universitaires de France, 2004.

[6] HADOT Pierre, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Paris, Gallimard, 1995.

[7] Selon le commentaire de G. Leroux, Platon garde de Socrate le concept de « rendre raison », néanmoins il ajoute à celle-ci une dimension métaphysique, propre à la théorie platonicienne des formes, dont « on ne peut affirmer la présence dans la méthode socratique. » 

[8] PLATON, République, VII, p.386, 515d. 

[9] PLATON, République, VII, p.389, 534b. 309 Ibid., 534c.

[10] Op.cit., 533a.

[11] PLATON, République, VII, p.386, 532c.

[12] PLATON, République, VII, p.386, 532b. 

[13] PLATON, République, VII, p.388, 533d. 

[14] GONZÁLEZ F.J, Dialectic and Dialogue: Plato’s Practice of Philosophical Inquiry, s. l., Northwestern University Press, 1998.

[15] HEGEL Georg Wilhelm Friedrich, Science de la logique, Paris, Aubier, 1812. 

[16] FIRODE Alain, « Épreuve et conversion chez Platon et chez Aristote : l’intention enseignante : », dans Savoir, épreuves, confiance, en éducation et formation, Champ social, 2020, p. 28-40.

[17] PLATON, République, VII, p.390, 534d.

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L’Alcibiade : L’éducation à la science politique : la connaissance de l’homme universel et de la cité

Nous avons évoqué dans la République la situation d’homme enchainé qui, bercé par l’illusion, était conditionné par un regard obscurci des choses.

Face à ce contexte visuel des hommes, l’Alcibiade donne, grâce au paradigme de la vue, un premier élément de réponse face à cette condition aliénante d’un ensemble de prisonnier.

Nous voyons dans ce dialogue, comme dans la République, une certaine réforme de l’état de l’œil chez l’homme, une véritable réorientation du regard. Dans cette partie, notre thèse sera ainsi la suivante : montrer en quoi le paradigme de la vue répond à une exigence éthique exposée à travers une connaissance de soi comme âme et un cheminement de l’homme lui-même vers la connaissance de ce qui lui convient.

La vision est théorisée sous la forme d’une condition de l’homme qui par un processus d’exil comme nous allons le voir s’oriente vers la connaissance, vers les révolutions célestes et l’imitation divine qui constitue un modèle pour l’homme.

La théorie de la vision pousse ainsi la réflexion jusqu’à l’accomplissement de l’homme même dans la connaissance des choses, mais aussi dans le dépassement de sa condition phantasmatique décrite dans la République par exemple.

De plus, le personnage d’Alcibiade a un regard biaisé sur lui-même dans la mesure où il est incapable de définir ce qui lui est propre, ce qui détermine sa condition et par conséquent ignore sa véritable nature humaine.

Nous avons d’ailleurs, au contact de l’examen de ses compétences, pu voir qu’Alcibiade est incapable dans ce cadre d’admettre cette ignorance et ce défaut du regard porté vers le monde et vers soi.

Cette exigence éthique se double également d’une exigence thérapeutique dans la mesure où elle engage un soin de l’homme. Ce soin est une véritable invitation à la mesure de l’homme et donc à une vie tempérante.

Ce n’est qu’en connaissant la véritable définition de l’homme et ce n’est qu’en la limitant aux exigences de sa nature qu’il est possible de devenir mesuré et même comme nous le verrons homme politique. 

Il se trouve que dans la partie précédente, nous avons beaucoup insisté sur la finalité intellectuelle de l’Elenchos, à travers un exercice pédagogique à savoir la dialectique, il n’en demeure pas moins que nous allons insister ici sur ce que Louis André Dorion appelle à savoir sa « finalité morale »[1] : l’Elenchos est le moyen grâce auquel l’interlocuteur s’oriente vers la recherche d’un devenir meilleur.

Autrement dit, la purification de l’âme d’Alcibiade est ce qui l’engage sur le chemin de la connaissance et par conséquent de la vertu, sans laquelle il ne peut gouverner la cité.

Dès lors, nous rejoignons ici la position de G. Vlastos qui dans un chapitre appelé « Socrate contre Socrate chez Platon » tiré du livre Socrate : ironie et philosophie morale[2] explique que l’Elenchos est véritablement une démarche existentielle, dans la mesure où certes elle recherche la cohérence des opinions, mais également la manière dont l’homme doit vivre.

Ainsi, c’est tout ce processus qui va produire, comme le dira Platon à la fin de la fable royale, l’orientation d’Alcibiade vers le principe delphique : 

Mais très cher, laisse-toi convaincre par moi et l’inscription de Delphes Connais-toitoi-même que ce sont eux tes rivaux et non pas ceux que tu crois. Et nous ne pouvons l’emporter sur eux par rien d’autre que par le soin et par la technique. Si tu te prives de ces choses, tu te priveras aussi d’un nom chez les Grecs et chez les Barbares, ce que tu me sembles désirer comme personne au monde[3]. 

Après avoir examiné l’ensemble des compétences d’Alcibiade en matière de justice mais aussi en regard de l’importance qu’il donne à ses caractéristiques naturels, Socrate réussit à lui faire admettre que son incompétence vis-à-vis des deux critères exige de lui apporter un soin particulier, lequel ne peut avoir lieu indépendamment d’une connaissance de soi.

Se connaître dans cette perspective, c’est s’individualiser, c’est trouver le principe qui en nous nous fait agir comme des hommes. Pour définir ce qu’est l’homme, il convient dans l’Alcibiade de remarquer ce qui fait autorité chez lui, ce qui autrement dit gouverne l’ensemble des désirs, l’ensemble des prétentions trop abusives de la nature humaine, l’élément qui fait qu’un homme est un homme.

Au fil du débat, les deux interlocuteurs en viennent à décider que l’homme, s’il n’est pas défini par le corps, « il faut reconnaître que ce peut être rien d’autre que l’âme »321.

Platon cherche donc à définir l’homme lui-même, plus précisément le soi-même en tant qu’il est un homme et en déduit donc que c’est l’âme qui est le principe directeur de toute caractéristique humaine.

L’âme est donc non seulement ce qui définit l’homme en tant qu’homme mais surtout ce qui l’individue et donc ce qui le différencie d’autre chose. Tout le regard doit donc être dirigé du côté de l’âme dans la mesure où prendre soin de soi, c’est prendre soin de la caractéristique qui détermine notre nature humaine, à savoir l’âme.

Dès lors, il est davantage question de se regarder soi-même, dans la mesure où la vue est ce paradigme à partir duquel nous allons être capable de saisir ce qui réellement constitue l’essence humaine.

Platon développe ce prolongement de la connaissance de soi à travers l’intervention de la vue de la manière suivante : 

Examine la chose avec moi. Si c’était à notre regard, comme à un homme, que celle inscription s’adressait en lui conseillant : « regarde-toi toi-même », comment comprendrions-nous cette exhortation ? Ne serait-ce pas de regarder un objet dans lequel l’oeil se verrait lui-même ?[4]

Nous pouvons remarquer deux étapes à travers ce paradigme principal : tout d’abord le paradigme de la vue est porteur d’une exigence de l’altérité. En effet, c’est en observant l’autre, c’est en projetant mon regard sur quelque chose qui est extérieure à moi-même que je m’observe également. La vue est donc d’abord projection, elle est extériorisation vers autre chose que moi.

C’est cette même expérience de l’altérité qui renforce le poids et la symbolique du miroir chez les grecs et dans l’Alcibiade.

En effet chez les grecs, le miroir est tout d’abord un objet de coquetterie associé aux femmes, mais selon l’analyse de Jean Pierre Vernant dans l’Individu, la mort, l’amour le miroir est aussi utilisé par celles-ci « pour se voir, se connaître, en se dévisageant »[5] : le miroir est dans cette perspective un outil de connaissance de soi distancié, à la manière de l’autre qui nous regarde.

A ce propos, Jean Pierre Vernant évoque le mythe de Déspoina rapporté par Pausanias, dans lequel il est décrit l’ascension de Déspoina vers une vision de soi-même après avoir plongé son regard dans le miroir du sanctuaire.

Ce mythe a en effet deux fonctions essentielles pour établir la connexion qui existe avec l’Alcibiade : l’importance de l’altérité comme reflet de soi et comme processus de connaissance de soi, mais également le caractère divinatoire du miroir lui-même qui a pour ambition de révéler le divin en nous.  Une thèse que nous développerons prochainement.

En outre, l’analyse de Jean Pierre Vernant exprime l’idée selon laquelle l’expérience de l’altérité était non seulement répandue mais constitutive dans la détermination de l’identité des Grecs : un regard sur soi qui passait par l’intervention de l’autre qui constituait un miroir pour nous-mêmes.

C’est d’ailleurs ce que relève Platon dans l’Alcibiade : « N’as-tu pas remarqué que, lorsque nous regardons l’œil de quelqu’un qui nous fait face, notre visage se réfléchit dans sa pupille comme dans un miroir, ce qu’on appelle aussi la poupée, car elle est une image de celui qui regarde »324:

Le regard que je porte vers l’autre et donc aussi bien arrachement à soi, effacement vers autrui, que perception de soi dans la pupille de l’autre. En elle, je me perçois également, tel est le sens de la métaphore de la poupée ici qui renvoi au grec koré, c’est-à-dire le reflet de soi présent dans l’autre. 

Mais la pupille ici et c’est le deuxième commentaire que nous pouvons apporter à la citation, correspond notamment à l’excellence de l’œil, c’est-à-dire sa fonction et sa capacité de voir.

C’est par le paradigme de la vision que nous saisissons « cet endroit où se trouve l’excellence de l’œil »[6], à savoir la faculté visuelle de reconnaître en autrui le reflet de notre spécificité d’homme.

Ce qui nous fait dire que lorsqu’on regarde dans l’œil d’un autre, on voit ce qui fait l’excellence de tout œil, de même que l’on voit dans l’âme d’un autre homme ce qui fait l’excellence de tout homme.

L’excellence de l’œil c’est donc la fonction que cet organe accomplit mieux que tout autre. Ainsi, pour rendre compte d’une connaissance véritable de soi, il s’agit par déduction de déduire ce qui fait l’excellence de l’âme au même titre qu’il a été déduit ce qui fait l’excellence de la pupille.

Il faut donc non seulement particulariser l’homme comme un sujet réflexif mais particulariser en même temps l’âme de l’homme, ce qui fait qu’elle est vraiment une âme et ainsi ce qui fait sa condition excellente.

Quel est donc le critère qui permet d’améliorer l’âme et de rendre compte de sa dimension excellente ? Cette question implique non seulement une dimension anthropologique du sujet humain à travers la question « Qu’est-ce que l’homme ? » mais également une dimension morale et éthique indispensable, à travers la question « Qu’est-ce qui fait qu’un homme est bon ? ».

Car en effet, comme le précise Platon : « sans cette connaissance de nous-mêmes, sans cette tempérance, pourrionsnous savoir ce qui est à nous, ce qui est bon comme ce qui est mauvais ? »326

Cette question sous-entend également que l’homme n’est pas soumis à la stabilité, à la lassitude d’esprit et à une condition aliénée au service de la multitude, mais qu’il est véritablement soumis à un principe amélioratif.

Ce principe amélioratif rend donc compte d’une nouvelle conception de la vision, laquelle étant un outil d’anticipation et d’amélioration : regarder autrui ce n’est pas seulement voir ce qu’il est, mais voir également sa nature excellente en devenir, l’élément qui fait de son âme une âme excellente, à savoir l’intellect.

Ainsi, non seulement l’objet de la vision est de me faire voir ce que je suis, mais également de me faire voir ce que je peux devenir, c’està-dire un homme conscient de sa nature humaine et connaissant en même temps ce qui appartient réellement à lui, ses qualités ou la propriété des biens.  

C’est à partir de ce moment, que s’engage une nouvelle éducation chez Alcibiade qui dépasse chez lui, d’une part les mauvaises connaissances qui étaient les siennes, mais également tout régime éducatif et politique mauvais auxquels il doit faire face, afin de devenir meilleur.

Nous pouvons dans cette mesure dire que l’entame de ce chemin pédagogique et donc de l’acquisition de la vertu, n’a été rendu possible qu’en regard de l’arrachement préalable à un état contraire, produit par l’Elenchos lui-même. Mais, concernant la capacité de maîtriser la véritable technè politique, Platon émet une certaine précision : 

Il faut donc d’abord que tu t’appropries toi-même l’excellence, comme le doit quiconque entend commander et prendre soin non seulement de lui-même et de ce qui lui est propre, mais aussi de la cité et de ce qui lui est propre.[7] 

Pour se faire, Socrate le met en garde et lui impose un impératif nécessaire pour l’entreprise d’une carrière politique : Contre l’usage héréditaire qui voudrait que celui qui succède Périclès prenne la parole devant une assemblée sans éducation préalable, Platon considère donc que l’homme politique futur, en l’occurrence Alcibiade, doit parler à ses concitoyens que de ce qu’il connaît le mieux.

Il ne peut donc parler sans savoir et donc sans avoir été éduqué. Sans cette connaissance de soi il est également impossible de connaitre les autres et donc impossible de connaitre les affaires de la cité en tant qu’elles représentent précisément les affaires des hommes eux-mêmes.

L’acquisition de la tempérance est donc dans cette perspective le véritable objet du futur homme politique, dans la mesure où elle apprend à l’homme à définir qui il est et quelle est son excellence, mais également qui sont les hommes de manière générale. « Car si vous agissez avec justice et avec tempérance, toi et la cité agirez d’une manière agréable aux dieux »[8] dit Platon :

Seule la connaissance de soi comme tempérance implique la connaissance au fond d’un principe de justice, la connaissance des autres et des affaires qui sont les leurs.

Cette connaissance de soi présuppose également un certain accord (homonoia) qui fonde, grâce au partage de l’excellence entre les gouvernants et la cité, une certaine forme d’amitié, que nous pouvons comprendre ici relativement au sens que lui donne le Lysis[9] : une amitié caractérisée selon une forme de ressemblance entre les âmes des amis.

Ce n’est que dans cette mesure, que les hommes de la cités et les gouvernants agiront convenablement, dans la mesure où ils agiront non seulement en vertu d’un certain objet (le bien commun et la justice) mais également en vertu d’une connaissance concernant cet objet.

Dans ce cadre, l’accord dans la cité se mesure à l’aune d’une technique commune et d’un savoir commun, c’est d’ailleurs ce que relève Platon lorsqu’il demande la chose suivante à Alcibiade : « sur un navire, si un passager avait la liberté  de faire ce que bon lui semble, en étant privé de l’intellect et de l’excellence du pilote, ne voistu pas ce qui lui arriverait, à lui comme à ses compagnons »[10] ?

Cette question semble résoudre deux problèmes en regard de notre développement : non seulement la définition de la politique qui suppose des exigences arbitraires et uniquement superficielle, dans la mesure où elle sousentend que tout ce qui est fait pour le maintien de l’ordre et du collectif, doit être fait sous la direction d’un savoir et d’une connaissance du principe qui constitue la nature des actions humaines, à savoir l’âme.

Mais également le problème des multiples modes de vie dans la description de la démocratie et donc de l’absence d’union : la technique commune et le savoir commun scellent l’unification des modes de vie et par conséquent un certain maintien de la cité, loin de la tyrannie.

C’est pourquoi, la connaissance de soi que le paradigme de la vue semble inculquer réside également dans la manière dont un chef peut devenir supérieur par rapport aux autres dirigeants : comme le pense Alcibiade, la supériorité ne vient pas de sa richesse ni de sa beauté, au fond de caractéristique naturelle, mais bien de la technique qu’il acquiert et de la connaissance qu’il détient à l’égard de l’ensemble des sujets qui structurent la cité.

Les seules qualités qui sont « dignes de considération chez les Grecs »[11]. En effet d’après les analyses de Michel Foucault[12], la portée historique du souci de soi, il apparaît que ce principe, l’epimeleia eautou, cristallise la supériorité du citoyen antique : elle pénètre véritablement sa culture à travers un idéal de maîtrise et de gouvernance des autres selon la raison.

A ce propos, Foucault fait état d’une anecdote propre à Plutarque dans lequel il nous dit la chose suivante : Plutarque rapporte un mot d’Alexandrie à un Spartiate :

« Comme quelqu’un demandait pourquoi ils confiaient aux hilotes le travail des champs, au lieu de s’en occuper eux-mêmes, parce que, répondit-il, ce n’était pas pour nous occuper d’eux, mais de nous-mêmes, que nous en avons fait l’acquisition. »[13]

Le souci de soi est donc véritablement un outil initiatique à la science politique, dans la mesure où elle prépare le terrain de la gouvernance de soi, comme sujettempérant et juste, avant d’entamer celui de la gouvernance de la cité.  

Dans cette perspective, la voie qui consiste à sortir d’une situation d’exilée est toujours la même : c’est la philosophie. Elle est ce qui nous révèle que la cause d’une bonne ou d’une mauvaise conduite implique toujours la connaissance ou l’ignorance que nous avons vis-à-vis de nous-mêmes ou des choses.

Elle est le chemin par lequel l’homme accède à une certaine bonté du caractère et par conséquent une excellence de celui-ci dans la mesure où elle réaffirme une hégémonie de l’intellect dans l’ensemble de nos choix, de nos réactions face à des situations.

Elle est également l’outil par lequel l’homme politique sera orienté vers l’intérêt général dans la mesure où, une fois qu’il est en mesure de connaître la nature humaine, il est en mesure de s’occuper de leur désir, de leur besoin et de s’orienter constamment vers la réalisation de tous.

Loin des ambitions luxueuses, du pouvoir, du désir de conquête et de l’enrichissement, l’homme en l’occurrence Alcibiade apprend à retourner vers soi, à se comprendre, se diagnostiquer comme quelqu’un qui parce qu’il est attiré par toutes ces choses-là souffre et peine à savoir qui il est vraiment. 

[1] Op.cit., p.57. 

[2] VLASTOS G. et C. DALIMIER, Socrate : ironie et philosophie morale, Paris, Aubier, 1994. 

[3] PLATON, l’Alcibiade, p.145,124b.  321 Ibid., p.173, 130c. 

[4] PLATON, l’Alcibiade, p.180,132d. 

[5] J.-P. VERNANT, L’individu, la mort, l’amour : soi-même et l’autre en Grèce ancienne, Paris, Gallimard, 1989.  324 Ibid., p.181, 133a.  

[6] PLATON, l’Alcibiade, p.182, 133b. 326 Ibidem. 

[7] Ibid., 134c. 

[8] Ibid., 134d. 

[9] PLATON, Lysis, 222a. 

[10] PLATON, l’Alcibiade, 135a. 

[11] PLATON, l’Alcibiade, 123d. 

[12] FOUCAULT M., L’herméneutique du sujet : cours au Collège de France (1981-1982 Paris, Gallimard, Le Seuil, 2001. 

[13] PLUTARQUE, Oeuvres morales, Paris, F.É. FUHRMANN (èd.), Les Belles Lettres, 1972. 

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Bastien FAUVEL

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