présomption d'innocence implications de la violation

Présomption d’innocence : Implications de la violation

Cet article fait référence au chapitre 2 du mémoire de Master de Luc ODUNLAMI réalisé durant son Master II Droit et Institutions Judiciaires à l’Université d’Abomey-Calavi (2020/2021)

Introduction        –         Chapitre 1.     –     Chapitre 3.       –    Chapitre 4.

 

Titre du mémoire : La Présomption d’innocence à l’épreuve des médias

Les médias constituent un contrepouvoir essentiel au bon fonctionnement de la démocratie.

Si la médiatisation d’une affaire judiciaire présente certains avantage comme exercer des pressions sur la justice en évitant qu’une affaire soit enterrée par le politique, prévenir les erreurs judiciaires par l’apport d’informations qui auraient pu échapper à l’enquête pénale et même amener la justice à traiter plus vite une affaire judiciaire, il n’en demeure pas moins que le non-respect du principe de la présomption d’innocence est lourde de conséquences.

C’est ainsi que la violation permanente de la présomption d’innocence induit des risques certains (Section I) aussi bien sur la personne poursuivie, que sur le cours du procès.

Face à cela, les différents acteurs intervenant dans le cadre de la procédure en cours ont l’obligation d’adopter une attitude (Section II) d’impartialité, de réserve et de prudence exigée par la loi.

Section I : La médiatisation des affaires juridiques

Les médias constituent autant de caisses de résonance d’informations utiles mais aussi de rumeurs dont les conséquences sur la réputation et l’honneur des personnes peuvent être dévastatrices. 

Les atteintes portées à la présomption d’innocence par les médias peuvent aussi avoir une influence considérable sur la perception d’une affaire judiciaire y compris par les enquêteurs et les magistrats en raison du caractère répétitif des informations qui sont générées.

Paragraphe 1 : L’influence de la médiatisation abusive sur la victime

La médiatisation portée à l’excès d’une affaire judiciaire entraîne l’existence de fait d’une présomption de culpabilité, laquelle entraîne des répercussions irréversibles sur la réputation de la personne poursuivie.

A- L’existence de fait d’une présomption de culpabilité

Selon M. Brice HOUSSOU[1], il existe au Bénin et dans bon nombre de pays africains, une tendance à voir systématiquement toute personne poursuivie comme étant déjà coupable. De sorte que les fonctionnaires de police violent régulièrement le droit de la personne poursuivie à bénéficier de la présomption d’innocence.

Les cas les plus édifiants sont ceux dans lesquels les commissaires de police présentent de plus en plus systématiquement à la presse surtout audiovisuelle des présumés coupables de vol ou autres infractions.

Il faut relever que dans la dynamique de la transmission du message médiatique, la presse dispose d’une grande marge de manœuvre avec des risques de diffusion d’information mal maîtrisée, manchote, factice, de dégradation de la vérité[2].

Un enchevêtrement d’intérêts économiques ou politiques peut conduire à une vérité manipulée, simulée que la force de l’actualité via les médias, est en mesure de rendre plus impressionnante et convaincante que la vérité réelle.

 Par ricochet, l’information est reçue par tout le monde et le public est très vite convaincu de la culpabilité de l’intéressé à tel point que même en cas d’acquittement, on continue de considérer qu’il n’y a pas de fumée sans feu.

Sans oublier que la rectification d’une fausse nouvelle ne parvient pas à la majorité des personnes touchées par la mauvaise information. Toute chose qui ruine la vie de celui-ci quand bien même son innocence est clairement démontrée.

Thibault CAMPAGNE illustre ce cas de figure en France par l’affaire Harvey Weinstein67. En effet, il a été au cœur d’une polémique sans précédent : l’opinion publique l’a déclaré coupable des crimes dont on l’accuse bien avant que sa culpabilité ne soit établie.  Par le fameux slogan ‘’balance ton porc’’, les accusés sont très rapidement présentés comme des coupables par le vocabulaire employé : « porc », « violeurs » ou

« harceleurs ». La presse dans le cas d’espèce a utilisé les ressentiments des femmes et leurs craintes pour consacrer la culpabilité des accusés.

L’existence de fait d’un sentiment de culpabilité de la personne poursuivie avant toute décision de condamnation définitive entraîne des conséquences irréversibles.

[1] HOUSSOU (B.), Contribution à l’effectivité des principes généraux de la procédure pénale, Mémoire de  DEA, droit privé fondamental, Abomey-Calavi, 2011-2012, p.28.

[2] Souvent, les journalistes vont à la quête des informations auprès des victimes ou des présumés auteurs, voire des défenseurs de ceux-ci, sans aucun engagement de crédibilité. Les premières

B- L’atteinte irréversible à la réputation de la personne poursuivie

Dans la pratique, la présomption d’innocence connaît des violations inquiétantes de la part des officiers de police judiciaire ou de certaines autorités judiciaires. Parfois au moment où une affaire est en instruction, des conférences de presse sont organisées pour désigner les coupables ou pour les présenter au public[1].

Il en est de même dans certaines affaires pénales, les personnes soupçonnées sont publiquement présentées comme coupables avant tout jugement. 

On peut citer la présentation à la presse le 13 Juin 2013 de présumés braqueurs et tueurs du guet-apens mortel du 9 Juin 2013 dans la région de Zangnanado ; la présentation à la presse de présumés voleurs maliens et béninois le 10 avril 2013 ; la présentation de présumés braqueurs par la police d’Abomey-Calavi  le 3 avril 2013 ; la présentation à la presse le 22 Octobre

2012 des supposés instruments du crime de tentative d’empoisonnement de l’ancien chef d’Etat avec des lectures de procès-verbal d’audition tendant à accuser publiquement des personnes dites soupçonnées de tentative d’empoisonnement du Chef de l’Etat ; la diffusion sur la chaîne Canal 3 d’un reportage de télévision le 28 février 2013 montrant des images de personnes dites auteurs de tentative de coup d’Etat70.

Or, il est évident que « la suspicion ou à plus forte raison la poursuite d’une personne jette une ombre fâcheuse sur sa réputation »[2].

L’intérêt du public de connaître des faits relevant de la vie privée est moindre ; il trouve son fondement dans le principe de la publicité des débats. Conformément à ce principe, ceux qui assistent aux audiences entendent des révélations sur la vie privée des accusés. La presse prend le relai de ces divulgations en les mettant à la disposition d’un grand public.

Cela ne se fait pas sans excès ; parallèlement au procès, certains journaux font parfois leurs propres enquêtes et donnent leur coupable ; parfois aussi la presse présente comme coupables des détenus que la justice innocente par la suite. Cet état de chose cause des nuisances dangereuses aux victimes.

C’est ainsi que les personnes impliquées dans une procédure judiciaire à savoir toutes les personnes qui ont commis un acte criminel ou délictueux ou qui en sont accusées ou même soupçonnées peuvent voir leur vie privée étalée dans la presse.  La couverture médiatique d’une affaire judiciaire peut de ce fait avoir une influence dramatique sur la vie de personnes injustement accusées d’un crime.

 Bien qu’elles puissent être disculpées devant le tribunal, elles ne le seront pas forcément dans l’opinion publique.  Ainsi, toute poursuite pénale entraîne un préjudice moral souvent irréparable, quelle que soit l’issue du procès.

En effet, la diffusion d’informations par certains organes de presse trop soucieux de répondre à la curiosité du public et de susciter la sensation peut entraîner des dommages considérables aux personnes, aux familles et à leur situation professionnelle. La personne citée par les médias devient l’opprobre du public, surtout lorsqu’il s’agit d’une personnalité politique.

A cet égard, les médias jouent le rôle d’un tribunal populaire. On s’éloigne dès lors du contexte strict du procès et partant : « le procès sort du palais pour atteindre les procès hors les murs »[3].

Or, contrairement aux vedettes, ces hommes n’ont pas recherché à être sur le devant de la scène ; s’ils se retrouvent au cœur de l’actualité, c’est souvent malgré eux. »[4].   Il ne faut pourtant pas perdre de vue que « même le citoyen honnête et innocent peut voir sa vie basculée un jour dans l’enfer et l’engrenage judiciaire. Une fatalité qui pourrait le faire passer pour un malhonnête homme voire un criminel. Cette fatalité existe et frappe aveuglément les puissants et les humbles ; elle a pour nom l’erreur judiciaire »[5]

En dehors de la vie privée de la personne poursuivie qui est exposée, commentée, débattue dans les médias et relayée par l’opinion publique, l’influence de la médiatisation abusive peut étendre ses tentacules sur le procès proprement dit.

[1] Dans l’affaire dite tentative d’empoisonnement de l’ancien Chef d’Etat béninois, le Procureur de la République et le Commissaire Central de police de la ville de Cotonou avaient organisé une conférence de presse au cours de laquelle non seulement les éléments de l’affaire en instruction ont été révélés mais aussi et surtout Monsieur Patrice TALON a été désigné nommément comme étant le commanditaire de l’empoisonnement. 70  HOUSSOU (B.), op. cit., page 5.

[2] DIALLO (H.), La réforme de la justice guinéenne, Paris, l’Harmattan, 2011, p.45.

[3] GUINCHARD (S.), « Le procès hors les murs » in htpp://www.cairn.info/revue-archives-depolitique-criminelle-2001-1-page-13.htmHno216.

[4] DEWEDI (E.), « La protection de la vie privée au Bénin », Editions l’harmattan,2007, page 111 

[5] FLORIO (R.), Les erreurs judiciaires, Flammarion, 1968, Introduction.

Paragraphe 2 : L’influence de la médiatisation abusive sur le procès

Le droit à l’information permet à l’ensemble des membres de la communauté d’être tenus au courant des événements susceptibles d’intéresser leur existence. Il en est de même des procès qui présentent un intérêt général.

Toutefois, il ne faudrait pas perdre de vue qu’une campagne de presse virulente est susceptible de nuire à l’équité du procès, en influençant l’opinion publique ou les magistrats. Ce qui fait de la publicité abusive, une source de préjugé pour le tribunal.

A- L’influence directe des médias sur l’opinion publique

La presse s’est parfois illustrée par son rôle positif pour lutter contre des erreurs judiciaires flagrantes. C’est le canal par lequel l’opinion publique est saisie d’une éventuelle erreur judiciaire. « Il est tout à fait légitime de faire appel à la presse pour provoquer un mouvement d’opinion si l’avocat estime qu’il est en présence d’une erreur judiciaire. Les grandes erreurs judiciaires ont été dénoncées par la presse depuis VOLTAIRE avec l’affaire CALAS, en passant par DREYFUS.

La justice étant rendue au nom du peuple français, il est normal que ce dernier ait un moyen de contrôle sur sa justice »[1].  Il n’en demeure pas moins que l’intérêt des médias pour certaines affaires judiciaires peut être générateur d’un profond malaise et préjudiciable non seulement au bon déroulement des procédures judiciaires mais également à la présomption d’innocence, à la dignité et à l’honneur des personnes amenées à donner des explications à la justice[2].

Des articles de presse peuvent exciter ou troubler l’opinion publique au point de susciter un profond malaise, ce qui peut à l’occasion, révéler l’impossibilité pour les magistrats de la juridiction saisie de connaître de la cause sans susciter dans l’opinion générale un doute quant à leur aptitude à statuer de manière objective et impartiale. 

Les conséquences de ces tapages médiatiques ne sont pas sans effet sur l’opinion publique. En effet, prise dans le tourbillon des informations, elle en réclame davantage et dans certains cas, elle souhaite une justice rapide et expéditive. De ce fait, les médias alimentent la polémique et donnent quelque fois des informations fausses ou erronées qui déroutent les enquêtes policières et partant, la justice[3]

Par ailleurs, en tant que citoyen, le juge vit au sein de la société dont il partage les espérances et craintes, mais aussi les pulsions, humeurs, voire mêmes les idéologies. Or, on assiste à diverses opinions en fonction du média, ce qui peut constituer une sorte de pression sur le juge instructeur

[1] CIVRARD-RACINAIS (A.), La plume et la balance, p. 65.  

[2] Conclusions conformes de l’avocat général E.LIEKENDAEL, sous Cass., 21 Juin 1995, Pas., 1995, I., p 672.

[3] ALLADAYE (J.) & GNANGUENON (H.), La présomption d’innocence-Principe directeur du procès pénal, Mémoire de maîtrise, option droit des affaires et carrières judiciaires, AbomeyCalavi, 1997, page 18.

B- La pression indirecte de l’opinion publique sur les magistrats

Les médias peuvent influencer les procès pénaux déjà lors de la phase préparatoire ou lors de la phase décisive. Plus crucial encore, on constate que, bien souvent, la couverture médiatique est tranchante dès les premières étapes du procès où l’incertitude règne et, partant, où le respect de la présomption d’innocence devrait être maximal.

Ainsi, la justice est de plus en plus régulièrement confrontée à l’influence de l’opinion publique. Celle-ci s’érige parfois en un tribunal venant perturber le cours des instances judiciaires. Cette situation s’est vue décupler ces dernières années avec l’essor d’internet et des réseaux sociaux.

Désormais, chacun peut rendre son avis publiquement à tel point que l’opinion publique semble parfois prévaloir sur le droit.  

Si les cours et tribunaux rejettent généralement l’idée qu’ils puissent être influencés par la presse, la doctrine se montre moins restrictive.

Pour le professeur Jean PRADEL[1], il est raisonnable de considérer comme affectant l’équité de la procédure, les campagnes de presse violentes qui ont pour effet d’amener le tribunal à avoir un préjugé défavorable à l’endroit du prévenu pourvu que ce dernier démontre que les références faites à son affaire dans la presse ont excédé l’inévitable publicité attachée au type de fait délictueux dont il est accusé et que les autorités ont réellement fait des déclarations à la presse méconnaissant son droit à la présomption d’innocence, de sorte que l’équité de la procédure en serait compromise. 

Si la charge de la preuve incombe aux parties, la loi permet l’appréciation subjective de la preuve qui se traduit par la conviction personnelle du juge. Celle-ci peut s’appuyer sur n’importe quel élément : un geste, des paroles embarrassées, les témoignages indirects, les aveux rétractés et même les débats au sein de la presse, des réseaux sociaux.

La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels, ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement, et de chercher dans la sincérité de leur conscience quelles impressions ont été faites sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette question qui renferme toute la mesure de leur devoir : « Avez-vous une intime conviction » ?[2] 

Les médias en ce qu’ils constituent des objecteurs de conscience émettent des opinions qui peuvent influer sur le cours du procès ou agir après sur la décision définitive rendue en créant dans l’opinion publique, une sensation d’insatisfaction face à la décision rendue voire une forme de désapprobation. D’où une crise de confiance qui s’instaure entre le citoyen et l’institution judiciaire incarnée par les magistrats.

De ce fait, une pression indirecte de l’opinion publique pèse sur les magistrats. Deux hypothèses se présentent. La première hypothèse est la situation dans laquelle l’opinion publique penche vers un acquittement de la personne poursuivie. S’il est acquitté, tout le monde pense à un procès équitable et dans le cas contraire où intervient une décision de condamnation, les langues se délient, les plumes s’aiguisent pour proclamer le manque d’indépendance des magistrats voire la décadence de tout le système juridique.

La seconde hypothèse, c’est lorsque l’opinion publique tend vers une condamnation de la personne poursuivie. En cas de condamnation effective, le juge est félicité, on clame haut et fort la vitalité de la justice, la lutte contre l’impunité. Mais dans le même cas de figure, en cas d’acquittement, on crie haro sur le baudet.

C’est pourquoi, dans certains systèmes de droit, seul le procureur de la République peut communiquer avec les médias, sur une affaire en cours. Au Bénin, les dispositions de l’article 12 alinéa 3 du code de procédure pénal béninois lui en donne l’autorisation.

En effet, le procureur de la République a désormais le droit de puiser dans le dossier d’instruction, des informations à rendre public afin de mettre fin à un trouble à l’ordre public ou pour éviter la prolifération d’informations parcellaires.

De la lecture de cet article, il ressort clairement que seul le Procureur de la République a compétence pour divulguer au public certaines informations du dossier pénal d’instruction. Il devient dès lors, un informateur officiel des médias sur des éléments de l’enquête et de l’instruction. Il se saisit soit d’office, soit à la demande des parties, pour rendre public des éléments objectifs du dossier, évitant ainsi les troubles à l’ordre public. 

Le recours à cette pratique apparaît nécessaire aussi dès lors qu’une des parties, non astreinte au secret, commence à dévoiler des éléments du dossier, ce qui permet sans doute d’éviter les atteintes aux droits de la défense, en rétablissant la vérité judiciaire[3].

 Ainsi, pour quelques affaires, il rencontre quotidiennement les journalistes. Mais, il ne peut que fournir des informations objectives dépourvues de toute appréciation personnelle. Il doit renseigner ceux-ci, leur apporter des éléments sur l’évolution des procédures.

C’est une forme de pédagogie, qui consiste à expliquer les arcanes d’un système juridique, tout en se gardant d’aborder le fond du dossier. Cela évite que soient écrites dans la presse des incongruités juridiques.

Au regard de ces considérations, les différents acteurs intervenants dans le cadre de la procédure en cours doivent adopter une certaine attitude pour assurer la protection de la présomption d’innocence reconnue à la personne poursuivie.

[1] PRADEL (J.)  et CORSTENS (G.), op cit, page 185-186.

[2] L’article 447 du Code de Procédure Pénal Béninois dispose que « Hors le cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».

[3] LALEME (A), Le secret de l’instruction à l’épreuve du numérique, mémoire de master, Abomey-Calavi, 2017-2018, p.15.

Section II : Le comportement des acteurs dans la procédure pénale

Le traitement judiciaire d’une affaire pénale implique la succession de différentes phases dans lesquels interviennent de multiples acteurs. Si la liberté d’information heurte parfois de plein fouet le principe de la présomption d’innocence, certains comportements sont attendus des différents acteurs. C’est ce qui explique les devoirs imposés aux magistrats et aux autres autorités intervenant dans le cadre de la procédure pénale à l’égard de la presse.

Paragraphe 1 : Le devoir d’impartialité des magistrats

Le respect du principe général de la présomption d’innocence s’impose aux juges appelés à statuer sur le bien-fondé de l’accusation. Elle est en lien direct avec le devoir d’impartialité du juge[1]

Il concerne l’attitude du juge appelé à connaître d’une accusation en matière pénale, son état d’esprit et son attitude durant tout le procès et lui interdit, notamment, d’émettre la moindre opinion anticipée sur l’issue des poursuites, de partir de l’opinion préconçue que le prévenu est coupable, d’exprimer durant les débats, qu’il le considère comme coupable  de l’infraction à lui reprochée, de former sa conviction quant aux agissements du prévenu avant l’instruction de la cause ou de refléter, dans une décision judiciaire, le sentiment qu’il est coupable sans qu’il ait eu l’occasion d’exercer ses droits à la défense. Elle suppose l’attitude de se débarrasser de tout préjugé[2].

L’exigence d’impartialité a deux caractéristiques : premièrement, les juges ne doivent pas laisser des partis-pris ou des préjugés personnels influencer leur jugement, ni avoir d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis – ce qui se rapporte à une impartialité subjective ; et, deuxièmement, le tribunal doit aussi donner une impression d’impartialité à un observateur raisonnable –appelée impartialité objective.

Les communiqués de presse doivent dès lors être faits avec toute la discrétion et toute la réserve que commande le respect de la présomption d’innocence. Les communiqués de presse des autorités judiciaires ne doivent ni donner l’impression que le prévenu est coupable ni contenir une déclaration formelle de culpabilité. Ils doivent éviter d’inciter le public à croire en la culpabilité du prévenu et de préjuger de l’appréciation des faits par le juge compétent.

Les magistrats ne doivent pas également se laisser influencer par des déclarations publiques faites par des personnes occupant une fonction officielle ou par des campagnes publicitaires qui traitent l’accusé comme s’il était coupable avant même qu’il ne soit jugé[3]. Les autorités judiciaires ne peuvent ainsi être tenues pour responsable du tapage médiatique qui entoure une affaire lorsque leurs communiqués de presse respectent les principes de discrétion et de réserve.

D’où le devoir de réserve exigé aux autres acteurs intervenant dans le cadre de la procédure en cours.

[1] KUTY (F.), L’impartialité du juge en procédure pénale. De la confiance décrétée à la confiance justifiée, Bruxe lles, Larcier, 2005, spéc., pp 103-104.

[2] PRADEL (J.) & CORSTENS (G.), Droit pénal Européen, Paris, Dalloz, 1999, n°351.

[3] Les journalistes en ce qui les concerne sont astreints à un devoir de rigueur professionnelle, qui les empêche d’écrire des articles dont l’aspect démesuré peut influer le cours de la justice, en entamant la présomption d’innocence.

Paragraphe 2 : Le devoir de réserve des autres autorités

Si la présomption d’innocence est certainement une garantie de caractère procédural s’appliquant à toute procédure pénale, sa portée est toutefois plus étendue.

En effet, elle lie non seulement la juridiction chargée de l’affaire mais encore les autres organes de l’Etat qui tous doivent se montrer très prudents lorsqu’ils font des déclarations publiques sur des faits en cours d’instruction ou sur les personnes qui en font l’objet afin d’éviter, autant que possible, que leurs propos ne soient mal interprétés par le public et ne conduisent à mettre en doute l’innocence du prévenu avant même qu’il ait été jugé.

Les autorités responsables de la politique criminelle ne doivent toutefois pas s’abstenir de toute déclaration. Elles peuvent renseigner le public sur des enquêtes en cours afin de démontrer l’efficacité de l’action policière sur la criminalité.

Toutefois, les autorités publiques ne peuvent pas se substituer au juge pénal qui sera chargé du fond de l’accusation. Seul un tribunal peut renverser la présomption d’innocence en condamnant une personne après un procès conforme aux principes du procès équitable.

La conséquence est qu’aucune personne membre d’une autorité publique ne doit porter atteinte par des propos tenus publiquement par exemple, à la présomption d’innocence de quelqu’un, même en dehors de tout procès.

En droit européen, c’est surtout dans l’arrêt Allenet de Ribermont c/ France que la Cour européenne devait confirmer avec éclat sa position (en accordant deux millions de francs au requérant).

En l’espèce, le requérant avait été accusé publiquement, sur les antennes radiophoniques et à la télévision, par le ministre de l’intérieur en exercice, d’avoir commandité le meurtre d’une importante personnalité politique (Jean de Broglie) alors qu’il n’était pas encore inculpé mais simplement gardé à vue ; après 11 ans et 08 mois de procédure, la Cour européenne proclame que : « Le champ d’application de l’article 6 § 2 ne se limite pas à la seule hypothèse d’une atteinte à la présomption d’innocence provenant d’une autorité judiciaire, mais également aux atteintes émanant d’autres autorités publiques »[1].

La portée de la présomption d’innocence exige ainsi qu’aucun représentant de l’Etat ne déclare qu’une personne est coupable d’une infraction avant que sa culpabilité n’ait été établie par un tribunal[2].

Il apparaît ainsi que toute personne dont la culpabilité n’a pas été judiciairement établie bénéficie d’une protection face aux déclarations des représentants de l’Etat faisant état de sa culpabilité ou l’assimilant à une personne reconnue coupable. Ce droit garantit à tout individu que les représentants de l’Etat ne pourront pas le traiter comme coupable d’une infraction avant qu’un tribunal compétent n’ait établi sa culpabilité selon la loi.

Une seule déclaration officielle malheureuse suffit à méconnaître la présomption d’innocence[3].  Il suffit même en l’absence de constat formel de culpabilité, d’un raisonnement ou de propos suggérant qu’un représentant de l’Etat le considère comme coupable.

Il est particulièrement important et ce, même avant que ne soit intenté des poursuites à l’encontre d’un suspect, que les autorités d’un Etat s’abstiennent de déclarations publiques susceptibles d’être interprétées comme un constat de culpabilité et préjugeant de l’appréciation qui sera faite par les autorités judiciaires compétentes.

A cet égard, le choix des termes qui sont utilisés par les représentants officiels à l’occasion de leurs déclarations préalables au jugement et à la condamnation du prévenu, de même que le contexte et les circonstances dans lesquels les déclarations sont faites ne sont pas à négliger.

Toutefois, une distinction doit être faite entre les propos qui reflètent le sentiment que la personne concernée est coupable et ceux qui se bornent à décrire un état de suspicion, seuls les premiers méconnaissent la présomption d’innocence. 

[1] CEDH, Allenet de Ribermont c/ France, § 36 ; Justices, 1996-3, 248, obs. Flauss ; RTDH 1995, 657, note D. Spielman.

[2] CEDH, arrêt Y.B. c. Turquie du 28 Octobre 2004 rendu à l’unanimité.

[3] CEDH, arrêt Daktaras c Lituanie du 10 décembre 2000.

Pour rappel, l’article présente uniquement le chapitre 2 du mémoire. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à vous adresser directement auprès de l’auteur.

Introduction        –         Chapitre 1.     –     Chapitre 3.       –    Chapitre 4.

Luc ODUNLAMI

Luc ODUNLAMI

Les communications au public en ligne, par l’entremise du réseau internet, n’ont eu de cesse d’accroître la médiatisation des affaires pénales. De nos jours, une certaine forme de journalisme dite « d’investigation » dicte sa loi, parallèle à celle qui s’applique dans les tribunaux. Les médias s’emparent de toute affaire naissante ou à naître. C’est leur métier, c’est vrai.

Mais en publiant chaque jour, à leur gré, sans autre contrôle que celui de leur conscience, des informations sur l’enquête puis sur l’instruction dont on se demande de qui elles émanent, par quel canal – officiel ou officieux – elles sont parvenues à leur connaissance, ils mettent à l’épreuve le principe de la présomption d’innocence.


La présomption d’innocence à l’épreuve des médias, un sujet qui demeure d’actualité.

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