Cet article fait référence au chapitre 1 section 2 paragraphe 2 du mémoire de Elie Blaise Martin LENDOYE AKOULOUA réalisé durant son Master en Droit Privé option Droit des affaires à l’Institut Supérieur de Droit de Dakar (2022/2023)
Titre du mémoire : La fiducie-sûreté en droit OHADA
Sommaire
Un mode échappatoire du créancier propriétaire aux règles restrictives de paiement
En droit français tout comme en droit OHADA, il existe une règle complémentaire à la suspension et l’interdiction des poursuites individuelles : c’est la règle de l’interdiction des paiements des créances.[1] Par cette règle, il est fait interdiction de désintéresser les créanciers pendant la procédure ceci se manifeste par un gel du passif débiteur.
On peut noter en droit OHADA plusieurs règles tendant à interdire le désintéressement des créanciers durant la procédure collective. L’AUPC pose respectivement à travers les articles 11 et 75 alinéa 1er, la règle de l’interdiction des paiements et celle de l’interdiction des poursuites individuelles tendant à obtenir un paiement.
Pour ce qui est de l’interdiction des paiements, l’article 11 dispose : « Sauf autorisation motivée du président de la juridiction compétente, la décision d’ouverture du règlement préventif interdit au débiteur, à peine de nullité de droit : de payer, tout ou en partie, les créances nées antérieurement à la décision d’ouverture ; de faire des actes de disposition étranger à l’exploitation normale de l’entreprise ou de consentir une sûreté » et celle de l’interdiction des poursuites individuelles dans l’optique d’obtenir paiement article 75 alinéa 1er :
« La décision d’ouverture du redressement judiciaire ou de la liquidation des biens interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers composant la masse, qui tend : à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ».
Après lecture de ces dispositions, il est clair que législateur communautaire n’est point favorable au désintéressement d’un quelconque créancier durant la procédure car cela compromettrait les possibilités d’un sauvetage et diminue l’assiette de l’entité en crise. Il sera donc question pour nous de démontrer que ces interdictions n’ont pas été érigées de telles sortes à ce qu’elles puissent affectées le créancier propriétaire d’une fiducie. Le mécanisme de la fiducie permet à ce dernier de se faire payer même en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’endroit du débiteur constituant[2].
C’est pourquoi, il est possible de dire que la fiducie offre une certaine sécurité au créancier titulaire et s’inscrit véritablement comme une sûreté qui résiste à la discipline collective. Ceci dit car le créancier propriétaire peut se faire attribuer la somme garantie soit par attribution du banquier fiduciaire (A) et en cas de refus de ce dernier sur autorisation judiciaire (B).
A- L’attribution de créances par le banquier
Le créancier bénéficiaire d’une fiducie-sûreté peut lui aussi échapper à l’interdiction des paiements des créances. Toutefois, il existe une différence remarquable entre les législations. Alors que le législateur français prévoit expressément des moyens permettant d’échapper à l’interdiction législative, le législateur communautaire africain reste muet à ce propos. En effet, aucune disposition de l’AUPC n’envisage expressément la possibilité pour le bénéficiaire d’un transfert fiduciaire d’obtenir le paiement de sa créance au cours de la procédure collective.[3]
Pour constater toute l’efficacité de la fiducie OHADA, il est impératif de se pencher sur les dispositions qui encadrent la réalisation de cette sûreté. En effet, l’article 91 alinéa 2 prévoit : « En cas de défaillance du débiteur et huit jours après que le constituant en ait été dûment averti, le créancier peut se faire remettre les fonds cédés dans la limite du montant des créances garanties demeurant impayées ». La défaillance du débiteur est le véritable moment pour apprécier l’efficacité d’une sûreté, plus encore lorsqu’il s’agit de la défaillance d’un débiteur en procédure collective.
En effet, on serait tenté de dire qu’à l’instar des sûretés traditionnelles, la réalisation de la fiducie est paralysée par les effets de l’ouverture d’une procédure collective, mais ce n’est pas le cas comme ça déjà été dit plus haut. Cette disposition de l’AUS résiste aux règles contraignantes des procédures collectives et continuera de résister tant que son régime juridique actuel ne sera élargi au droit des procédure collectives OHADA comme ça été le cas en France[4] . Cette résistance est consécutive à la cession de fonds donc du transfert de propriété au profit du créancier, mais aussi en raison du mode simplifié de réalisation consacré par le législateur OHADA.
Pour ce qui est de la cession de fonds, rappelons que les biens qui peuvent être appréhendés dans le cadre d’une procédure collective sont ceux qui se trouvent encore dans le patrimoine du débiteur. Professeur MACORIG-VENIER dit à ce propos :
« Par ailleurs, une autre raison, tenant à la procédure collective a contribué à réserver aux créanciers propriétaires un traitement particulier. Elle tient au fait que la procédure collective s’applique à une personne, et, par ricochet, à l’ensemble de ses biens qui y sont le prolongement Les biens du débiteur sont la cour dans laquelle s’applique le droit des entreprises en difficultés. Il n’a pas vocation à s’étendre au-delà. »[5], montrant ainsi le champ restreint des biens qui peuvent être appréhendés dans le cadre d’une procédure collective mais surtout la résistance du mode de réalisation.
Étant une sûreté sur les fonds qui ne sont pas à la disposition du débiteur, on peut estimer qu’il n’y a aucun intérêt à bloquer sa réalisation ou à la différer puisque de toutes façons l’effet exclusif dont bénéficie le créancier lui permet d’évincer les prétentions concurrentes des autres créanciers. Au mieux, s’il subsiste un excédent, il tombera automatiquement dans l’actif de la procédure et profitera aussi bien aux autres créanciers qu’au débiteur.[6]
L’attribution de créances par le banquier est un mode de réalisation simplifié, ceci dit car le législateur a prévu la réalisation sur simple demande sans qu’il ne soit nécessaire d’assigner en justice le débiteur défaillant et qui est sous le coup d’une procédure collective. Ainsi, il échappe à cette règle restrictive. Le principe d’égalité entre les créanciers est définitivement rompu avec la remise des sommes transférées en garantie au créancier propriétaire. D’ailleurs, s’il fallait intenter une action en paiement, elle serait dirigée contre le banquier car rien ne justifie qu’il ne s’exécute pas même après constat fait de la défaillance du débiteur.
En décidant en droit OHADA de débloquer le compte abritant le transfert fiduciaire d’une somme d’argent, le législateur OHADA soustrait ces fonds de l’actif disponible et utilisable par le débiteur. De la sorte, en cas de défaillance, ces fonds qui ne faisaient pas l’objet d’une procédure collective[7].
Pour ce qui est de la solution en droit français, la lecture de l’article 2024 du code civil est claire, l’ouverture de l’une des procédures collectives n’affecte pas le patrimoine fiduciaire. On peut conclure que le paiement en cas de défaillance sera effectué.
Après avoir abordé l’attribution de créance par le banquier, il est à présent opportun de démontrer que le créancier bénéficiaire d’un transfert fiduciaire d’une somme d’argent peut à juste titre demander l’attribution de créances sur autorisation judiciaire.
B- L’attribution de créances sur autorisation judiciaire
En consacrant le mode de réalisation de la fiducie, le législateur a pris le soin de prévoir un mode de réalisation simple, sans formalisme particulier. Au jour de la défaillance du débiteur, le créancier actionne l’établissement de crédits pour deux motifs : faire constater la défaillance du débiteur et se faire attribuer les sommes dues. Mais, il est également possible de prévoir des situations conflictuelles. Ainsi, envisageons la situation selon laquelle, le banquier fiduciaire refuse de remettre la somme objet de la garantie. Comment le créancier bénéficiaire obtiendra t-il paiement ?
Pour répondre à cette interrogation, soulignons d’abord que l’AUS ne règle pas expressément la question et que d’autre part étant une créance de somme d’argent, le créancier bénéficiaire peut choisir de recourir à l’une des procédures simplifiées prévues en matière de recouvrement de créances OHADA, en particulier la procédure d’injonction de payer pour rentrer en possession des fonds. En effet, elle remplit toutes les conditions cumulatives aussi bien relative à l’article 1er de l’AUPSRVE certaine, liquide et exigible[8] mais aussi celle relative à l’article 2 créance ayant une cause contractuelle[9].
Ainsi, remplissant toutes ces conditions, le créancier pourra attraire le banquier, n’étant pas dirigé contre le débiteur constituant, une telle action est susceptible d’avoir une issue favorable. Sur la même interrogation, Dr AGBEPKONOU répond en disant : « comme en matière de nantissement de créance, si l’on considère que le créancier peut exécuter sa sûreté soit par attribution judiciaire soit par attribution conventionnelle, on verrait mal pourquoi cette possibilité serait refusée pour les propriétés-sûretés. Le pacte commissoire n’est que suggéré par le législateur comme voie simplifiée d’exécution forcée appropriée aux propriétés- sûretés.
La disposition d’ordre public étant l’obligation faite au créancier de restituer le surplus s’il y a lieu au constituant pour éviter un enrichissement déraisonnable de sa part. Il ne peut alors prétendre à la due que dans la limite du montant des créances garanties demeurant impayées[10] ».
Explorons davantage la flexibilité du régime juridique de la fiducie-sûreté en droit OHADA, en particulier en ce qui concerne les intérêts du débiteur. Bien que la fiducie ait été élaborée pour sécuriser les créanciers, il est crucial d’analyser comment elle équilibre les droits et obligations entre les parties impliquées.
Le législateur OHADA, en accordant une place prépondérante au créancier dans le mécanisme de réalisation de la fiducie, a t-il pris suffisamment en compte les intérêts du débiteur en cas de défaillance ? Certes, la procédure de constatation de la défaillance est simple pour le créancier, mais elle peut soulever des interrogations quant à l’équité et à la protection des droits du débiteur. L’absence de formalisme particulier pour la réalisation de la fiducie, bien que favorisant la rapidité, peut parfois créer des situations conflictuelles, notamment si le banquier fiduciaire refuse de remettre la somme garantie.
En envisageant des scénarios où le débiteur pourrait être confronté à des litiges ou refus de paiement, il devient essentiel de se pencher sur la balance entre les intérêts du créancier et ceux du débiteur. La fiducie, en tant que mécanisme protecteur des créanciers, doit être examinée sous l’angle de sa capacité à maintenir un équilibre équitable et à offrir des recours appropriés pour les débiteurs qui pourraient contester la procédure de réalisation.
De plus, la question de l’application de la procédure d’injonction de payer en cas de refus du banquier fiduciaire ouvre une perspective intéressante. Comment cette procédure, initialement conçue pour des créances ordinaires, s’adapte-t-elle à la spécificité de la fiducie ?
Cela souligne la nécessité d’une analyse plus approfondie des lacunes éventuelles du régime juridique de la fiducie en termes de protection des intérêts du débiteur. En conclusion, bien que la fiducie-sûreté se révèle être une sûreté puissante pour les créanciers en droit OHADA, il est essentiel de continuer à évaluer et à ajuster son régime juridique pour garantir un juste équilibre entre les intérêts des créanciers et ceux des débiteurs, assurant ainsi une efficacité globale et équitable du mécanisme fiduciaire.
L’ensemble de ces développements nous ont permis de voir l’étendue de l’efficacité de la fiducie-sûreté en droit OHADA, combien de fois le législateur a fait d’elle est une sûreté protectrice des intérêts du créancier. Mais ne l’oublions pas, pour qu’il y ait sûreté il faut nécessairement un créancier mais surtout un débiteur. Et si le régime juridique de la fiducie favorise l’un et manque considérablement de flexibilité en ce qui concerne les intérêts de l’autre alors son efficacité ne peut être partielle.
Bien que l’efficacité du transfert fiduciaire d’une somme d’argent dans sa réalisation est effective, il a été possible de relever que les intérêts des constituants ne sont pas suffisamment pris en compte. Ceci peut par exemple se lire lorsque l’on analyse la restriction opérée par le législateur quant aux biens pouvant être cédés dans le cadre d’une convention de fiducie.
Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’auteur ci-dessous.
LENDOYE AKOULOUA Elie Blaise Martin
Livres pour approfondir
Principes de la philosophie du droit – Hegel
Les Principes de la philosophie du droit sont désormais considérés parmi les grandes théories philosophiques de l’État. Hegel y développe une dialectique ascendante, démontrant que la vérité du droit abstrait et de la moralité réside dans la réconciliation entre la gestion des choses et des consciences, concrétisée dans la réalité morale.
Notes
[1] Marlène OYONO, « La protection des sûretés réelles exclusives dans les procédures collectives en droit comparé franco-OHADA », op. cit., p.168.
[2] Est débiteur constituant celui qui a convenu d’affecté une somme d’argent en guise de garantie.
[3] Marlène OYONO, « La protection des sûretés réelles exclusives dans les procédures collectives en droit comparé franco-OHADA », op. cit., p.219.
[4] Il existe désormais en France des dispositions particulières dédiées à la fiducie en droit des entreprises en difficultés. Et ce depuis la dernière réforme du droit des sûretés.
[5] Francine MACORIG-VENIER, « L’EXCLUSIVITÉ », https://publications.ut–capitole.fr , TOULOUSE CAPITOLE PUBLICATIONS, p.3, consulté le 10 Novembre 2023 à 14H45.
[6] Kangni-Fafadji René AGBEKPONOU, L’efficacité des sûretés réelles conventionnelles en droit OHADA, op. cit., p.567.
[7] Dominique LEGEAIS, Droit des sûretés et garanties de crédit, LGDJ, éd 15ème, 2022, p.485.
[8] Art 1er de l’AUPSRVE.
[9] Art 2 de l’AUPSRVE.
[10] Kangni-Fafadji René AGBEKPONOU, L’efficacité des sûretés réelles conventionnelles en droit OHADA, op. cit., p.545.