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Présomption d’innocence : Violation par les médias

Cet article fait référence au chapitre 1 du mémoire de Master de Luc ODUNLAMI réalisé durant son Master II Droit et Institutions Judiciaires à l’Université d’Abomey-Calavi (2020/2021)

Introduction        –         Chapitre 2.     –     Chapitre 3.       –    Chapitre 4.

Titre du mémoire : La Présomption d’innocence à l’épreuve des médias

Introduction

La violation peut être comprise comme une atteinte caractérisée à une règle fondamentale ; c’est un acte illicite dont la gravité tient en général à la valeur primordiale de ce qui est violé[1]. En l’occurrence, il s’agit de la présomption d’innocence, principe cardinal de la procédure pénale, qui est permanemment remise en cause par les médias. 

Chapitre I : Les contours de la violation de la présomption d’innocence par les médias

Les médias constituent un canal favorable à violation de la présomption d’innocence. Ces atteintes à la présomption d’innocence au sein des médias ont des origines diverses qu’il convient d’appréhender (Section I) pour mieux comprendre leurs manifestations (Section II).

Section I : Les origines de la violation de la présomption d’innocence par les médias

La cohabitation malaisée du droit à l’information avec la présomption d’innocence (Paragraphe I) d’une part et la poursuite de finalités opposées entre les droits subjectifs en conflit (Paragraphe II) d’autre part, permettent de rendre compte des origines des atteintes à la présomption d’innocence par les médias.

Paragraphe 1 : La cohabitation malaisée du droit à l’information avec la présomption d’innocence

Qu’il s’agisse de la présomption d’innocence ou du droit à l’information, chacun dispose d’un fondement autonome (A) lui permettant d’asseoir sa légitimité. L’absence d’hiérarchie formelle entre les deux droits subjectifs (B) est la cause principale de la violation de la présomption d’innocence par les médias.

A- L’autonomie des deux droits subjectifs

La présomption d’innocence et le droit à l’information disposent d’une autonomie juridique qui leur permet d’asseoir leur légitimité. La présomption d’innocence est reconnue dans bon nombre de textes.

L’article 7 de la Charte africaine dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : […]b) le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ». L’idée est reprise par l’article 17 de la constitution béninoise du 11 décembre 1990 : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées ».

Le principe sera finalement intégré dans les principes généraux de la procédure pénale tels que définis par la loi n° 2012-15 du 18 mars 2013 portant code de procédure pénale en République du Bénin modifiée et complétée par la loi n°2018-14 du 02 Juillet 2018 : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes à la présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».

Ces textes africains et nationaux ont été inspirés, par l’article 14 § 2 du Pacte international : « Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que saculpabilité ait été légalement établie » et l’article 6 § 2 de la Convention européenne : « Toutepersonne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait étélégalement établie ». Il en est de même de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

En conséquence, la présomption d’innocence est de loin, l’un des droits les plus proclamés par les instruments internationaux, régionaux et par les textes nationaux, qu’ils soient constitutionnels ou législatifs.

Le droit à l’information issu de la liberté d’expression est également reconnu au plan international et national.

Au plan international, la reconnaissance de la liberté d’expression commence avec la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui en son article 11 dispose : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ».

La Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, au lendemain de la deuxième guerre mondiale a proclamé que « Toute personne a droit à la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière »[1].

L’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme s’inscrit dans la même logique. Il dispose, en effet, que : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété par ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Le pacte international relatif aux droits civils et politique précise que le droit à la liberté d’expression comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce.

Au plan interne, la constitution béninoise de 1990 en son article 23 reconnait le droit de toute personne à la liberté d’expression. Cette position est confortée par l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui reconnaît que toute personne a droit à l’information, d’exprimer et de diffuser ses propos.

Par ailleurs, l’article 1er de la loi organique relative à la HAAC[2], l’article

6 alinéas 1[3] et, l’article 7 en son alinéa 1er [4] du code de l’information et de la communication en République du Bénin reconnaissent également le droit à l’information.

Si la présomption d’innocence et le droit à l’information disposent d’une autonomie juridique, la question de leur hiérarchisation demeure.

[1] Article 10 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme adoptée le 04 novembre 1950 et entrée en vigueur le 03 Septembre 1953.

[2] Article 1er de la loi organique du 21 août 1992 relative à la HAAC : « Nul ne peut être empêché, ni interdit d’accès aux sources d’information, ni inquiété de quelque façon dans l’exercice régulier de sa mission de communicateur ».

[3] Article 6 de la loi n° 2015-07 portant code de l’information et de la communication en République du Bénin : « La liberté de parler et d’écrire, d’imprimer et de publier, de lire et de recevoir des informations, des idées, des pensées et opinions de son choix est garantie en République du Bénin ».

[4] Article 7 de la loi n° 2015-07 portant code de l’information et de la communication en République du Bénin : « Toute personne a droit à l’information ».

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B- L’absence d’hiérarchie formelle entre les deux droits subjectifs

La présomption d’innocence et le droit à l’information des médias constituent l’une et l’autre, un droit fondamental de la personne humaine.

En effet, le droit à l’information est envisagé comme un droit fondamental.  Il est pour certains, une sorte de prolongement ou un synonyme de la liberté de presse ou de la liberté d’expression. C’est ainsi qu’il est reconnu et garanti par l’article 24 de la constitution[1]. Toutefois, s’il est aisé de convenir que la liberté d’expression est un principe caractéristique de tout Etat démocratique, la question de l’existence d’une primauté de rang formel, c’est-à-dire juridiquement contraignante en faveur de la liberté d’expression, reste controversée.

 

Dans une approche comparative, il est impossible tant dans les systèmes juridiques américains que dans le système juridique Européen de faire valoir que la liberté d’expression bénéficie d’une quelconque primauté de rang formel au sein des normes constitutionnelles[2].

Aux Etats-Unis, le qualificatif de « droit premier » ou de « droit de première importance » (primary right) pour caractériser  la liberté d’expression  ne constitue pas vraiment une surprise[3]. Certains juges de la Cour suprême n’ont pas d’ailleurs hésité à évoquer la « position privilégiée » de la liberté d’expression au sein du Bill of Rights. Le juge Stone a notamment déclaré que : « Le Premier amendement ne se confine pas à protéger la liberté d’expression et la liberté de religion, de volontés discriminatoires qui veulent les anéantir. Au contraire, la Constitution, par la vertu du Premier et Quatorzième amendement, a placé ces libertés dans une position privilégiée »[4]. C’est le juge Frankfurter qui se chargea en 1949 de critiquer férocement l’appel fait à cette notion de « position privilégiée »[5].

En effet, selon ce dernier, aucune majorité de la Cour suprême n’a jamais établi que la liberté d’expression bénéficiait d’un régime d’exception et que la formule de la « position privilégiée » reflète imparfaitement la position du juge Holmes, à l’origine de cette lignée jurisprudentielle. Pour le juge Holmes, la garantie de la liberté d’expression était, en effet, essentielle à la préservation d’une société qui se voulait démocratique et, à ce titre, elle justifiait une attention particulière de la part de la Cour, c’est-à-dire un contrôle strict des ingérences publiques. 

Quant à la théorie selon laquelle la liberté d’expression se trouverait au sommet des « valeurs fondamentales » de l’ordre constitutionnel en fonction de ses exigences, elle n’a pas eu plus de succès.

Cette volonté de faire bénéficier la liberté d’expression d’une certaine primauté se retrouve dans les jurisprudences européennes. Ainsi, la liberté d’expression a pu être qualifiée de « liberté de premier rang »[6], après que le Conseil Constitutionnel l’a consacrée comme une liberté fondamentale d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale ».

Le caractère de liberté « supérieure » se justifie généralement par la dimension politique et sociale de la liberté d’expression, c’est-à-dire l’importance de ce droit dans un système démocratique. Or, la liberté d’expression constituant l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun, elle ne peut donc occuper qu’une place éminente au sein d’une telle société.

Cependant, cette place éminente ne doit pas être source d’illusions car, d’un point de vue juridique, la liberté d’expression n’est pas une liberté supérieure. En droit, on ne saurait affirmer que cette liberté, que ce soit au sein des droits fondamentaux ou au sein de l’ensemble des normes constitutionnelles, bénéficie d’une quelconque primauté. 

La liberté d’expression est, si l’on ose dire, un droit aussi fondamental que les autres droits fondamentaux. Certes, la jurisprudence peut les proclamer avec force. Toutefois, il n’existe pas de hiérarchie formelle entre les droits fondamentaux[7].

 

La présomption d’innocence en ce qui la concerne constitue un droit fondamental, un principe général essentiel de la procédure pénale participant de l’exigence d’un procès équitable exigé par l’article 6 § 2 de la convention européenne des droits de l’Homme. La Cour de cassation française l’a élevée au rang de principe général du droit[8] puis de droit fondamental, après qu’elle a clairement rappelé, dans un arrêt du 12 Juin 1913 que les inculpés sont présumés innocents[9]. Elle constitue un principe « cardinal de la procédure pénale dans un Etat de droit »[10].

 En droit positif béninois, le droit à la présomption d’innocence est reconnu par la constitution béninoise du 11 décembre 1990 en son article 17 :

« Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées ».

La présomption a deux origines possibles : elle peut émaner du juge

(présomption de l’homme) ou de la loi (présomption légale).

Appliqué à l’innocence, c’est-à-dire à « l’état de celui qui n’est pas coupable d’une faute déterminée », le jeu de la présomption prend une dimension décisive. En effet, présumer l’individu innocent constitue un principe qui irradie tout le droit pénal, tant dans sa dimension substantielle que processuelle. En vertu de ce principe, toute personne poursuivie est présumée innocente tant qu’elle n’a pas été déclarée définitivement coupable et il appartient à la partie poursuivante d’apporter la preuve de sa culpabilité.

La présomption d’innocence signifie donc que toute personne mise en cause pour une action ou une omission reprochable, ne peut être sanctionnée tant que sa culpabilité n’a pas été dûment établie.

 Autrement dit, une personne, même suspectée de la commission d’une infraction pénale la plus grave, ne peut être considérée comme coupable lors d’une procédure d’instruction pénale et avant d’en avoir été déclaré comme tel par des juges de façon définitive.

Néanmoins, en raison de ce que la présomption d’innocence est une présomption simple, c’est-à-dire, susceptible de preuve contraire, on peut affirmer que la présomption d’innocence est un droit fondamental qui n’est pas absolu mais limité.

Il apparaît que la présomption d’innocence n’est pas irréfragable, elle est susceptible de preuve contraire. De ce fait, la question de l’absence d’hiérarchie formelle entre la liberté d’expression et la présomption d’innocence demeure.

Dans la mesure où il n’est pas aisé de procéder à une hiérarchisation formelle entre ces deux droits fondamentaux, il appartient aux pouvoirs publics, sous le contrôle du juge, de concilier les normes en conflit et de garantir ainsi un juste équilibre entre la liberté d’expression et la présomption d’innocence.

Si les deux droits subjectifs en conflit se distinguent par une autonomie juridique et l’absence d’hiérarchie formelle entre eux, la cohabitation malaisée qu’ils entretiennent se remarque davantage au niveau des finalités qu’ils poursuivent dans leur mise en application.

 

[1] L’article 24 de la constitution dispose que « La liberté de la presse est reconnue et garantie par l’Etat. Elle est protégée par la Haute autorité de l’Audiovisuel et de la Communication dans les conditions fixées par une loi organique ».

[2] BEIGNIER (B.), DE LAMY (B.), DREYER (E.), Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis Litec, page 104.

[3] KENTRIDGE (S.), « Freedom of speech: is it the primary right? », Int. Comp. Law. Quart, 1996, p.253.

[4] Jones v. Opelika, 316 US 584(1942), opinion dissidente, p.608.

[5] SCOFFONI (G.), « Rapport Etats-Unis, Table ronde : Révision de la constitution et justice constitutionnelle », AIJC 1994, p.97.

[6] FAVOREU (L.), « Les libertés protégées par le Conseil Constitutionnel », in D. Rousseau et F. Sudre, Conseil Constitutionnel, Cour européenne des droits de l’homme, STH, 1990, p.33.

[7] BEIGNIER (Bernard), DE LAMY (Bertrand), DREYER (Emmanuel), op.cit., page 107.

[8] Cass. 17 Septembre 2003.

[9] Cass., 12 Juin 1913, Pas., 1913, I, p.322.

[10] BADINTER (R.), « La présomption d’innocence, histoire et modernité », Mélanges P.

CATALA, Paris, Litec, 2001, pp. 133-144, spéc. P 143.

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Paragraphe 2 : La poursuite de finalités opposées entre les droits en conflit

Les relations entre la justice et la presse ne vont pas sans susciter des difficultés dans la mesure où elles mettent souvent en conflit deux valeurs fondamentales que sont le droit à la liberté d’expression et le droit à la présomption d’innocence, deux droits aux finalités opposées.

A- Les finalités du droit à l’information

Le droit à l’information se présente comme un droit garant de la liberté d’expression. Il vise aussi à satisfaire le public qui est à la quête de l’information.

Pour Charles PONCE, « la liberté de l’information est à l’opinion publique et à la liberté d’expression ce que l’eau est au moulin »[1]. La liberté d’information constitue l’un des fondements essentiels de toute société démocratique et l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Elle vaut non seulement pour les informations accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi, le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est de société démocratique.

Le droit à l’information est ainsi l’oxygène de la démocratie.

Les journalistes décrivent la société. Ils transmettent l’information, les idées et les opinions. Ils cherchent, questionnent, notent, révèlent, commentent, et divertissent. Ils informent aussi les citoyens et animent la démocratie. Ils donnent ainsi une forme pratique à la liberté d’expression. Dans ce sillage, la presse a le droit de diffuser des informations et le public d’en recevoir.  

Le droit à l’information autorise la publicité. En 1822, J. Bentham affirmait que : « La publicité est l’âme véritable de la justice. Elle est l’aiguillon le plus pointu de l’action, la sauvegarde la plus sûre contre l’inconvenance. Elle assure que le juge lui-même, en jugeant est jugé[2].  La publicité qui passe par les médias est nécessaire pour garantir la qualité de la justice, sa légitimité démocratique et constitue le meilleur moyen d’éduquer le public.

L’objectif de transparence affiché par les médias conduit à anticiper sur le déroulement du procès. Ainsi, les relations conflictuelles entre les médias et la justice proviennent de ce qu’elles mettent en œuvre des logiques opposées.

[1] PONCE (C.), « La liberté d’information du journaliste : un droit fondamental ? », Etudes de droits suisse et comparé, Revue Internationale de Droit comparé, 1980, p.732.

[2] D’ORCIVAL (F.), « Justice et médias, personne n’est innocent », REVUE DES DEUX MONDES SEPTEMBRE 1998, page 2.

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B- Les finalités de la présomption d’innocence

A l’opposé du droit à l’information, la présomption d’innocence se présente comme un droit prônant la discrétion de son bénéficiaire.

En effet, le droit à la présomption d’innocence a diverses incidences en matière de procédure pénale. Elle assure la sérénité des audiences et exige l’impartialité du tribunal dès lors que ce n’est qu’au terme des débats que les magistrats peuvent se forger une opinion quant à la culpabilité du prévenu qui a comparu devant eux[1]. Elle interdit de présumer le prévenu coupable avant son jugement[2]. Elle participe du respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Elle favorise également le respect de l’honneur de la personne poursuivie.

Le prévenu étant présumé innocent, la charge de la preuve appartient à celui qui souhaite renverser cette présomption, c’est-à-dire à la partie poursuivante et à la partie civile. De ce fait, le prévenu peut garder le silence et ne peut jamais être obligé de collaborer à l’administration de la preuve.

Enfin, la dernière incidence concerne la vérité judiciaire et le caractère définitif du constat de culpabilité du prévenu. Ce dernier ne peut être considéré comme coupable d’une infraction que lorsque la décision judiciaire qui le condamne est passée en force de chose jugée. La présomption d’innocence participe, en outre, aux droits de la défense ainsi qu’à la garantie d’un procès équitable. Le principe de la présomption d’innocence apparaît ainsi comme une règle probatoire qui conforte la position du prévenu confronté aux organes de poursuite. 

Elle garantit à toute personne accusée d’une infraction qu’elle est présumée innocente, jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie[3]. Elle suppose que les autorités instruisent à charge et à décharge, qu’elles ne présentent pas publiquement le suspect comme coupable d’une infraction et que les membres du tribunal ne partent pas de l’idée préconçue que le prévenu a commis l’acte incriminé.

De ce fait, la présomption d’innocence a pour corollaire, le bénéfice du doute. Cette règle qui n’était consacrée par aucune disposition légale, ne constituait qu’une maxime[4] avant d’être élevée au rang de principe général de droit[5].

Par ailleurs, la présomption d’innocence est un droit subjectif qui tend à la préservation de l’honneur de la personne poursuivie. En effet, la présomption d’innocence est l’expression d’un droit subjectif accordé à toute personne soit qu’elle soit accusée, soit même qu’elle ne fasse pas encore l’objet d’accusation. 

La présomption d’innocence garantit ainsi la dignité humaine : « quelle que soit la gravité, voire la barbarie de son acte, l’auteur appréhendé et stigmatisé comme délinquant par l’appareil répressif bénéficie de facto d’un statut protecteur : la présomption d’innocence qui lui garantit en principe l’honorabilité jusqu’à la preuve du contraire et il pourra faire valoir ses droits par l’assistance systématique d’un défenseur »[6].

Ce droit subjectif s’impose à tout particulier, à toute autorité publique et judiciaire ainsi qu’aux médias.

 

 

Mais dans la pratique, bien qu’elle soit protégée par un arsenal juridique considérable, la présomption d’innocence n’est pas respectée. Le présumé innocent subit les affres des pré-jugements de l’opinion publique, du zèle informatif des médias. Dans l’exercice quotidien de leurs attributions, les médias violent permanemment le droit à la présomption d’innocence. A cet effet, il n’est pas superflu de s’intéresser aux manifestations de la violation de la présomption d’innocence au sein des médias.

[1] KUTY (F.), L’impartialité du juge en procédure pénale. De la confiance décrétée à la confiance justifiée, Bruxelles ; Larcier ; 2005, spéci pp.135-136.

[2] CEDH, arrêt Schenk c. Suisse du 12 Juillet 1998 rendu en séance plénière à l’unanimité.

[3] Cass., 20 Juillet 1999, Pas., 1999, I, p. 1044.

[4] In dubio pro reo.

[5] Cass., 2 Octobre 1973, Pas. 1974, I, p.112.

[6] DORVAUX (G.,) « Dignité de la victime et du délinquant : l’apport de la loi du 8 février 1995 », Mélanges Ch.BOLZE, Paris Economica, 1999, pp 397-408, spéc.p.398.

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Section II : Les manifestations de la violation de la présomption d’innocence par les médias

La présomption d’innocence semble de plus en plus inexistante pour les personnes soupçonnées de la commission d’une infraction au sein des médias.

Cette situation est tout à fait inquiétante. Ainsi, il est important de s’intéresser aux manifestations de la violation de la présomption d’innocence par les médias. A la vérité, la violation de la présomption d’innocence par les médias se manifeste principalement par l’exercice abusif du droit à l’information (Paragraphe 1).  Face à ces abus, des restrictions à l’exercice du droit à l’information s’imposent (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’exercice abusif du droit à l’information

En vertu du droit à l’information, les médias disposent du droit d’informer le public sur des questions d’intérêt général. Ce droit s’étend à la couverture des affaires judiciaires. Toutefois, face aux abus observés, des restrictions d’ordre légal et jurisprudentiel ont été mises en place.

A- Le rôle classique des médias dans les procédures judiciaires

Les médias disposent du droit d’informer le public sur les questions d’intérêt général y compris les affaires judiciaires.  

En effet, le droit à l’information prend racine dans la reconnaissance de l’intérêt légitime du public à être informé. Au Bénin, il est consacré par l’article 6 du code de l’information qui garantit la liberté de parler et d’écrire, d’imprimer et de publier, de lire et de recevoir des informations, des idées, des pensées et opinions de son choix.

La fonction première de la presse est de livrer à la population une information exacte, rigoureuse, complète sur toute question d’intérêt public. Il est difficile de définir la notion d’intérêt public. Cette notion n’est pas statique mais en constante mouvance. Elle demeure générale et n’a de sens que si elle est appliquée à une société et à une époque donnée. Néanmoins, il est possible de prétendre que la notion d’intérêt public en information s’étend à tout ce qui est nécessaire au citoyen pour qu’il participe pleinement à la vie en société.

Ainsi, assurer une bonne information du citoyen est une nécessité fondamentale dans toute société démocratique. C’est en effet, par une juste information que celui-ci prend conscience non seulement de ses responsabilités au sein du corps social mais également des éléments qui peuvent déterminer ses choix dans le cadre de la participation à la vie démocratique de son pays.

Investi d’une véritable mission de service public, le journaliste est particulièrement protégé. Le droit à l’information du journaliste va de sa liberté de rechercher des informations au droit du secret des sources journalistiques.

Le droit d’être informé comprend en effet le droit pour les médias et les journalistes de rechercher et de transmettre l’information sans entraves ni contraintes, et le droit du public d’y avoir accès en toute liberté.

Pour être effectif, ce droit du peuple à être informé nécessite que le journaliste bénéficie en premier lieu de la liberté de chercher les informations et donc de ne pas se contenter de ce qu’il reçoit. Et en second lieu, la liberté de diffuser ces informations, mises en forme pour qu’elles soient utiles à la compréhension de tous.  C’est l’article 7 du code de l’information qui reconnaît aux journalistes, l’accès aux informations publiques[1].

Le libre accès des médias et des journalistes à l’information et à leurs sources est une condition essentielle à l’existence d’une presse libre, à la satisfaction et au respect du droit du public à l’information. Les médias et les journalistes doivent alors être à l’abri de toute pratique ou intervention qui les empêche de s’acquitter de leur fonction dans la société. Cette indépendance et cette latitude leurs sont essentielles pour accomplir leurs tâches convenablement afin d’informer le public des faits, des événements et des questions d’intérêt public et de refléter le plus fidèlement possible les idées qui ont cours dans la société. Le libre accès de la presse à l’information est donc indispensable pour permettre aux citoyens de porter des jugements éclairés et pour favoriser un débat démocratique élargi et ouvert.

Ainsi, « nul, surtout un professionnel des médias, ne peut être empêché, ni interdit d’accès aux sources d’information, ni inquiété de quelque façon que ce soit dans l’exercice régulier de sa mission de communicateur »[2] s’il se conforme aux dispositions de la loi.

De manière générale, dès lors que le journaliste n’abuse pas de son droit d’informer les lecteurs, les téléspectateurs en n’assortissant pas ses propos d’un commentaire anticipant ses certitudes quant à l’issue de la procédure, il n’y a pas d’atteinte à la présomption d’innocence. Pendant un procès, les journalistes sont libres d’écrire sur les audiences judiciaires, tant que leurs articles sont considérés comme fidèles. Mais, dans la pratique, tel n’est malheureusement pas toujours le cas. C’est pourquoi, il convient de s’attarder sur les procédés d’atteinte à la présomption d’innocence par les médias.

[1] Article 7 de la loi n° 2015-07  portant code de l’information et de la communication  en République du Bénin: « Toute personne a droit à l’information.  L’Etat s’oblige, à travers ses différentes structures et institutions, à garantir à toute personne, l’accès aux sources d’informations notamment publiques.  Les services de l’Etat chargés de cette mission s’engagent par conséquent à fournir tout renseignement, à communiquer tout document et à veiller à faire constituer, au besoin, un dossier de presse à mettre à la disposition des professionnels sur tout sujet intéressant légitimement le public. ».

[2] Article 8 de la loi n° 2015-07  portant code de l’information  et de la communication  en République du Bénin.

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B- Les procédés d’atteinte à la présomption par les médias

D’après monsieur TRILLES OLIVIER : « La population surtout celle proche du lieu de l’infraction a un vrai besoin d’information. D’abord pour être rassurée. Ainsi, dans le cas d’un crime, les habitants veulent savoir si l’auteur du forfait est démasqué, s’il reste libre ou incarcéré afin d’aller et venir en toute quiétude. L’absence d’information créerait dans le cas d’espèce, une atmosphère de méfiance qui engendrerait ragot et suspicion.

D’ailleurs, l’absence de compte rendu sur une affaire en cours pousse le citoyen à suspecter une dissimulation orchestrée par les puissants, surtout lorsqu’il s’agit de malversations financières. Néanmoins, l’écueil de cette mission sacrée consisterait à justifier certaines dérives, ces fameux scoops lancés à la une des informations sous prétexte de dénoncer une affaire. Chacun veut tout savoir et tout connaître : s’informer sur le déroulement de l’instruction et se persuader que la justice reste libre et indépendante. Pour le public, la matière judiciaire lui paraît vivante, captivante, émotive, pleine de suspense et d’émotion. La presse et les médias se plaisent à alimenter ce goût de la découverte en livrant chaque jour un nouvel épisode[1] ».

Serge GUINCHARD qualifiait cette phase de la procédure pénale de « procès hors les murs »[2]. Dans la même logique, Emmanuel DERIEUX affirmait que « le plus souvent, à l’occasion de l’ouverture d’une enquête policière ou d’une instruction judiciaire, sinon grâce aux premiers résultats obtenus par elles que des informations relatives à des crimes et délits commencent à être diffusées par les moyens de communication »[3]. Le devoir d’information de la presse peut ainsi s’avérer inconciliable avec la discrétion qu’impose une enquête judiciaire.

Il apparaît ainsi que dans la course à l’audience, la presse en arrive à s’affranchir des principes de prudence les plus élémentaires et des règles les plus rudimentaires du procès équitable[4]. Etant donné qu’une infraction est un acte antisocial, elle suscite au sein de la population de par sa nature certaines réactions allant pour ou contre l’auteur de l’acte incriminé. Dans la plupart des cas, ces réactions déchaînent des passions amplifiées par la presse. Dès lors, le nom de la personne poursuivie est connu de tous, et dans les articles de presse, il est présenté comme coupable. Or, le respect de la présomption d’innocence induit que tant qu’une décision judiciaire définitive de condamnation n’intervient, la personne poursuivie doit être toujours présumée innocente.

Il est à noter qu’au niveau des médias, la recherche du sensationnel[5] et une certaine concurrence entre les diverses maisons de presse et d’édition aboutissent à une publicité intempestive et préjudiciable aux intérêts de la personne poursuivie. Le fait est exacerbé vis-à-vis d’auteurs de crimes jugés crapuleux ou visant des personnalités du monde politique et des finances.

Ainsi, « médias et justice ne font pas bon ménage. A la recherche du scoop et du sensationnalisme, une partie de la presse semble parfois prête à tout pour diffuser une information. Et lorsqu’un potentiel scandale concerne un homme politique ou une personnalité publique, l’appétit des médias semble encore plus important, pouvant aboutir à un réel lynchage médiatique condamnant sans nuance un individu. Pourtant, il devrait exister un garde-fou important : la présomption d’innocence »[6].  Cette tendance de la presse à livrer en pâture à l’opinion publique, les personnes poursuivies révèle un mépris singulier à la dignité humaine, aux droits de la défense.

Le recours au sensationnel, l’utilisation de titres accrocheurs souvent trompeurs visent à attirer et capter l’attention du lecteur ou des téléspectateurs. Il en est de même de l’absence de précaution prises par certains journalistes qui, au lieu de faire usage du mode conditionnel dans leurs propos ou écrits font parfois des affirmations non fondées. 

En outre, les termes utilisés pour désigner la personne mise en cause participe généralement à créer un climat de culpabilité. C’est ainsi qu’on entend régulièrement parler de l’ « assassin présumé », du « violeur présumé» plutôt que de parler d’un « suspect présumé innocent »[7]. Ce n’est plus l’innocence qui est présumée, mais la personne mise en cause qui est « présumé assassin » ou « présumé violeur ». 

Tous ces éléments constituent autant de procédés d’atteinte à la présomption d’innocence par les médias.

Face à cette violation de la présomption d’innocence par les médias, il faut noter que des restrictions d’ordre légal et jurisprudentiel sont apportées pour contrer les cas d’abus observés.

[1] TRILLES (O.), Essai sur le devenir de l’instruction préparatoire, Thèse de doctorat, Université de Toulouse, 2005, page 113.

[2] GUINCHARD (S.), « Les procès hors les murs », in Droit civil, linguistique juridique, Mélange en hommage à Gérard CORNU, PUF, 1994, p. 201 et s.

[3] DERIEUX (E.), Droit de la communication, manuel, 4ème édition, L.G.D.J, p.494.

[4] POIRMEUR (Y.),  « Médiatisation de la justice : la lente construction d’un fragile équilibre » in https://larevuedesmedias.ina.fr/mediatisationdelajusticelalenteconstructiondunfragileequilibre.

[5] Le sensationnalisme (appelé parfois journalisme jaune quand il concerne la presse) désigne l’exploitation systématique par une partie des médias du goût pour le sensationnel d’une partie du public, ce qui produit une forte impression de surprise, d’intérêt, d’admiration. Ces médias, pour des raisons d’audience usent de procédés dramatisant certains éléments sordides et/ ou spectaculaires pour attirer l’attention des spectateurs ou des lecteurs. Ce faisant, ces journalistes donnent à l’information plus de poids et de portée qu’elle n’en a réellement.

[6] CRUYSMANS (E.), « Médias et respect du principe de la présomption d’innocence : un mariage impossible ? », in www.justiceenligne.be.

[7] DEFFERAND (F.), Le suspect dans le procès pénal ; Paris, LGDJ, 2005, p. 49.

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Paragraphe 2 : Les restrictions nécessaire à l’exercice du droit à l’information par les médias

S’il y a une relation qui suscite de l’intrigue, c’est bien celle des médias et de la justice. De cette relation peut naître un conflit entre la liberté d’expression des médias et la présomption d’innocence. Il est bien connu que la liberté absolue nuit absolument. C’est pourquoi le législateur et la jurisprudence s’accordent pour poser des limites à l’exercice du droit à l’information des médias. Ces restrictions sont liées d’une part au respect des règles déontologiques (A) et d’autre part, aux restrictions d’accès à l’information liées aux droits de la défense (B).

A- Les restrictions liées au respect des règles déontologiques

Les médias et les professionnels des médias jouissent de la liberté de presse.  L’exercice de cette liberté implique une certaine responsabilité pour éviter toute anarchie. Autrement dit, la protection de la liberté de presse ne doit pas se transformer en une sorte de « protectionnisme » ou s’interpréter comme une recherche de « l’impunité ».

En effet, dans l’exercice de la liberté d’expression, « on peut informer, éduquer et même désinformer »[1]. Le journaliste exerce un droit, un pouvoir réel : il renseigne, oriente ses lecteurs sur les questions pouvant avoir un impact dans le public. C’est pourquoi, la presse a le devoir de communiquer dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, conformément au but constitutif de la mission qui lui est confiée. La presse a, en effet, le devoir de communiquer dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des idées sur toutes les questions d’intérêt général telles que les affaires judiciaires en cours.53

Ainsi, dans l’exercice de son droit d’informer, le journaliste est astreint au respect des lois et règlements de la République du Bénin et au code d’éthique et de déontologie de la presse béninoise[2].  

L’intégrité morale est la valeur par excellence du journaliste. Ainsi, plusieurs règles de déontologie encadrent la profession dont l’essentiel est résumé comme suit : « Le journaliste ne doit céder à aucune pression tendant à corrompre l’exactitude de l’information. Il ne publie que les informations dont l’origine, la véracité et l’exactitude sont établies et vérifiées. Le moindre doute l’oblige à s’abstenir de toute publication ou à émettre les réserves nécessaires dans les formes professionnelles requises. Le journaliste doit restituer les faits fidèlement et en toute honnêteté quoique cela puisse lui coûter personnellement.  Il ne doit altérer ou dénaturer aucune information, aucune image, aucune représentation ou aucune exposition. »[3]

De ce fait, pendant un procès, les journalistes sont libres d’écrire sur les audiences judiciaires, tant que leurs articles sont considérés comme fidèles. Il leur est interdit de faire des photos ou des enregistrements, de publier des images ou de diffuser les interventions faites pendant les audiences.

Assujettir les journalistes au respect de la présomption d’innocence équivaut certes à une restriction significative du droit à la liberté de la presse mais cela est rendu nécessaire en raison du respect des droits de la défense dont la présomption d’innocence.

En effet, la liberté d’expression doit être assurée dans des conditions saines d’exercice de la profession.  Ceci est, en effet, d’une extrême importance si l’on veut que cette liberté d’expression du journalisme ne porte pas atteinte à l’existence d’autres principes de même valeur constitutionnelle.

La liberté de l’information a pour corolaire, la responsabilité du journaliste. Liberté et responsabilité sont en effet indissociables. Au regard de la préservation de la présomption d’innocence des personnes poursuivies, elle ne peut être exercée de façon disproportionnée.  La préservation de la réputation des personnes présumées innocentes suppose de réprimer les excès qui peuvent apparaître lorsque les médias rendent compte de l’existence d’une enquête ou d’une instruction en cours. Tel est le cas lorsque sont publiées ou diffusées des images d’une personne menottée ou entravée, à la suite de son arrestation par les forces de l’ordre, ou lors de sa présentation devant l’autorité judiciaire.  Ce fut le cas dans l’affaire DSK dont la photo menottée avait fait le tour de la planète.

Or, la reproduction, l’exposition ou la présentation de l’image d’une personne portant des menottes ne saurait être faite et utilisée que pour illustrer la procédure judiciaire ou l’événement public au cours duquel la photographie a été prise et dans le moment et le temps que dure cette procédure judiciaire ou cet événement.[4]

L’exercice du droit à l’information implique que l’affaire présente une certaine gravité et un intérêt pour le public.

 

La violation du principe de la présomption d’innocence ne saurait donc trouver d’excuse dans le principe de la liberté d’information. Loin de nier la liberté d’expression et d’information, toute la question consiste à opérer le partage entre une légitime information du public, et l’excès de ceux qu’anime moins le souci de justice que le goût du scandale ou la volonté d’abattre un homme.

Face à cela, le journaliste a l’obligation de vérifier strictement l’authenticité de l’information, mener une enquête sérieuse, faire des investigations[5]. Ainsi, la liberté d’expression du journalisme a pour limites, le respect de la vie privée de l’individu, son honneur, sa considération sociale, professionnelle.

Les journalistes doivent aussi faire preuve d’un devoir particulier de réserve et de discrétion lorsqu’ils diffusent des informations sur les affaires judiciaires[6].

Si la présomption d’innocence ne peut aboutir à museler la presse, elle doit néanmoins avoir pour effet de rendre plus rigoureuses les exigences d’objectivité et d’impartialité qui s’imposent à ceux qui ont pour mission d’informer le public. Ce devoir de réserve et de prudence s’impose avec acuité encore lorsqu’une affaire est à la phase préparatoire de la procédure afin de ne pas mettre à mal la présomption d’innocence dont bénéficie tout suspect ou inculpé non encore jugé.  

Le contrôle du respect des règles déontologiques liées à la profession du journaliste est opéré en République du Bénin par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC)[7].   

Il apparaît ainsi, que l’exercice de la liberté d’information fait appel à des principes déontologiques rigoureux dont les règles d’application sont déterminées par chaque entreprise de presse[8]. Que l’exercice de la liberté d’expression puisse être limitée est inéluctable. A l’exception de certains droits intangibles[9], les droits fondamentaux sont tous susceptibles d’être limités dans leur exercice car la liberté consiste avant tout à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.

En dehors du respect des règles déontologiques, les droits de la défense justifient des restrictions d’accès à l’information aux médias.

[1] N’DOYE (D.), La liberté d’opinion et d’expression au Sénégal, Les éditions du CAFORD, p. 39. 53 CEDH, arrêt du Roy et Maularie c. France du 3 octobre 2000.

[2] Article 29 de la loi n°2015-07 portant code de l’information et de la communication. 

[3] Article 30 de la loi n°2015-07 portant code de l’information et de la communication.

[4] Article 55 de la loi n°2015-07 portant code de l’information et de la communication en République du Bénin.

[5] DREYER (E.), Responsabilités civile et pénale des médias, 2e éditions, LITEC, 2008, p.234.

[6] Civ. Bruxelles, 16 décembre 2003, J.L.M.B, 2004, p. 793.

[7] Article 11 la loi n°2015-07 portant code de l’information et de la communication en République du Bénin: « La Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication a pour rôle de protéger et de promouvoir la liberté de presse et de communication. Elle veille au respect de la déontologie en matière d’information et à l’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication. ».

[8] Il revient aux responsables de presse de faire respecter cette déontologie, en surveillant et en vérifiant tout ce qui est inséré dans une publication. Ils doivent veiller à la formation des journalistes car le professionnalisme y oblige.

[9] Ces droits sont dits « intangibles » dans la mesure où ils ne peuvent faire l’objet d’aucune mesure dérogatoire. Constituant le « noyau dur » des droits fondamentaux, ils exigent une protection absolue. Parmi ces droits intangibles, citons le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou encore le droit de ne pas être tenu ni en esclavage ni en servitude.

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B- Les restrictions d’accès à l’information liées aux droits de la défense

La diffusion d’informations sur des affaires judiciaires en cours d’enquête, d’instruction ou de jugement ne peut être sans limites, eu égard aux enjeux pour les parties et au droit pour la défense à bénéficier de la présomption d’innocence et d’un procès équitable

 Depuis l’arrêt Allenet de Ribermont c/ France rendu le 10 février 1995, il est de jurisprudence constante que les Etats sont débiteurs d’une obligation active de protection du droit de chacun à la présomption d’innocence qui trouve à s’appliquer au sein de la procédure comme en dehors de celle-ci, dans les médias notamment[1]

Dans l’affaire Worm63, la cour retient principalement le fait que les propos litigieux eurent comme effet d’affecter les chances de la personne visée de bénéficier d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la

Convention, et qu’ils furent de nature à violer sa présomption d’innocence[2].

Ainsi, en prenant en compte la notoriété nationale de la personne en cours de jugement ainsi que l’intérêt des citoyens quant à cette affaire, la Cour pose la limite que « comme tout un chacun, les personnalités connues sont en droit de bénéficier d’un procès équitable tel que garanti à l’article 6, ce qui, en matière pénale, comprend le droit à un tribunal impartial. Les journalistes doivent s’en souvenir, lorsqu’ils rédigent des articles sur des procédures pénales en cours, car les limites du commentaire admissible ne peuvent pas englober des déclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les chances d’une personne de bénéficier d’un procès équitable ». La cour condamne ainsi le fait que le requérant ait manifestement souhaité convaincre le lecteur allant dans le sens du droit protégé par l’article 6 § 1 de la Convention. Elle conclut ainsi son arrêt : « L’intérêt du requérant et celui du public à communiquer et recevoir ses idées au sujet d’une question d’intérêt général dont les tribunaux avaient à connaître n’étaient pas de nature à l’emporter sur les considérations invoquées par la Cour d’appel de Vienne quant aux conséquences néfastes d’une diffusion de l’article incriminé sur l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire en Autriche ».

 

Les journalistes rédacteurs de chroniques judiciaires deviennent alors débiteurs d’une obligation renforcée de respect de l’article 6 § 1, dans un objectif de protection d’un droit subjectif, mais aussi afin de ne pas saper la confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux dans l’administration de la justice pénale. Il faut enfin noter que la cour s’applique à évaluer de manière concrète l’impact potentiel de la diffusion de telle information sur la procédure elle-même, et notamment sur les magistrats en cas de crime.

Une fois l’accent mis sur les obstacles au respect de la présomption d’innocence par les médias, il convient de se prononcer sur les conséquences de la violation de la présomption d’innocence par les médias.

[1] Ch., 10 février 1995, Allenet de Ribermont c/ France, § 38 : « La liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention, comprend celle de recevoir ou de communiquer des informations. L’article 6 § 1 ne saurait donc empêcher les autorités de renseigner le public sur des enquêtes pénales en cours, mais il requiert qu’elles le fassent avec toute la discrétion et toute la réserve que commande le respect de la présomption d’innocence.» 63 Worm c/ Autriche.

[2] En l’espèce, le requérant était un journaliste travaillant dans une revue politique et ayant longtemps enquêté sur les affaires liées à M. Hannes Androsch, ancien vice-chancelier et ministre des Finances, mis en cause dans plusieurs procédures pénales. Il fit alors paraître un long article de chronique judiciaire sur une instance en cours, qui lui a valu une inculpation pour influence abusive sur une procédure pénale en cours et une condamnation en appel. La Cour européenne confirma ce verdict en relaxant l’autrichien, et fit ainsi preuve d’une analyse relativement stricte.

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Pour rappel, l’article présente uniquement le chapitre 1 du mémoire. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à vous adresser directement auprès de l’auteur.

Introduction        –         Chapitre 2.     –     Chapitre 3.       –    Chapitre 4.

 

Luc ODUNLAMI

Luc ODUNLAMI

Les communications au public en ligne, par l’entremise du réseau internet, n’ont eu de cesse d’accroître la médiatisation des affaires pénales. De nos jours, une certaine forme de journalisme dite « d’investigation » dicte sa loi, parallèle à celle qui s’applique dans les tribunaux. Les médias s’emparent de toute affaire naissante ou à naître. C’est leur métier, c’est vrai.

Mais en publiant chaque jour, à leur gré, sans autre contrôle que celui de leur conscience, des informations sur l’enquête puis sur l’instruction dont on se demande de qui elles émanent, par quel canal – officiel ou officieux – elles sont parvenues à leur connaissance, ils mettent à l’épreuve le principe de la présomption d’innocence.


La présomption d’innocence à l’épreuve des médias, un sujet qui demeure d’actualité.

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