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Présomption d’innocence : Sanctions possibles

Cet article fait référence au chapitre 4 du mémoire de Master de Luc ODUNLAMI réalisé durant son Master II Droit et Institutions Judiciaires à l’Université d’Abomey-Calavi (2020/2021)

Introduction        –         Chapitre 1.     –     Chapitre 2.       –    Chapitre 3.

Titre du mémoire : La Présomption d’innocence à l’épreuve des médias

Chapitre 2 : Les sanctions envisageables en matière de protection de la présomption d’innocence

L’analyse des sanctions existantes en matière de protection du principe de la présomption d’innocence se révèlent insuffisantes. Il est donc nécessaire de faire des propositions allant dans le sens de l’amélioration des mesures déjà existantes. De ce fait, il est suggéré une amélioration de la protection de la présomption d’innocence.

L’amélioration de la protection de la présomption d’innocence passe par le renforcement des mesures d’ordre juridique (Section I) et l’instauration de mesures d’ordre pratique (Section II) en vue.

Section I : Le renforcement des mesures d’ordre juridique

S’il est vrai que la protection de la présomption d’innocence est assurée par les textes, cette protection en l’état actuel du droit positif ne permet pas de faire face efficacement à sa violation par les médias. De ce fait, le renforcement des mesures d’ordre juridique apparaît comme une nécessité.

Ceci passe par l’amélioration de la réponse pénale (A) et civile (B).

Paragraphe 1 : L’amélioration de la réponse pénale

Certaines précautions sont édictées par le législateur en vue de sauvegarder le secret professionnel[1].

Ainsi, l’amélioration de la réponse pénale comme solution au respect du principe de la présomption d’innocence par les médias passe essentiellement par la préservation du secret de l’enquête et de l’instruction (A) et l’introduction d’une publicité strictement encadrée dans le cadre de l’information judiciaire (B).

[1] Article 50 alinéa 2 du code de procédure pénal

A - La préservation du secret de l’enquête et de l’instruction

Le respect de la présomption d’innocence dans le cadre de la procédure pénale pose nécessairement la question du secret de l’enquête et de l’instruction, consacré à l’article art. 12, al. 1 et 2 du code de procédure pénale qui dispose que : « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.

Et toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel ». Ce secret s’impose à toute personne qui concourt à la procédure, ce qui inclut les magistrats, enquêteurs ou experts, et de manière générale, toute personne qualifiée requise par un magistrat ou un officier de police judiciaire.

Si les avocats ne sont pas tenus au secret de l’instruction, des obligations déontologiques et le secret professionnel s’imposent toutefois à eux.

On n’a souvent fait grief au secret de l’instruction pénale d’être attentatoire au droit de la défense. Cette critique n’est pas décisive. En réalité, le procès pénal commence dès l’instruction préparatoire et, souvent même, elle en constitue la phase la plus importante, dans la mesure où les éléments recueillis au cours de l’instruction présentent une importance décisive.

On estime aussi que l’abandon du secret pourrait entraîner de sérieux abus si l’opinion publique devait devenir le spectateur privilégié des recherches du juge d’instruction.

Par ailleurs, l’article 12 alinéa 3 du code de procédure pénal[1] permet au procureur de la République de rendre public, certains éléments de la procédure, dans des conditions strictes.

Il apparaît dès lors qu’il ne s’agit pas d’un secret absolu, dont la conciliation avec d’autres principes, tels que le droit à l’information, peut poser difficulté en pratique. Toutefois, le secret de l’instruction ne saurait être remis en cause, en ce qu’il permet de préserver l’efficacité des investigations, et qu’il participe aussi à garantir la présomption d’innocence.

Néanmoins, les violations du secret de l’instruction donnent rarement lieu à des poursuites, l’identification des personnes à l’origine de la violation du secret étant souvent difficile, notamment en raison du secret des sources.

Pour autant, il résulte de plusieurs auditions de hauts magistrats[2] que les violations de ce secret imposent une attention particulière de la part du procureur de la République et doivent donner lieu à des enquêtes, qui, même si elles aboutissent peu, permettent de rappeler que ces manquements ne sont pas tolérés par l’institution judiciaire. 

Il est également indispensable, lorsque les violations sont avérées, que des sanctions pénales et disciplinaires adaptées soient envisagées.

Le renforcement de la réponse pénale passe également par l’introduction d’une publicité strictement encadrée dans le cadre de l’information judiciaire.

[1] «…Toutefois, afin d’éviter la prolifération d’informations parcellaires ou inexistantes, ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le Procureur de la République rend publics les éléments objectifs tirés de la procédure et ne compromettant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ».

[2] GUIGOU (E.), « La présomption d’innocence : un défi pour l ’Etat de droit », Rapport du groupe de travail sur la présomption d’innocence, Octobre 2021, page 59.

B- L’introduction d’une publicité strictement encadrée dans le cadre de l’information judiciaire

Sans remettre en cause le principe du secret de l’enquête et de l’instruction, il apparaît que l’introduction d’une certaine publicité dans le cadre de l’information judiciaire, de manière strictement encadrée, est susceptible de faire cesser les atteintes à la présomption d’innocence.

En effet, l’article 218 du code de procédure pénale, qui prévoit que les débats devant la chambre de l’instruction se déroulent en chambre du conseil, autorise déjà une certaine publicité, à la demande de la personne mise en examen ou de son avocat sauf si la publicité est de nature à entraver les investigations spécifiques nécessitées par l’instruction ou à nuire à la dignité de la personne ou aux intérêts d’un tiers.

Aussi, il est estimé qu’un élargissement de la publicité pouvait être souhaitable en introduisant un motif lié à la préservation de la présomption d’innocence rendant nécessaire la publicité des débats.   

En l’état actuel du droit positif, la presse quotidienne n’assiste pas à ces audiences qui sont pourtant de nature à fournir des informations objectives et précises sur les affaires en cours.

Par ailleurs, il a été constaté que la durée des dossiers d’information judiciaire et l’affaiblissement de l’intérêt de l’opinion publique et des médias pour la procédure au fil du temps favorisaient les atteintes à la présomption d’innocence.

En effet, l’emballement médiatique se tarissant souvent après l’ouverture d’information, les médias couvrent de manière moins assidue les suites de la procédure.

Plusieurs journalistes et organes de presse ont expliqué que le secret de l’enquête et de l’instruction compliquait la couverture des affaires ouvertes à l’instruction[1].

Or, de longs mois peuvent s’écouler avant que la situation pénale de la personne soit définitivement jugée.

Dans ce contexte, il serait intéressant d’envisager un mécanisme permettant au magistrat instructeur et à la chambre de l’instruction, spontanément ou à la demande du ministère public, de publier, avec l’accord de la personne concernée, intégralement ou en partie une décision de non-lieu, ou un communiqué pour faire connaître cette décision.

Ainsi, le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction pourrait, en l’occurrence, ordonner la publication de la décision de nonlieu, sauf opposition de la personne concernée.

Cette obligation ne s’imposerait que lorsque le mis en cause serait placé sous le statut de mis en examen et non de témoin assisté. Cette obligation aurait une vertu pédagogique envers les médias et le public.

Par ailleurs, si l’amélioration de la réponse pénale face à la violation de la présomption d’innocence par les médias est une nécessité, l’amélioration de la réponse civile est tout aussi primordiale.

[1] GUIGOU (E.), « La présomption d’innocence : un défi pour l ’Etat de droit », Rapport du groupe de travail sur la présomption d’innocence, Octobre 2021, page 59.

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Paragraphe 2 : L’amélioration de la réponse civile

Il n’existe pas en l’état actuel du droit positif, une hiérarchie formelle entre le droit à l’information et la présomption d’innocence. Il faudrait hiérarchiser ces deux droits en conflit. Aussi, la doctrine développe l’idée de la consécration de la responsabilité de l’Etat. Une telle hypothèse n’est pas illusoire à notre avis. Ainsi, l’amélioration de la réponse civile pourrait passer par la hiérarchisation des droits en conflits (A) et la consécration de la responsabilité de l’Etat fondée sur les exigences du procès équitable (B).

A - La nécessaire hiérarchisation des droits en conflit

Plus qu’une réalité factuelle, le principe de la présomption d’innocence imprègne la procédure pénale en imposant  à tous les stades de la procédure, le doute nécessaire afin d’arriver à un degré de certitude permettant d’éviter les erreurs judiciaires.

Plus qu’une garantie des droits de la personne soupçonnée de la commission d’une infraction, ce principe doit être regardé comme un idéal à rechercher.

Ainsi, une analyse du droit positif permet de se rendre compte qu’il existe une hiérarchisation implicite des droits au profit de la présomption d’innocence. 

La législation actuelle semble restreindre la portée du droit à l’information  aux moyens de certains mécanismes qui donne une certaine primauté à la présomption d’innocence sur le droit à l’information.

De nombreux instruments de protection des libertés permettent de procéder à la vérification d’une telle hypothèse.

En premier lieu, la loi organique relative à la HAAC qui dispose en son article 3 que : « L’exercice des libertés reconnues aux articles précédents ne peut connaître des limites que dans les cas suivants :

-le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion… »[1] .

Dans cette disposition, il en ressort que la liberté de la presse et le droit à l’information ne peuvent en aucun cas porter atteinte à la dignité humaine. Il s’en dégage une limitation du droit à l’information par la dignité humaine protégée par la présomption d’innocence.

Ce faisant, le législateur a implicitement fait de la présomption d’innocence une limite indispensable au droit à l’information.

Et sans en avoir peut être pris entièrement conscience, il place la présomption d’innocence au-dessus du droit à l’information.

En second lieu, la limitation nécessaire du droit à l’information pouvant s’interpréter comme une sorte d’hiérarchisation des droits au profit de la présomption d’innocence se déduit d’une autre disposition.

Il s’agit de l’article 93 de la loi n°97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de l’espace audiovisuel et dispositions spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin qui dispose qu’ «il est interdit de publier les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience publique… ».

Une telle disposition privilégie clairement la protection de présomption d’innocence au détriment du droit à l’information. 

En effet, en interdisant toute publication d’actes d’accusation et de procédure dans une affaire criminelle ou correctionnelle, le législateur est entrain de limiter le droit à l’information car le fait de publier lesdits actes avant tout jugement peut conduire l’opinion publique à se faire une idée préconçue de la culpabilité des suspects.

De plus, les sujets destinataires de la présomption d’innocence sont déterminés avec plus de précision que ceux destinataires du droit à l’information.

On s’acharne en effet à dire que l’opinion publique a droit à l’information. Or l’opinion publique est virtuelle.

Qui a qualité pour exercer l’action en justice lorsque des informations ne sont pas publiées ou diffusées sur les ondes ? Et une telle action sera exercée contre qui ? Elle aboutira à quelle forme de sanction ? Peut-on contraindre la presse à divulguer toutes les informations ? 

Si de telles questions se ressentent dans l’exercice de l’action en justice relativement au droit à l’information, de telles questions ne se posent pas dans le cadre de la violation du droit à la présomption d’innocence.

C’est le suspect qui est la victime de la violation et les règles qui entourent la réparation de celle-ci sont claires et expressément prévus.[2]

L’article préliminaire de notre code de procédure pénale dispose que « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie.

Les atteintes portées à sa présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».  

 

Toutefois, au-delà d’une primauté retrouvée par déduction implicite ou interprétation des textes, il serait plus judicieux de clairement l’exprimer par des dispositions pratiques.

Ainsi, la présomption d’innocence doit primer sur le droit à l’information. Une telle primauté, loin d’être déduite implicitement des textes, doit au contraire être  expressément consacrée donc affirmée.

Faire le choix d’une primauté de la présomption d’innocence sur le droit à l’information et non à l’inverse n’est pas arbitraire car l’affirmation nécessaire de la primauté semble bien justifiée.

Examinons à présent, l’hypothèse de la consécration de la responsabilité de l’Etat.

[1] Loi organique n°92-021 du 21 Août 1992 relative à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication

[2] DJIKUI (C.), La présomption d’innocence et le droit à l’information, mémoire de DEA, Droit Privé Fondamental, Université de Lomé, 2008-2009, page 53.

B- La consécration de la responsabilité de l’Etat fondée sur les exigences du procès équitable

Selon un courant de pensée, les Etats peuvent voir leur responsabilité engagée non seulement par les conférences de presse provoquées par leurs organes[1] mais également par celles orchestrées par des organes de presse privés, dont les effets seraient d’affecter l’équité de la procédure en amenant tant la population que les magistrats à avoir un préjugé défavorable à l’égard du prévenu.

Cette responsabilité découle de l’obligation positive qu’ont les Etats de garantir un procès équitable, car la violation par un journaliste ou un organe de presse privé, d’un droit fondamental, tel que la présomption d’innocence engage la responsabilité de l’Etat en ce qu’il est resté en défaut de l’assurer à la victime, du fait de son abstention.

La Cour Européenne des droits de l’Homme a admis que si en vertu de l’article 19 de la Convention Européenne, la responsabilité des médias ne saurait être directement mise en cause devant elle, celle de l’Etat pouvait l’être du fait des médias lorsqu’il existe un comportement ou omission coupables de sa part[2].

S’agissant de l’attitude de la presse, le prévenu doit établir qu’elle a eu une influence quelconque sur le dénouement de la cause, notamment par la démonstration de ce que les juges, en s’acquittant de leurs tâches, seraient partis de la conviction ou de la supposition qu’il aurait commis les actes dont il était accusé ou de ce que la preuve de sa culpabilité n’a pas été à la charge de l’accusation.

L’Etat est responsable de la méconnaissance de la présomption d’innocence et de l’atteinte à la réputation d’une personne mise en cause par l’enquête du fait de la communication du personnel d’escorte de la police qui, manquant à ses devoirs, facilite la prise de photos susceptible de nuire au prévenu en favorisant ainsi une campagne de presse hostile[3].

Ainsi, la violation de l’officier de police du secret et celle des magistrats professionnels à l’occasion du fonctionnement du service public de la justice et portant préjudice à la présomption d’innocence doivent être considérés comme une faute professionnelle imputable à l’Etat car « l’Etat fait corps avec son juge comme avec son fonctionnaire »[4].

Le législateur béninois pourrait ainsi s’inspirer de ces réflexions et consacrer la responsabilité de l’Etat fondée sur les exigences du procès équitable.

Au-delà des mesures d’ordre juridique, des mesures d’ordre pratique peuvent également être envisagés.

[1] CEDH, arrêt Allenet de Ribermont c. France du 10 février 1995.

[2] CEDH Claes et crts c. Belgique du 2 Juin 2005.

[3] Comm. EDH, décision Bricmont c. Belgique du 15 Juillet 1986, Annuaire, 1967, p.177.

[4] GARAPON (A.), « les nouvelles responsabilités de la justice » in les juges. Un pouvoir irresponsable ?, Paris, éditions Nicolas Philippe, 2003, page 9-10.

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Section II : L’instauration des mesures d’ordre pratique

Si pour éviter la violation du principe de la présomption d’innocence par les médias, la plupart des réflexions se focalisent sur le renforcement des sanctions pénales et civiles, il serait intéressant également de développer des outils permettant une plus grande appropriation du principe de la présomption d’innocence.

Au titre de ces outils, il est suggéré le recours à des solutions pratiques comme le renforcement de la communication de la justice sur son action et sur son fonctionnement.

D’autres mesures peuvent aussi être envisagées comme le développement de la connaissance des journalistes, des organes de presse sur les grands principes du droit. Aussi intervient, la question du financement des médias qui mérite d’être abordée.

Paragraphe 1 : Le renforcement de la communication de la justice

Lorsque la presse s’empare d’un procès, elle ne se borne pas à expliquer le travail de la justice ou à dénoncer son mauvais fonctionnement : elle caresse le désir de se substituer au juge et de juger à sa place. Le pouvoir des médias suscite donc des interrogations.

Face à ces interrogations, il est suggéré d’une part le renforcement de la communication de la justice sur son fonctionnement (A) et le renforcement de la communication de la justice sur son action (B).

A - Le renforcement de la communication de la justice sur son fonctionnement

Les médias et les réseaux sociaux sont aujourd’hui présentés comme une source essentielle de vérité face à l’impuissance supposée de l’institution judiciaire à répondre ou à éradiquer un fait social.

La puissance des médias et des réseaux sociaux anéantit manifestement, les principes que la justice tente désespérément de préserver.

L’institution judiciaire au sein de l’opinion publique n’est pas suffisamment perçue comme un instrument de protection des libertés fondamentales.

Ainsi, la défiance envers l’autorité judiciaire, liée à une forte méconnaissance de son fonctionnement, de son activité quotidienne, de ses réussites mais aussi de ses difficultés, constitue un terreau favorisant les atteintes à la présomption d’innocence. 

La protection de la présomption d’innocence passe vraisemblablement par un meilleur contrôle du choix et de l’objectivité des informations publiées.

Paradoxalement, alors que l’action des magistrats et des forces de sécurité intérieure est décriée, elle suscite un intérêt grandissant de la part de l’ensemble de la population.

Dans ce contexte, chacun s’estime légitime à relayer des informations sur des affaires en cours sans prudence, ou à remettre en cause l’action de l’autorité judiciaire.

Dans une société très médiatisée dans laquelle l’information en continu et en temps réel prend une place très importante, notamment par l’usage des réseaux sociaux, la justice souffre d’un déficit très important de communication et d’une image biaisée.

Ainsi, dès lors qu’une affaire judiciaire est sur la place publique, l’alternative pour les magistrats ne soulève pas de difficulté majeure, soit pour refuser toute communication d’information, soit pour accepter de répondre aux sollicitations. 

Dans le premier cas, le champ est laissé libre aux médias, avec des risques divers notamment les risques de diffusion d’information mal maîtrisée, tronquée, voire erronée ; les risques d’interprétations inexactes, de suppositions tendancieuses ; les risques d’altération de la vérité. 

Les journalistes iront chercher les informations auprès des victimes ou des auteurs (présumés) ou de leur(s) avocat(s), sans aucune garantie d’objectivité ; les premières fourniront la substance émotionnelle de l’événement, les seconds insisteront vraisemblablement sur leur innocence.

Une mise au point du procureur, si elle n’est pas non plus sans risque, aura en revanche le mérite de fixer les limites de ce qui peut être révélé, de préciser la nature exacte des faits, leur qualification, de faire le point de l’enquête et d’éviter les extrapolations.

Néanmoins, il est important de constater que dans le traitement de l’information, la présomption d’innocence est trop souvent transformée en présomption de « culpabilité » mais, que quelques mois ou quelques années plus tard, si la personne est « mise hors de cause » (classement sans suite, relaxe, acquittement…), la part d’audience consacrée à cette évolution procédurale est réduite, voire inexistante.

S’agissant des réseaux sociaux, les violations de la présomption d’innocence sont « monnaie courante ».

Les décisions de relaxe et de nonlieu ne suscitent pas un intérêt comparable, y compris de la part des médias, à celles des faits à l’origine de l’ouverture d’une enquête ou d’une information.

Le traitement médiatique des affaires judiciaires paraît indépendant du temps judiciaire, en particulier lorsque les procédures durent longtemps, ce qui est préjudiciable pour les personnes mises en cause. 

C’est pourquoi il apparaît indispensable que la communication judiciaire, tant institutionnelle que sur les affaires en cours, se renforce afin de rendre la justice plus visible et surtout plus compréhensible pour les justiciables. 

B - Le renforcement de la communication de la justice sur son action

Au-delà de la définition d’une communication institutionnelle nationale, il paraît opportun de développer des actions ou des campagnes de communication, indépendamment de toute affaire, relatives aux grands principes du droit, afin de faire connaître l’institution judiciaire et son fonctionnement, par exemple en organisant des conférences de presse sur des thématiques juridiques et judiciaires.

Ce type d’initiative peut participer à une meilleure sensibilisation du public et des médias sur le fonctionnement de l’autorité judiciaire, et par là même à renforcer le respect des grands principes de notre procédure pénale.

En effet, les justiciables désirent une justice plus proche d’eux, justice plus efficace et une justice plus protectrice.

La communication s’avère être un outil déterminant pour renforcer la crédibilité de la justice face à un environnement d’usagers publics réclamant la transparence à travers une information disponible.

Il est donc impératif que les tribunaux puissent bénéficier de structures et de moyens de communication adéquats et de ressources humaines qualifiées dans le domaine de la communication.

En outre, le système judiciaire est appelé à s’ouvrir sur son environnement extérieur en impliquant les médias et autres acteurs extérieurs.

Cela nécessite le renforcement des compétences des professionnels du système judiciaire en matière de communication.

Toutefois, d’autres mesures d’ordre pratiques peuvent être explorées.

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Paragraphe 2 : Les autres mesures

S’interroger aujourd’hui sur la présomption d’innocence mobilise en réalité une inquiétante question, celle de la confiance dans l’institution judiciaire et les réserves éprouvées sur le rôle contesté du juge, et avec lui de l’État de droit. 

D’où, un recours davantage à la sensibilisation sur la connaissance de l’Etat de droit doit être envisagé. Mais il est démontré qu’une presse qui veut à tout prix vendre est plus tentée de sacrifier les principes liés aux droits de la défense, notamment celui de la présomption d’innocence au profit de la vente.

C’est pourquoi, la question du financement des médias n’est pas négligeable.

A - Le développement de la connaissance sur l’Etat de droit

Dans la presse, les atteintes à la présomption d’innocence ne se caractérisent pas toujours par une volonté de nuire dans la plume du journaliste mais plus généralement par l’usage de termes inappropriés ou par un déséquilibre dans le traitement d’une information.

Il conviendra de permettre au journaliste d’avoir accès, dès sa formation, à une meilleure sensibilisation aux grands principes fondamentaux du droit, dont la présomption d’innocence, et de permettre au citoyen qui se considère injustement mis en cause de pouvoir engager une médiation directe afin que ses droits puissent être pris en compte. 

A cet effet, il serait intéressant de développer des outils permettant une plus grande appropriation du principe de la présomption d’innocence.

Ainsi, il pourrait être mis en place une documentation pratique et accessible sur le principe de la présomption d’innocence, principe cardinal de notre Etat de droit, aussi bien pour les professionnels que pour le grand public.

Ce guide pratique de la présomption d’innocence, pourrait être édité et diffusé gratuitement par voie numérique.

Il aurait pour ambition d’aider à la connaissance de la présomption d’innocence, par un exposé sur ses origines et son histoire, sa combinaison avec les autres principes fondamentaux, et de suggérer de bonnes pratiques, notamment pour ce qui concerne la sémantique pouvant être privilégiée.

Ce guide s’adresserait à tous les acteurs de la vie judiciaire, y compris les journalistes, mais aussi aux élus, aux représentants de l’État au niveau central comme au niveau local, aux acteurs de la vie publique et associative, aux enseignants et aux formateurs.

Ce guide serait également accessible à un public plus large, qui s’intéresse à la vie de notre démocratie et à la préservation de notre Etat de droit et qui est désireux de mieux comprendre le fonctionnement de l’institution judiciaire. 

Si ces mesures permettront à coup sûr d’assurer une meilleure protection du principe la présomption d’innocence face aux violations constantes et répétées de celle-ci par les médias, il ne faut pas perdre de vue, la question du financement des médias, surtout de la presse écrite.

B - La question du financement des médias

Au Bénin, les entreprises de presse sont enregistrées et gérées comme toutes les autres.

Seul l’objet de leurs activités les différencie, car elles traitent et diffusent l’information, servent aussi de canaux de communication.

C’est grâce à une gestion adéquate que les entreprises de presse peuvent espérer prospérer, créer des emplois et contribuer à la croissance économique.

En effet, l’environnement social et économique du Bénin est peu favorable à la rentabilité et au développement des entreprises de presse.

La gestion de l’entreprise de presse au Bénin doit être envisagée sous divers aspects.

D’un point de vue commercial et financier, elles essayent de s’en sortir, non sans difficultés pour assurer leur rentabilité et leur épanouissement.

Pour cela, elles vont chacune à la conquête des sources de revenus. Il est souhaitable que des initiatives soient prises pour éviter des cas de déséquilibres flagrants ou de concurrences déloyales inacceptables.

Cette situation conduit les médias à se livrer à une véritable marchandisation du travail journalistique. Celle-ci consiste à utiliser la liberté de la presse pour assurer, non seulement le financement des médias, mais également l’enrichissement personnel de certains journalistes[1]

En réalité, « le journalisme dit d’investigation cache un journalisme de délation et les belles déclarations sur la liberté d’expression occultent le débat sur l’aspect financier du problème, de belles « affaires » largement médiatisées assurant les ventes que le sérieux d’un journal ne pourrait garantir à lui seul ; il faut vendre à tout prix et au mépris de l’honneur des personnes mises en cause dans les affaires pénales »[2].

Il est ainsi vrai que si la presse mène parfois des instructions à charge et non à décharge, c’est parce que « la culpabilité fait vendre alors que l’innocence ne fait pas recette »[3].

Ainsi, au niveau des entreprises de presse du secteur public, l’appui de l’Etat à travers les subventions octroyées permet à certains organes d’assurer un traitement plus viable à leurs professionnels des médias.

En effet, la presse publique dans le monde et en Afrique est généralement financée par l’Etat sur la base des subventions, issu des redevances, le remboursement des exonérations sur redevance des dotations budgétaires.

Selon le code de l’information et de la communication de 2015 en République du Benin, de ces articles 41 à 44, le financement des médias de service public est constitué de subvention de l’Etat, de redevances soumises annuellement à l’approbation de l’assemblée Nationale, de recettes publicitaires, des dons et legs.

Les montants des subventions accordées aux différents organes de presse de service public sont examinés et votés chaque année par l’Assemblée nationale en sa session budgétaire. Tout média de service public qui reçoit des dons ou des legs de quelque donateur que ce soit, en informe la HAAC.

Les dons et legs d’une personne physique ou d’une personne morale à un média de service public ne peuvent induire une contrepartie sous forme de faveur exceptionnelle au donateur au mépris des textes législatifs et règlementaires.

Il en est de même pour le code de déontologie d’éthique et des prescriptions de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de Communication (HAAC).

Le financement public des médias de service public astreint ces derniers au respect strict de la déontologie et des obligations de transparence conforme à la décision de la

Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) relative à l’accès équitable des partis politiques, des autres forces vives de la nation et des citoyens auxdits médias.

Parmi les obligations, on peut retenir que l’organe de presse doit mieux traiter l’information et se doter de contenus ou grille de programmes varié enrichissants pour leurs publics respectifs, s’approvisionner en programme de stock et production audiovisuelles de culture nationale de qualité auprès des professionnels du secteur privé régulièrement établis ou non en République du Bénin. 

Par ailleurs, les comptes des médias de service public doivent faire l’objet, chaque année, d’un audit réalisé par une institution publique compétente.

On distingue aussi des sources de financement avec des fonds publics (aides, subventions) ou assimilés (redevance, dotation), des fonds privés (mécénat, fondation, investissements, …), des facilités (exonération, crédits d’impôt, fiscalité).

L’objectif est d’assurer la prise en charge d’un intérêt général, soit la recherche d’un investissement rentable ou alors le lancement d’une activité de service commerciale.

La presse privée quant à elle n’a pas autant de privilège. Elle rencontre d’énormes difficultés dont le financement. Ces difficultés trouvent leurs origines dans la manière dont ces organes sont mis en place et gérés.

De nos analyses, il ressort que les organes de presse ne font aucune étude de terrain avant de s’installer et n’ont pas un business plan. Ils ignorent les réalités et les besoins de l’auditoire en matière d’information avant de s’installer et donc produisent à leur gré pour une cible segmenté dans le besoin de spécialisation.

En outre, la plupart des entrepreneures de presse viennent au métier de la presse écrite pour répondre aux aspirations des politiciens à l’approche des élections ou d’autres événements.

Une fois ces événements terminés, ils sont laissés à leur propre sort et cherchent à survivre en s’adonnant à des pratiques peu recommandables. Il urge alors de repenser le modèle économique des organes de presse surtout privée.

C’est pourquoi, il faut l’appui de l’Etat et des partenaires au développement pour tout mettre en œuvre afin de libérer et apporter un soutien financier aux médias béninois.

L’aide publique aux médias privés mérite d’être repensée. Cette aide ne doit pas être obligatoire ni servir de source de financement. Elle doit être un fond d’allègement de charge. 

Le modèle économique alternatif pour une presse indépendante, crédible et objective reste une combinaison de pratique associant l’actionnariat et la subvention. Une subvention indirecte qui n’assujettisse pas.

L’aide doit constituer pour les patrons de presse en un accompagnement qui vient soulager et alléger les lourdes dépenses et charges de fonctionnement générées par la fabrication de l’information.

L’entrepreneur ne doit pas compter sur une subvention comme source de financement mais sur la qualité de sa production afin d’accrocher et de fidéliser sa cible définie dès le départ.

L’organe de presse doit pouvoir s’autofinancer après son installation par ses produits marchands qui dans la presse se résument à la vente des parutions, les abonnements, les annonces et surtout la publicité.

Le patron de presse doit pouvoir convaincre alors les annonceurs en leur garantissant un audimat plus ou moins disponible.

Un meilleur assainissement du secteur par l’Etat ne pourra que changer positivement la situation. De même que la définition d’une nouvelle politique du développement des médias avec statut d’entreprise de presse.

[1] KONFO (B.), « Etat des lieux du financement de la presse au Bénin et perspectives d’amélioration » in International Journal of Innovation and Applied Studies, Octobre 2020, p. 798.

[2] GUINCHARD (S.), Droit processuel-droit commun du procès, Paris Dalloz, 2001, n°271.

[3] CIVARD-RACINAIS (A.), La plume et la balance, p. 62.  

Pour rappel, l’article présente uniquement le chapitre 2 du mémoire. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à vous adresser directement auprès de l’auteur.

Introduction        –         Chapitre 1.     –     Chapitre 2.       –    Chapitre 3.

Luc ODUNLAMI

Luc ODUNLAMI

Les communications au public en ligne, par l’entremise du réseau internet, n’ont eu de cesse d’accroître la médiatisation des affaires pénales. De nos jours, une certaine forme de journalisme dite « d’investigation » dicte sa loi, parallèle à celle qui s’applique dans les tribunaux. Les médias s’emparent de toute affaire naissante ou à naître. C’est leur métier, c’est vrai.

Mais en publiant chaque jour, à leur gré, sans autre contrôle que celui de leur conscience, des informations sur l’enquête puis sur l’instruction dont on se demande de qui elles émanent, par quel canal – officiel ou officieux – elles sont parvenues à leur connaissance, ils mettent à l’épreuve le principe de la présomption d’innocence.


La présomption d’innocence à l’épreuve des médias, un sujet qui demeure d’actualité.

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