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Flexibilité de la fiducie-sûreté : Enjeux et limites en droit OHADA

Cet article fait référence au chapitre 2 section 1 paragraphe 1 du mémoire de Elie Blaise Martin LENDOYE AKOULOUA réalisé durant son Master en Droit Privé option Droit des affaires à l’Institut Supérieur de Droit de Dakar (2022/2023)

Titre du mémoire : La fiducie-sûreté en droit OHADA

Une absence de flexibilité de la fiducie-sûreté constatée dans les modalités de sa constitution 

La réforme du droit des sûretés OHADA s’inscrivait dans les perspectives de rendre la sphère des affaires attractive, de susciter le développement économique des états parties à l’OHADA en facilitant l’accès au crédit pour les entreprises en priorité, mais également aux populations en général[1].

Pour atteindre ses objectifs, le législateur a conclu qu’il était nécessaire d’une part de s’appuyer sur les leviers tels que la sécurité juridique des acteurs économiques notamment en renforçant la place du droit commun des sûretés et en généralisant l’exigence de publicité à peine d’inopposabilité des sûretés réelles et d’autre part, doter les créanciers d’instruments juridiques efficaces ce qui résulte, à la fois, d’un assouplissement des modalités de constitution et de réalisation65.   

Mais peut-on dire, 13ans après cette réforme, que le législateur communautaire a véritablement atteint cet objectif de rendre les modalités de constitution souples, flexibles surtout en ce qui concerne la fiducie ?  

A cette interrogation, nous avons répondu qu’il y a une absence de flexibilité de la fiducie sûreté dans les modalités de sa constitution. Avant de justifier cette assertion il est impératif pour nous de clarifier ce que l’on entend par absence de flexibilité. En effet, elle renvoie à une rigidité des dispositions encadrant les modalités de constitution de la Fiducie, laquelle se traduit par l’impossibilité pour les parties d’avoir une maîtrise absolue du contenu de la convention, à une impossibilité d’y déroger.  

 Ainsi, l’absence de flexibilité constatée des modalités de constitution de la fiducie OHADA apparaît à travers l’absence de flexibilité des éléments essentiels de la convention (Section I) mais aussi par les limites liées aux dispositions relatives au fiduciaire (Section II)

L’absence de flexibilité des éléments essentiels de la convention

Le principe de la liberté contractuelle consacré en droit commun des contrats s’entend également comme la possibilité pour les parties de convenir sur le contenu de la convention sous réserve de l’ordre public et des bonnes mœurs. La possibilité de convenir sur les points essentiels de l’accord se traduit par l’expression avoir la maîtrise du contrat. Laisser les parties décider des points essentiels d’un accord peut s’avérer être une technique favorisant l’attractivité.

D’ailleurs, cette technique est largement utilisée dans les dispositions régissant les contrats spéciaux à l’instar des contrats commerciaux. La mention sous réserve de la volonté des parties y figure très souvent.  

Ainsi, comment se manifeste l’absence de maîtrise du contenu de la convention par les parties ? 

L’absence de maîtrise du contenu de la convention par les parties peut s’apprécier à un double niveau. Pour ce qui est du premier, rappelons que la fiducie OHADA ne porte exclusivement que sur les sommes d’argent, on note alors une absence de maîtrise de la convention par les parties relatives aux biens éligibles à la fiducie (Paragraphe 1). Quant au second, on peut noter l’impossibilité de déroger à la formalité du compte bloqué (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’absence de maitrise de la convention par les parties relative aux biens éligibles à la fiducie OHADA

Comme il a déjà été souligné plus haut la fiducie-sûreté en droit OHADA est connue sous le vocable de transfert fiduciaire d’une somme d’argent. C’est une singularité car il est rare de la voire consacrée sous une telle dénomination. A titre d’exemple, notons que le législateur français parle de fiducie-sûreté tout simplement. Et est-ce une manière pour le législateur communautaire de spécifier que cette institution ne porte exclusivement que sur des sommes d’argent ? Il semblerait que ce soit le cas. 

Ce singularisme pour lequel le législateur a opté est-il un élément favorisant l’attractivité ou encore une amélioration du climat des affaires ? 

A cette question, nous ne pouvons y répondre que par la négative. La fiducie-sûreté OHADA est à ce jour une sûreté très peu connue, mais aussi très peu usité dans notre espace dans la pratique. Cette situation ne peut se justifier que par un manque de flexibilité en ce qui concerne les modalités de constitution, garantir l’exécution d’une obligation par une somme d’argent n’est pas chose aisée. Cette restriction apparaît comme aux antipodes des réalités des acteurs économiques de l’espace OHADA (A). A côté de cela, on peut noter une restriction limitant les obligations pouvant être garanties au moyen d’une fiducie (B). 

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A- Une restriction aux antipodes des réalités des acteurs économiques de l’espace

Ces dernières années, nous assistons à une recrudescence d’articles émanant de doctrinaires apportant un regard critique sur le droit issu de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires et son adaptation aux réalités socioéconomiques des états membres.  

L’indifférence du droit de l’OHADA aux sources culturelles des sociétés africaines a consacré une pratique des affaires en marge des enjeux sociaux et culturels, lesquels délégitiment la norme en vue d’atteindre les objectifs attendus. La volonté manifestée dans le traité fondateur de favoriser le développement demeure imparfaite en raison non seulement de la contrariété des intérêts entre la norme et le corps social, mais aussi de l’application des politiques inappropriées[2]

Un quart de siècle d’expérimentation du droit de l’OHADA a révélé de nombreuses contradictions en ce qui concerne les attentes sociétales dans les sociétés africaines de son espace. Les préoccupations sociétales désignent les aspirations profondes des peuples de l’OHADA relativement à leur bien-être social, à la suppression de la pauvreté, à l’intégration économique et monétaire de même qu’à l’accélération des politiques nationales de développement.

Ces préoccupations ne sauraient être implémentées en marge des politiques économiques, dont les déterminants demeurent les réalités physiques, psychiques et culturelles des sociétés africaines. Or, la déculturation africaine excessive de l’OHADA l’empêche d’opérationnaliser les politiques économiques susceptibles de concilier les attentes sociétales[3]

Le modèle juridique de l’OHADA apparaît trop extraverti. Il a d’ailleurs été présenté comme un instrument juridique de facilitation des investissements économiques étrangers en Afrique, alors que l’on aurait cru, de prime abord, à un joyau culturel favorable à la construction d’un leadership économique africain[4]. Pour ce faire, le droit de l’OHADA se serait appesanti, par exemple, sur les modalités de financement de l’économie sociale et les unités informelles de production[5] qui constituent le miroir des structures économiques des sociétés africaines dans le but d’articuler la norme aux faits[6].  

Cette contrariété de la norme aux faits apparaît également avec la consécration de la fiduciesûreté en 2010, soit 3ans après sa consécration dans le code civil français. Pour rappel, l’article 87 alinéa 1er dispose : « Le transfert fiduciaire d’une somme d’argent est la convention par laquelle un constituant cède des fonds en garantie de l’exécution d’une obligation ». A la lecture de cet alinéa, il était impératif de se demander, à qui cette disposition s’adresse ?  

Le droit OHADA étant d’abord un droit en vigueur dans des états africains, nous avons recherché la réponse en regardant le paysage économique africain avant de porter un regard vers les acteurs économiques étrangers. En effet, il est difficile de croire que la fiducie-sûreté OHADA soit faite pour les acteurs économiques locaux. Le tissu économique des pays membres de l’OHADA se caractérise par la prédominance du secteur informel sur le secteur formel, au Cameroun par exemple le secteur informel compte un peu plus de 90% des emplois[7].

Quel est alors ce commerçant de fait, fuyant volontairement ou involontairement la formalisation, qui pourrait alors garantir pour les besoins de son activité l’exécution d’une obligation au moyen d’un transfert fiduciaire d’une somme d’argent ?  

Il n’est vraiment pas commun de garantir l’exécution d’une obligation au moyen de la monnaie fiduciaire dans nos états. En revanche, lorsqu’il s’agit de garantir l’exécution d’une obligation à l’aide de biens mobiliers ou immobiliers lambda tels que des voitures, maisons, marchandises, objets de valeur pour ne citer ceux-ci en vue de l’obtention d’un crédit les acteurs se sentent plus à l’aise. En l’état actuel, notre fiducie ne peut servir que pour des montages financiers d’envergure.

Ceci a été le cas au Gabon avec la loi du 28 Août 2014 portant réglementation du secteur des hydrocarbures qui prévoit à la charge des exploitants, une obligation de constituer un fonds de réhabilitation qui doit être doté « d’un mécanisme juridique approprié de protection et de garantie contre les risques de défaillance du constituant ou de saisie de ses créanciers ». 

Faire d’elle une sûreté pour tous, une sûreté de tous les jours[8] comme s’est désormais le cas en France. En effet, l’article prévoit que des biens, des droits ou des sûretés ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés peuvent être affectés au patrimoine fiduciaire. Cet élargissement de l’objet de la fiducie est souhaitable en droit OHADA, car il permettra aux acteurs économiques locaux de profiter des avantages qu’offre la propriété cédée à titre de garantie. 

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B- Une restriction limitant les obligations pouvant être garanties au moyen d’une fiducie

Le législateur communautaire ayant procédé à une restriction des biens éligibles à la fiducie, nous nous sommes demandés quelles sont les obligations qui peuvent être garanties au moyen d’une fiducie-sûreté OHADA ? Cette question à de l’intérêt car aucune disposition de l’AUS plus spécifiquement celles portant sur le transfère fiduciaire d’une somme d’argent ne la règle.  

Lorsque l’objet d’une fiducie est restreint, les obligations qui peuvent être garanties dépendent des types de biens spécifiques autorisés par cette restriction. Dans notre cas, seules les sommes d’argent sont admissibles en tant que biens éligibles, la fiducie serait alors principalement adaptée à garantir des obligations financières impliquant des paiements monétaires. Par obligation financière on entend un titre financier qui s’échange sur les marchés.

C’est une créance prise par une entreprise auprès d’investisseurs particuliers ou institutionnels. Cela signifie qu’une société émet des obligations lorsqu’elle souhaite emprunter de l’argent sur les marchés financiers. Des épargnants placent leur argent dans ces titres et achètent les obligations, devenant du même coup créanciers ou prêteurs de l’opérateur émetteur73. Dans le contexte de la fiducie, elle peut être utilisée pour sécuriser ces obligations en gage de sommes d’argent. 

La fiducie peut également être utilisée dans les contrats pétroliers comme il a été souligné dans nos précédents développement avec l’exemple du Gabon. Où il est fait obligations aux exploitants de constituer un fond de réhabilitation mettant en avant le mécanisme de la fiduciesûreté.  

Ceci étant dit, on peut noter que cette sûreté ne peut-être constituée que pour des montages financiers d’envergure. Ce qui est regrettable car les avantages qu’offre le mécanisme de cette sûreté reposant sur le transfert de propriété faciliterait aussi bien le quotidien des civils que des opérateurs économiques.  

La focalisation sur les sommes d’argent, la fiducie devient moins adaptable aux situations où d’autres types d’actifs, tels que des biens immobiliers ou des actifs corporels, pourraient être plus appropriés ou nécessaires comme garantie. Les parties pourraient trouver difficile de structurer des arrangements complexes nécessitant une diversité d’actifs, les situations évoluent et la fiducie en étant restreinte à des sommes d’argent pourrait avoir du mal à s’adapter efficacement à des changements imprévus ou à des évolutions dans le cadre de l’obligation garantie.  

Explorons davantage la portée de la restriction imposée par le législateur OHADA quant aux biens éligibles à la fiducie-sûreté, en mettant l’accent sur les implications pour les divers types d’obligations. En se concentrant sur les sommes d’argent comme seul bien admissible, cette limitation soulève des interrogations quant à la diversité des obligations pouvant être garanties par le biais de la fiducie.  

Lorsque l’on considère les obligations de donner, il devient évident que le transfert fiduciaire d’une somme d’argent pourrait être difficile à appliquer dans de telles circonstances. Les débiteurs, souvent dans le besoin, pourraient trouver difficilement envisageable de constituer un fonds en garantie de l’exécution d’une créance de sommes d’argent, compromettant ainsi l’applicabilité de la fiducie dans de tels scénarios. 

 En revanche, la fiducie pourrait trouver une utilité plus évidente dans la garantie d’obligations de faire, notamment dans le cadre de contrats de grande envergure tels que les marchés publics. En faisant obligation au soumissionnaire de constituer un fonds en vue de garantir l’exécution, la fiducie pourrait s’adapter à des contextes où des engagements financiers importants qui nécessitent une sécurisation particulière.

Mais ceci ne reste qu’une hypothèse en raison de l’imprécision des dispositions en la matière. Il serait alors souhaitable que le législateur puisse apporter des précisions supplémentaires afin de ne pas laisser place à une insécurité juridique qui pourrait découler de multiples interprétations dans la matière. 

L’omission de précisions dans les dispositions de l’Acte Uniforme portant Organisation des Sûretés concernant les types spécifiques d’obligations qui peuvent être sécurisées au moyen de la fiducie suscite des inquiétudes quant à une potentielle insécurité juridique. Il est souhaitable que le législateur fournisse des éclaircissements additionnels pour guider les praticiens et éviter des interprétations divergentes. 

En se penchant sur des exemples concrets tels que les contrats pétroliers, où l’obligation de constituer un fonds de réhabilitation peut être garantie par la fiducie-sûreté, on observe une application spécifique de cette sûreté dans des secteurs particuliers. Cependant, la limitation aux sommes d’argent restreint son adaptabilité à des situations impliquant d’autres types d’actifs, ce qui pourrait s’avérer moins efficace dans des contextes nécessitant une diversité d’actifs en garantie.  

En fin de compte, la focalisation sur les sommes d’argent peut rendre la fiducie moins versatile, la rendant moins apte à s’adapter à des situations complexes nécessitant une variété d’actifs en garantie. Une analyse approfondie des implications de cette restriction est essentielle pour évaluer pleinement l’efficacité de la fiducie-sûreté dans le paysage juridique OHADA. 

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Pour plus d’informations sur ce mémoire, n’hésitez pas à vous adresser directement à l’auteur ci-dessous.

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LENDOYE AKOULOUA Elie Blaise Martin

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Notes

[1] Stéphane Bohoussou KOUAKOU, « Réflexion critique sur l’efficacité des sûretés réelles en droit OHADA : proposition en vue d’une réforme du droit OHADA des sûretés réelles », Université de Bordeaux 2015, p.15. 65 Pierre CROCQ, « Les grandes orientations du projet de réforme de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés », DROIT & PATRIMOINE, N°197, Novembre 2010, p.52. 

[2] Ouafo BEPYASSI, « Le droit issu de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires et les sociétés africaines : regard critique sur une illustration du déni de l’essence culturelle du droit. Les Cahiers de droit », https://doi.org/10.7202/1071388ar, p.807, consulté le 13/12/2023 à 04H43.  

[3] Idem. 

[4] Ibid., p.808. 

[5] Bruno LAUTIER, L’économie informelle dans le tiers monde, Paris, Éditions La Découverte, 1994, p. 3; KANCHOP T.N, Le secteur informel à l’épreuve du droit des affaires OHADA, mémoire de Diplôme d’études approfondies (DEA), Dschang, Université de Dschang, 2009. 

[6] Georges RIPERT, Les forces créatrices du droit, Paris, L.G.D.J, 2ème éd 1994, p.228.

[7] Stéphanie KWEMO, L’OHADA et le secteur informel : l’exemple du Cameroun, Ed. Lacier, Bruxelles, Coll. DroitEconomie International, 2012, page 90.

[8] Une sûreté pouvant être utilisée par tous, que ce soit pour les actes de la vie commerciale ou civile. 73 LEXIQUE, Obligation financière,  hellobank.fr , consulté le 14/12/2023 à 12H40.

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