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Présomption d’innocence : à l’épreuve des médias

Cet article fait référence à l’introduction du mémoire de Master de Luc ODUNLAMI réalisé durant son Master II Droit et Institutions Judiciaires à l’Université d’Abomey-Calavi (2020/2021)

Chapitre 1.        –         Chapitre 2.     –     Chapitre 3.       –    Chapitre 4.

Titre du mémoire : La Présomption d’innocence à l’épreuve des médias

La présomption d'innocence à l'épreuve des médias - Introduction

« Un homme ne peut être considéré comme coupable avant la sentence du juge et la société ne peut lui retirer la protection publique qu’après avoir été convaincue de la violation des conditions auxquelles elle lui avait été accordée (…) car si le délit est incertain, n’est-il pas affreux de tourmenter un innocent »[1] ?

Cette interrogation de Cesare BECCARIA se comprend aisément dans le contexte de ce sujet, si l’on considère que « le métier de journaliste n’est pas d’être juge avant le juge, ni juge après le juge, ni juge à la place du juge »[2].

Pourtant, avec la prolifération et la modernisation des moyens de communication par voie écrite ou audiovisuelle, la médiatisation est devenue plus forte, l’information tellement diffusée et rediffusée, que la personne soupçonnée ne s’en relève jamais, marquée qu’elle est à vie du sceau de l’infamie.

Plus grave, après des mois de procédure, lorsqu’arrive le non-lieu, les médias qui ont seriné à quel point elle était coupable ne se pressent pas de clamer son innocence, ne serait-ce que pour rétablir son honneur. Une situation à l’évidence totalement injuste[3] qui remet en cause la valeur de la présomption d’innocence.

Le thème objet de la présente étude est intitulé : La présomption d’innocence à l’épreuve des médias. Mais avant d’en venir au fond, une définition des mots clés du sujet, apparaît nécessaire.

D’après le lexique des termes juridiques[4], la présomption d’innocence est « le principe selon lequel, en matière pénale, toute personne poursuivie est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés, tant qu’elle n’a pas été déclarée coupable par un jugement irrévocable de la juridiction compétente.

Inscrite dans la plupart des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme et dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et ayant à ce titre valeur constitutionnelle, cette présomption a notamment pour effet de faire bénéficier du doute à la personne concernée ».

Le Vocabulaire Juridique[5] va plus loin en présentant la présomption d’innocence comme « un préjugé en faveur de la non-culpabilité ; règle fondamentale gouvernant la charge de la preuve, en vertu de laquelle toute personne est, a priori, supposée ne pas l’avoir commise, et ce, aussi longtemps que sa culpabilité n’est pas reconnue par un jugement irrévocable, principe qui implique qu’elle doit être acquittée au bénéfice du doute par la juridiction de jugement si sa culpabilité n’est pas démontrée, et que, pendant l’instruction même, elle doit être tenue pour non coupable et respectée comme telle, les « indices laissant présumer qu’elle a participé, comme auteur ou complice aux faits » dont le juge d’instruction est saisi justifiant seulement sa mise en examen, et la recherche, par la justice qui en a la charge, des preuves contraires à la présomption  légale d’innocence ». 

Les médias (presse, radio, télévision, cinéma, disque, affiche, supports multimédias, communication au public en ligne) sont les « moyens de communication de masse » par lesquels sont diffusés, au public, les messages et les contenus, de toutes natures, indispensables à la vie sociale[6].     

Il n’est pas question, à l’évidence, d’instruire ici contre quiconque un quelconque procès en sorcellerie, mais de tenter de conjurer le risque grave que court tout individu suspecté seulement d’avoir commis tel ou tel acte répréhensible : celui, avant toute preuve de culpabilité d’apparaître à l’opinion publique comme un déjà-coupable, puisque son nom est donné par les médias et les griefs articulés contre lui largement diffusés, voire commentés. 

Etudier ce thème, revient à apprécier l’impact des médias sur les affaires judiciaires et particulièrement sur l’un des principes fondamentaux du procès pénal qu’est la présomption d’innocence.

Historiquement, la presse moderne ne remonte pas au désir d’informer, d’éduquer et de distraire le public[7]. S’il est vrai aujourd’hui que le droit des médias peut s’entendre, en partie, de l’ensemble des droits et devoirs du journaliste, la presse est conçue comme à la fois le support et le contenu de l’information relatée par le journaliste. La presse et son droit trouve leur origine dans la naissance et le développement du procédé d’imprimerie.

La communication ou échange d’informations, notamment par le biais des médias, a pris une ampleur considérable avec la mondialisation et surtout la technologie numérique[8]. Le développement de vastes conglomérats de médias professionnels qui s’est accéléré tout au long du XXe siècle n’a cessé de susciter des inquiétudes et d’encourager l’avènement d’une production alternative d’information, qui se voulait en opposition, ou en marge, de ce qui était diffusé par les médias dominants.

L’histoire des médias modernes comme la presse écrite, le cinéma, la radio et la télévision, est donc inséparable de celle des critiques qui l’ont accompagné en cherchant à produire d’autres manières de raconter le monde[9].

 Au Bénin, pendant des décennies, les systèmes politiques ont souvent été caractérisés par la toute-puissance de l’Etat sur les rares médias qui existaient[10]. Il aura fallu l’historique Conférence des forces vives de la Nation, tenue en février 1990 pour ouvrir la voie à une démocratie pluraliste et libérale concédant aux citoyens le droit à l’information et surtout la liberté de presse. Tel que prévu au cours de la Conférence nationale, l’Etat reconnaît aux particuliers le droit de créer des organes de presse et d’exercer au même titre que les organes publics. La conséquence immédiate de cet acte aura été la création de multiples journaux et chaînes de télévision privés.

La présomption d’innocence, en ce qui la concerne, était ignorée de l’ancien droit qui, entre l’acquittement et la condamnation, connaissait des solutions intermédiaires : l’absolution, la mise hors de cause, le plus amplement informé, qui n’avaient pas la valeur morale d’un acquittement, ni ses conséquences juridiques[11].

Mais, préparée par le mouvement d’idées des philosophes au XVIIIe siècle, la présomption d’innocence a été exprimée avec force dans l’article 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen du 27 août 1789 en une formule célèbre qui lie étroitement l’innocence présumée et la protection de la liberté individuelle au cours du procès pénal[12].

L’article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée par les Nations Unies en 1948, l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (1950) et l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de New York (1966) réaffirment la même règle in dubio pro reo.

Selon BOLLE, l’histoire de la présomption d’innocence remonterait à l’apparition de la notion de procès pénal.[13] Pour lui, « le droit romain l’avait déjà consacré, sous les termes bien ambigus d’in dubio pro reo. » Cette origine latine a conduit tout naturellement le Siècle des lumières, à coucher le principe dans la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen puis, au XX ème siècle, dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (art. 11) et à l’article 6§ 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Tel ne semble cependant pas être l’avis de Christine LAZERGES. Après avoir logé le principe dans l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, celle-ci déclare que « cet article est directement issu du traité des délits et des peines de Cesare BECCARIA »[14] qui l’avait affirmé dès 1764. 

Quelle que soit son origine, on retiendra que le principe a acquis une noblesse universelle et devient une garantie fondamentale de protection des droits humains, même si, progressivement, et de manière plus accentuée, son domaine se réduit sous le prétexte de la lutte contre l’insécurité[15].

En doctrine, la question du respect du principe de la présomption d’innocence par les médias a fait l’objet de nombreux débats. Si Jacques ENGLEBERT estime que la présomption d’innocence n’est pas applicable aux médias qui poursuivent un but diamétralement opposé[16], cette opinion n’est pas partagée par Serge GUINCHARD[17] et Emmanuel DERIEUX[18] qui estiment que le respect de la présomption d’innocence s’impose aux médias.

Pour Serge GUINCHARD en effet, le droit d’informer ne justifie par tout et n’importe quoi. De ce fait, la présomption d’innocence en ce qu’elle constitue un droit fondamental, le présumé innocent va pouvoir l’opposer à tout le monde.

D’abord, à tous les pouvoirs étatiques, notamment à son interlocuteur naturel, le juge, lorsqu’il manifeste à son égard un préjugé. Ensuite, à toutes les personnes ou institutions, privées ou non, enfin à un interlocuteur désormais incontournable dont les images ou les mots sont parfois meurtriers : les médias. 

Telle est la position partagée par le législateur béninois qui impose le respect de la présomption d’innocence aux médias. Dans sa volonté affichée de promouvoir et de garantir les droits fondamentaux de la personne et des libertés individuelles, la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, modifiée par la loi n° 2019-40 du 07 Novembre 2019, a admis la règle en son article 17.

Cette garantie constitutionnelle de la présomption d’innocence n’est pas toujours préservée par le journaliste qui relate les faits sans prendre toutes les précautions nécessaires. A titre de précaution, on peut évoquer le recours à la nuance et à la subtilité et surtout l’emploi du mode conditionnel au lieu de l’infinitif. Ne pas le faire risque d’accabler l’information judiciaire et de constituer une pression sur le bon déroulement de la justice.

Par exemple, si un magistrat ne saurait s’adresser à l’accusé en matière pénale en laissant déjà entendre qu’il est coupable, que dire des mots des journalistes encore plus redoutables en raison de la large diffusion qu’ils connaissent, des mots dont sont victimes certains présumés innocents, condamnés avant même d’être jugés, dans de véritables prétoires parallèles ?

La réponse n’est pas aisée, car on se trouve là au cœur de l’affrontement de deux droits également fondamentaux traduisant des aspirations quasi antinomiques : d’un côté, la présomption d’innocence qui postule le droit à la discrétion de son titulaire ; de l’autre, la liberté d’expression et d’information du journaliste qui satisfait le droit de savoir du public.

Si l’on à présent à l’esprit que le procès pénal, dès ses premiers instants, est tout entier gouverné par le droit de la preuve, on comprend l’enjeu du respect la présomption d’innocence.

Dès lors se pose la question de savoir : quel est le sort réservé à la présomption d’innocence par les médias dans le traitement des informations ?

L’objectif de ce sujet est d’analyser l’influence des médias sur la présomption d’innocence, en proposant des mesures visant à sanctionner la violation de ce principe par les médias.

Le sujet revêt un intérêt, théorique et pratique. Au plan théorique, les relations entre la justice et la presse ne vont pas sans susciter des difficultés dans la mesure où elles mettent souvent en conflit deux valeurs fondamentales que sont la liberté d’expression qui a pour corollaire le droit à l’information des médias et la présomption d’innocence.

Il est question de rechercher le point d’équilibre, au regard des circonstances concrètes d’une affaire pénale, entre l’intérêt légitime du public à être informé et l’intérêt de la personne soupçonnée d’une infraction à la préservation de sa présomption d’innocence. 

Au plan pratique, la présomption d’innocence est souvent malmenée par les médias. Ce travail pourrait permettre aux médias d’intégrer davantage la présomption d’innocence dans le traitement des informations judiciaires et au législateur de prendre des dispositions visant à renforcer la protection de la

présomption d’innocence.

Les relations parfois conflictuelles, entre les médias et la justice, proviennent de ce qu’ils mettent en œuvre des logiques qui s’opposent. Les médias ont pour objectif d’informer le public, ce qui les amène à anticiper sur le déroulement des procès ; tandis que la présomption d’innocence s’inscrit dans une logique de protection de l’honneur et de la dignité de la personne poursuivie. 

L’actualité fait souvent état des relations complexes entre ces deux impératifs : d’une part, la liberté d’informer et d’autre part la présomption d’innocence. La violation récurrente de la présomption d’innocence par les médias fait dire à certains auteurs, que la présomption d’innocence dans la pratique n’existe pas[19]. Aussi, préconisent-ils de sanctionner toute violation de ce principe cher à tout individu.

C’est pourquoi dans le cadre de cette étude, il sera abordé d’une part, la présomption d’innocence comme un principe violé par les médias (I) et d’autre part de la présomption d’innocence, un principe protégé  (II).

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Pour rappel, l’article présente uniquement l’introduction du mémoire. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à vous adresser directement auprès de l’auteur.

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Luc ODUNLAMI

Luc ODUNLAMI

Les communications au public en ligne, par l’entremise du réseau internet, n’ont eu de cesse d’accroître la médiatisation des affaires pénales. De nos jours, une certaine forme de journalisme dite « d’investigation » dicte sa loi, parallèle à celle qui s’applique dans les tribunaux. Les médias s’emparent de toute affaire naissante ou à naître. C’est leur métier, c’est vrai.

Mais en publiant chaque jour, à leur gré, sans autre contrôle que celui de leur conscience, des informations sur l’enquête puis sur l’instruction dont on se demande de qui elles émanent, par quel canal – officiel ou officieux – elles sont parvenues à leur connaissance, ils mettent à l’épreuve le principe de la présomption d’innocence.


La présomption d’innocence à l’épreuve des médias, un sujet qui demeure d’actualité.

Notes

[1] BECCARIA (C.), Des délits et des peines, Flammarion, Paris, 1991, p. 127. 

[2] SIMONIS (M.), « Un dosage délicat entre droit et déontologie », in Journalistes – La lettre de l’AJP n°97 – neuvième année – OCTOBRE 2008, page 2.

[3] DUPOND MORETTI (E.), Dictionnaire de ma vie, éditions KERO, 2018, page 91.

[4] GUINCHARD (S.), Lexique des termes juridiques, 23ème édition, Dalloz, page 808.

[5] CORNU (G.), Vocabulaire Juridique, Association Henri Capitant, 12ème édition, page 551.

[6] DERIEUX (E.), Le droit des médias, Editions Dalloz, page 4.

[7] Albert (P), Dictionnaire de la culture juridique, ALLAND (D). et RIALS (S)., Paris, PUF, 2003, p.1190, V° Presse.

[8] HUET (J.) & DREYER (E.), Droit de la communication numérique, Lextenso éditions, LGDJ, 2011.

[9] CARDON (D.) & GRANJON (F.), Médiactivistes, Collection Contester, 2ème édition, 2013, p.1.

[10] QUENUM (F.), Le régime Juridique des médias audiovisuels privés au Bénin à l’ère du renouveau démocratique, Mémoire de maîtrise es Sciences Juridiques, 2005, page 2.

[11] La portée de l’adage in dubio pro reo ne doit pas être  exagérée : le juge ne peut retenir la présomption d’innocence que s’il n’est pas convaincu  de la valeur des preuves rapportées contre la personne poursuivie. Mais quand il hésite sur l’application d’un texte pénal à l’espèce dont il est saisi, il ne peut acquitter sous le prétexte de l’obscurité ou du silence de la loi : il lui appartient de rechercher lui-même, par les méthodes d’interprétation propres au droit criminel, le sens de la loi qu’il doit appliquer (LEGAL , obs. R.S.C., 1961.337 et 1970.380).

[12] « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ; s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la loi.

[13] BOLLE (P.H), Origines et Destin d’une institution menacée, La présomption d’innocence in Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire, Mélanges offerts à Jean PRADEL, éd CUJAS, Paris 2006, p.47.

[14] LAZEGES (C.), La présomption d’innocence, in Libertés et droits fondamentaux ; R. CABRILLAC, M.-A. FRISON-ROCHE, T. REVET (Sous la direction de), Dalloz, Paris, 2006, p.509.

[15] DJOGBENOU (J.), Les privations de liberté individuelle de mouvement non consécutives à une décision pénale de condamnation, Thèse de Doctorat unique en droit, Université d’AbomeyCalavi (Bénin), 2007, p 316. 

[16] ENGLEBERT (J.), « Imposer à la presse le respect de la présomption d’innocence est incompatible avec la liberté d’expression », Doctrine des médias, Introduction.

[17] Serge (G.), Les Procès hors les murs, aux Mélanges CORNU, PUF 1994, p. 201.

[18] Emmanuel (D.), Justice Pénale et droit des médias : Justices 1998 (n°consacré à la justice pénale), p.133.

[19] Temime    (H.), « Profession         de      foi », in      https://presumeinnocent.com/editos/profession-de-foi-par-herve-temime.

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